[Info Public Sénat] Environnement : comment le Sénat modifie l’article 1 de la Constitution

[Info Public Sénat] Environnement : comment le Sénat modifie l’article 1 de la Constitution

La majorité sénatoriale a modifié le texte du gouvernement qui veut inscrire la lutte contre le dérèglement climatique à l’article 1er de la Constitution. Plutôt que « la France garantit la préservation de l’environnement », les sénateurs préfèrent « préserve ». Un terme moins contraignant pour les entreprises ou les collectivités. Sans un accord du Sénat, Emmanuel Macron ne pourra soumettre à référendum son projet de révision.
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C’est un débat sémantique aux implications juridiques, écologiques et économiques. La révision de l’article 1 de la Constitution n’est pas le sujet le plus grand public. L’enjeu n’en est pas moins important. Déjà adopté par les députés, les sénateurs s’emparent à leur tour du « projet de loi constitutionnelle complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l’environnement ». Ce texte est issu des travaux de la Convention citoyenne pour le climat.

Article unique

Les sénateurs ont adopté ce mardi matin en commission le rapport de François-Noël Buffet, président LR de la commission des lois. Cette révision constitutionnelle ne repose que sur un unique article et l’ajout d’une seule phrase au premier alinéa de l’article 1 : « La France garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique ».

Depuis plusieurs semaines, c’est le verbe garantir qui pose problème à la majorité sénatoriale de droite et du centre. Sans plonger dans leur Bescherelle, les sénateurs ont trouvé une solution. D’après les informations de publicsenat.fr, l’amendement de la commission des lois réécrit le texte et remplace le verbe garantir par les verbes préserver et agir, et fait référence à la Charte de l’environnement. La version sénatoriale de l’article 1 est ainsi rédigée :

La France préserve l’environnement ainsi que la diversité biologique et agit contre le dérèglement climatique, dans les conditions prévues par la Charte de l’environnement de 2004.

« Respect de la notion de développement durable »

Un petit changement qui n’est pas neutre. Les termes « préserve » et « agit » seront moins contraignant que « garantit ». Car les sénateurs craignent que le texte du gouvernement freine l’activité économique et mette des bâtons dans les roues des entreprises. Ils cherchent ainsi à trouver un équilibre.

L’exposé des motifs de l’amendement pointe « la très grande incertitude quant aux effets juridiques » de la version du gouvernement. « Les termes employés laissent entendre, en effet que ce texte faciliterait l’engagement de la responsabilité des personnes publiques en cas d’atteinte à l’environnement, en mettant à leur charge une obligation de résultat, voire de garantie ; et qu’il attribuerait une forme de priorité à la préservation de l’environnement sur les autres principes constitutionnels, avec lesquels elle doit aujourd’hui être conciliée » souligne l’amendement du rapporteur.

« Conformément à l’avis du Conseil d’État », la référence à la notion de « garantie » a « une signification beaucoup trop vague », peut-on lire par ailleurs dans le rapport de la commission des lois, qui détaille sur 42 pages les « effets juridiques très incertains de la révision proposée ». Et « comme le suggérait également le Conseil d’État, le verbe « lutter » serait remplacé par le verbe « agir », car mieux vaut s’abstenir d’effets rhétoriques dénués de toute portée juridique », ajoute le rapport.

« "Garantir" porte en lui les germes de grandes difficultés »

« J’ai proposé cet amendement car je crois sérieusement que le verbe "garantir" porte en lui les germes de grandes difficultés au sein de la Constitution et des doutes sur son application. Il faut l’éviter », a expliqué cet après-midi, au micro de Public Sénat, François Noël Buffet (voir la vidéo). « Nous protégeons l’environnement, naturellement nous sommes d’accord. La Charte de l’environnement fait partie du bloc constitutionnel et notre rédaction de l’article 1 fait qu’on a une référence évidente à cette charte et on préserve l’environnement de façon sérieuse et certaine », soutient le sénateur LR du Rhône, qui ajoute :

On évite le doute. Je ne veux pas constitutionnaliser le doute.

Pour la majorité sénatoriale, c’est « le respect de la notion de développement durable » qui est en jeu, « il faut voir les conséquences du verbe garantir sur l’article 6 de la Charte de l’environnement, qui définit le développement durable comme la conciliation de l’environnement, du développement économique et du progrès social », met en garde un sénateur. La question est de savoir si l’article 1 et la Charte peuvent coexister ou pas. Cette Charte, signée quand le sénateur LR Philippe Bas était secrétaire général de l’Elysée, a par ailleurs valeur constitutionnelle.

Piège

Reste qu’en modifiant le texte ainsi, les sénateurs s’exposent aux attaques des macronistes. L’exécutif cherchera sûrement à dépeindre les sénateurs comme d’affreux anti-écologistes. C’est le piège pour le Sénat. « On va essayer d’expliquer qu’on n’est pas anti-écolo. La Charte de 2004, c’était Jacques Chirac aux dernières nouvelles », rappelle un membre du groupe LR.

Les modifications apportées par le Sénat ne seront pas non plus sans conséquence sur l’issue du projet de loi. Contrairement aux autres textes, les députés n’ont pas le dernier en matière de révision de la Constitution. Députés et sénateurs jouent ici à armes égales. Un accord dans les mêmes termes entre les deux chambres est indispensable pour permettre l’adoption définitive du texte. Et le gouvernement, pour l’heure, ne semble pas prêt au compromis.

Eric Dupond-Moretti « ne souhaite pas qu’on bouge le texte »

« Je ne souhaite pas qu’on bouge le texte », avait prévenu le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, lors de son audition au Sénat. Il assurait qu’« il n’y a pas de concurrence, ni de contradiction entre le projet de révision et la Charte de l’environnement, mais une complémentarité ». Il jugeait par ailleurs la portée de la Charte « insuffisante ».

Alors c’est cuit ? « Ça dépend s’ils ont envie que ça marche ou pas. Mais ça va être sportif », rétorque un sénateur, qui renvoie déjà la balle dans le camp de la majorité présidentielle. Emmanuel Macron devra trouver la voie d’un accord avec Gérard Larcher et les sénateurs, s’il veut pouvoir faire ratifier ensuite la réforme devant les Français par référendum, comme il s’y est engagé. La première grande réforme constitutionnelle d’Emmanuel Macron était tombée à l’eau, après des mois de discussions et de tensions avec la Haute assemblée. Faute d’un accord avec le Sénat, ce nouveau texte risque de connaître le même sort.

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