Innovations médicales : en France, « On a un problème budgétaire flagrant, on décourage les gens »

Innovations médicales : en France, « On a un problème budgétaire flagrant, on décourage les gens »

La commission des Affaires sociales réunissait en audition mercredi 2 juin plusieurs acteurs impliqués dans les biotechnologies et la santé. L’occasion de revenir sur les faiblesses françaises et européennes dans la recherche et l’innovation médicale.
Public Sénat

Par Jules Fresard

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« Les sociétés de biotechnologies deviennent de plus en plus importantes. Contre le covid, 7 vaccins sur 10 viennent d’ailleurs des biotechnologies ». Le constat dressé par Franck Grimaud, directeur général de Valneva, une société de biotechnologie franco autrichienne qui développe actuellement un vaccin contre le covid, la maladie de Lyme et le chikungunya, est clair. Le domaine des biotechnologies, qui vise à associer la science des êtres vivants – la biologie – avec un ensemble de techniques nouvelles comme la microbiologie ou la biochimie, est appelé à devenir un acteur clef dans la santé publique.

Conscient de ce développement rapide, la commission des Affaires sociales, présidée par la sénatrice LR de Maine-et-Loire Catherine Deroche, a réuni mercredi 2 juin en audition plénière différents acteurs œuvrant dans le monde de la santé de demain, pour avant tout évoquer la question de la recherche dans ces domaines en France.

D’importantes difficultés financières

Et le constat est pour le moins mitigé. Les acteurs réunis au Sénat ont unanimement appelé de leurs vœux à une augmentation conséquente des moyens alloués à la recherche dans le domaine de la santé. Car les sommes nécessaires au déploiement, par exemple d’un vaccin, sont conséquentes, comme l’a illustré la course vaccinale que le covid a engendrée.

Franck Grimaud a tenu à souligner que « là où on a un blocage pour que les biotechs françaises deviennent les pharmas de demain, c’est du côté des financements, pour qu’elles arrivent d’elles-mêmes sur les marchés. Il faut trouver les financements pour les phases 3 des essais vaccinaux, qui coûtent 500 millions d’euros. Il faut trouver des investisseurs qui acceptent de financer alors qu’il y a un risque de 50 % d’échecs ».

D’ailleurs, la société de Franck Grimaud, Valneva, bien que basée en banlieue Nantaise, avait dû se tourner vers le Royaume-Uni pour développer son vaccin contre le covid, en passe d’être validé. Invité à témoigner sur Public Sénat en février, il avait déclaré « Et puis, on doit le dire, il y a une question de réactivité. En avril, on a contacté tous les gouvernements. Il nous fallait absolument ce financement dès juillet pour commencer les essais cliniques avant la fin de l’année, et monter cette usine. Et c’est ce qu’ils (le Royaume-Uni) nous ont apporté rapidement ». Le Royaume-Uni devrait donc avoir accès au vaccin de la société fin 2021, contre début 2022 pour le reste de l’Europe, dont la France où est pourtant basée Valneva.

Des financements massifs d’autant plus difficiles à trouver que, comme l’a rappelé Stéphane Piat, directeur général de Carmat, une entreprise française qui développe un cœur artificiel, les laboratoires français pâtissent d’un manque cruel de soutien. « Nous, on travaille avec des laboratoires français seulement quand on est obligés. Ces derniers sont contraints en termes de ressources, financièrement, ils sont à la rue. Travailler avec un laboratoire public français, c’est très lent. […] À San Francisco, j’échangeais avec un polytechnicien qui en France, n’avait obtenu que 50 000 euros sur deux ans pour développer un projet. Aux États-Unis, dans un institut public, il a obtenu 25 millions ». Ce qui lui fait dire qu’en France, « on a un problème budgétaire flagrant, on décourage les gens ».

Des perspectives plus attrayantes Outre-Atlantique

Des moyens financiers majeurs Outre-Atlantique, qui ont été mis en lumière lors du développement du vaccin contre le covid. Les États-Unis sont en effet dotés d’une agence spécifique au sein du département de la Santé, la BARDA, qui est en charge du développement et de l’acquisition de solutions médicales en cas notamment de pandémie. Une agence qui n’a pas hésité à arroser massivement les laboratoires lors de la crise, avec l’opération « Warp speed ». Franck Grimaud explique ainsi qu’ « aux États-Unis, des outils comme la BARDA disposent de plusieurs milliards de dollars. Ils ont donc pu financer à risque, 6 programmes, en mettant pour chacun 500 millions d’euros, nécessaires pour les tests de phases 1 à 3. Et donc, les programmes et les vaccins que les Européens ont achetés, ont en fait été financés à risque par le Barda et pas par l’Europe ».

Des difficultés rencontrées au niveau européen, d’autant plus que le marché de la santé américain, beaucoup plus libéralisé que le marché européen, offre plus de profits aux entreprises. « Je pense qu’on a en Europe un problème de remboursement des médicaments. Aujourd’hui, toutes les biotechs vous le diront, 60 % de leur chiffre d’affaires sont réalisés aux États-Unis, et 70 % de la profitabilité également, ce qui permet de réinvestir dans la recherche », analyse Franck Grimaud.

Franck Mouthon, président de France Biotech, a lui expliqué que « les investisseurs privés nous demandent de choisir les territoires où la valeur est plus importante. Souvent on nous demande de commencer nos essais cliniques aux USA, par rapport à la rentabilité d’aller sur le marché américain ». Un marché américain de la santé qui apparaît donc comme plus avantageux, avec une importante nuance cependant. Beaucoup plus libéralisé, il offre une espérance de vie moindre à sa population, comparée à celle des Européens, qui dépensent pourtant moins dans la santé, a tenu a rappelé Franck Grimaud.

La « frilosité française »

Mais pour Sébastien Piat, outre la question du financement, les retards de l’Europe et de la France en matière de santé s’expliquent également par une culture de trop grande prudence. « Je n’ai jamais fait d’études en France, car elles sont très lentes pour les approbations. Le problème il est là, un problème de frilosité ». Un constat partagé par Franck Grimaud, pour qui les retards hexagonaux ne sont « pas une question d’infrastructures, dont la France est très bien dotée, mais les processus doivent être accélérés. Le principal enjeu, il est culturel ».

Concrètement, Sébastien Piat regrette que pour une mise sur le marché et un remboursement français, des études doivent avoir été réalisées sur des patients français. « Il y a peut-être des données que j’ignore, sur les différences biologiques avec nos voisins transalpins », a-t-il ironisé.

Pour eux, la solution n’est pas de créer une nouvelle agence nationale, « en France, on crée une agence par problème » a raillé Franck Grimaud, mais de réunir les efforts européens, pour créer, une agence responsable des questions d’innovation en matière de santé à l’échelle européenne, à l’image de la BARDA américaine.

Le patron de Valneva a ainsi expliqué que « La leçon que j’en tire (de la crise du covid, ndlr), c’est que ce n’est pas un défaut de ressources de l’Europe. Elle va commander et dépenser autant que les USA pour accéder à ces vaccins. Mais un problème d’outils. Il faudrait absolument avoir un outil en Europe équivalent à la BARDA, doté de 10 à 20 milliards, et qui a une fonction autonome, sans avoir besoin de l’aval des 27 pour lancer la machine ».

Quant au niveau français, des fonds supplémentaires sont demandés aux agences déjà existantes. « La BPI fonctionne très bien, l’INSERM aussi, dotons les mieux », a-t-il souligné.

Des recommandations pour faire revenir la France et l’Europe au-devant des innovations médicales mondiales, alors que le Conseil stratégique des industries de santé 2021 (CSIS), lancé en février dernier par Olivier Véran, entend « faire de la France la première nation européenne innovante et souveraine en santé ».

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