Immigration : que prévoit le projet de loi durci par le Sénat ?

Immigration : que prévoit le projet de loi durci par le Sénat ?

Réunie le 15 mars, la commission des lois du Sénat a musclé le projet de loi immigration. Regroupement familial, procédure « étranger malade », modalités d’exécution des décisions d’éloignement… Passage en revue des principales modifications apportées par la droite sénatoriale.
Caroline Deschamps

Par Tam Tran Huy

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6 min

Publié le

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Si la droite sénatoriale a dansé un pas de deux avec la majorité présidentielle sur la réforme des retraites, le projet de loi Immigration et Intégration s’apparentera davantage à un match de boxe. Dans leur rapport, Muriel Jourda (LR) et Philippe Bonnecarrère (UC) ont donné le ton, dénonçant un texte trop « timoré » et de nombreux « angles morts ». Pour eux, la copie du gouvernement est bien insuffisante : les sénateurs l’ont largement durcie en commission. Mais la majorité sénatoriale est elle-même fracturée sur l’un des points principaux du texte, celui des métiers en tension. Des divisions qui donnent un avant-goût des débats en séance, à partir du 28 mars dans l’hémicycle.

Un durcissement de la politique migratoire

Première modification de taille apportée par les sénateurs au projet de loi du gouvernement, l’instauration d’une politique de quotas. Pour toutes les catégories d’immigration, à l’exception de l’asile, la majorité sénatoriale veut la mise en place d’un débat annuel au Parlement déterminant le nombre d’étrangers autorisés à s’installer durablement en France.

Le Sénat prévoit également de resserrer les critères du regroupement familial. Les rapporteurs Muriel Jourda et Philippe Bonnecarrère font ainsi passer de 18 à 24 mois la durée minimale de résidence d’un étranger en France avant de pouvoir formuler une demande de regroupement familial. Les sénateurs imposent aussi au demandeur d’avoir une assurance maladie et ont ajouté une condition aux ressources, qui devront être stables, suffisantes et désormais régulières. La droite sénatoriale a également durci la procédure « étranger malade ». Aujourd’hui, ces étrangers sont accueillis dès lors qu’ils n’ont pas un accès effectif aux soins dans leur pays d’origine. Les sénateurs lui ont substitué un critère plus restrictif, celui de l’absence de traitement dans le pays d’origine, qui prévalait jusqu’en 2016. Les étrangers malades ne seront également pas pris en charge par l’assurance maladie.

Le reste des dispositions concernant l’immigration sont sur le même ton : contrôle plus étroit de l’immigration étudiante, réforme de l’Aide médicale d’Etat pour la destiner uniquement aux maladies les plus graves, la transformant ainsi en Aide médicale d’urgence, ou encore restriction des conditions d’accès à la nationalité française pour les mineurs étrangers nés en France.

Plus de sévérité envers les étrangers délinquants

Alors que l’élaboration du projet de loi a été percutée par l’affaire Lola, qui a fait ressurgir le débat sur le faible taux d’exécution des OQTF (Obligation de quitter le territoire français), le Sénat a encore un peu plus musclé le dispositif de l’exécutif. Les articles 9 et 10 du projet de loi prévoient en effet de faciliter les levées de protection dont bénéficient certains étrangers aux liens d’une particulière intensité avec la France. Les sénateurs ont accru la portée de cette mesure, rendant systématique la levée de protection des étrangers responsables de violences intrafamiliales.

Mais toutes ces décisions d’éloignement ne pourront être effectives qu’avec la coopération des pays d’origine. Pour cela, les sénateurs préfèrent la manière forte et autorisent, dans le projet de loi, les restrictions de visas et la modulation de l’aide au développement à l’encontre des pays peu coopératifs en matière de délivrance de laissez-passer consulaires.

Une politique d’intégration musclée

Niveau intégration, le projet de loi prévoit de conditionner la délivrance d’une carte de séjour pluriannuelle à un niveau minimal de français. Les sénateurs ont renforcé cette exigence, en y ajoutant la réussite d’un examen civique. Ils ont également prévu un niveau de français supérieur à justifier pour pouvoir obtenir une carte de résident ou la nationalité française. Les bénéficiaires d’un regroupement familial devront, quant à eux, justifier d’un niveau minimal de français, et ce, dès leur pays d’origine.

Le « en même temps » de la commission sur les métiers en tension

C’est sur le sujet des métiers en tension que l’unité de la majorité sénatoriale s’est fissurée. D’un côté, LR n’a cessé de dénoncer, avec la mise en place de ce titre de séjour, un appel d’air, une incitation à l’immigration clandestine. De l’autre, les centristes estiment que le dispositif proposé par le gouvernement tient compte d’une réalité économique difficilement contestable. Et qu’il faut donc amender cette mesure pour qu’elle n’alimente pas une trappe à bas salaires, qui perpétuerait une situation où les métiers mal payés sont exercés quasi exclusivement par des étrangers. Résultat : les rapporteurs, qui représentent chacun une sensibilité de la majorité sénatoriale, ont préféré ne pas co-signer d’amendements et réserver l’ensemble du débat à la séance publique.

Mais le projet de loi sera-t-il débattu à l’Assemblée ?

Le projet de loi, adopté en commission le 15 mars au Sénat, a déjà un destin tout tracé à la chambre haute. Le calendrier prévoit un examen du texte en séance publique du 28 mars au 4 avril, avec un scrutin solennel pour conclure les débats. En revanche, avoir une majorité à l’Assemblée nationale est très loin d’être évident. Aujourd’hui, en coulisses, certains députés de la majorité présidentielle anticipent déjà un abandon du texte à l’Assemblée. Bref, une fin en eau de boudin pour un projet de loi dont l’examen n’a cessé d’être reporté et qui pourrait, si cette hypothèse est vérifiée, ne jamais voir le jour.

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