Intérim médical : les sénateurs demandent une lutte plus affirmée contre les médecins mercenaires

Intérim médical : les sénateurs demandent une lutte plus affirmée contre les médecins mercenaires

Les sénateurs se sont montrés divisés sur les solutions à apporter à un fléau qui menace l’hôpital : la hausse des rémunérations des médecins intérimaires. La solution du gouvernement a recueilli plus de soutiens qu’envisagé. La réflexion va se poursuivre d’ici l’adoption définitive de la proposition de loi.
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C’est une constante des débats parlementaires sur les sujets de santé. Les diagnostics des problèmes sont souvent partagés, ce qui n’est pas le cas des remèdes. Ce 18 février, les sénateurs se sont penchés sur l’un des « points clés » de la proposition de loi « visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification ». L’article 10 de cette initiative parlementaire porté par les députés de la République en marche, adoptée à l’Assemblée nationale en décembre, entend répondre à l’une des conclusions du Ségur de la santé de l’été dernier. Il prévoit de lutter plus efficacement contre les abus liés à l’intérim médical. Un sujet urgent, qui a profondément changé la physionomie d’une partie de l’hôpital. Face à la pénurie de praticiens hospitaliers, de plus en plus d’intérimaires médicaux monnayent très chers leurs services depuis des années, au détriment des finances des hôpitaux.

En séance, les sénateurs se sont – chose assez rare – détournés de la version adoptée en commission des affaires sociales sur l’article 10. Ils sont revenus à la rédaction de l’Assemblée nationale, réintroduite par amendement par le gouvernement. Des sénateurs de la majorité de droite et du centre se sont finalement laissés convaincre. Mais l’hémicycle a ensuite rejeté l’article 10 réamendé, conscient que la version était encore perfectible. En effet, une adoption identique de l’article tel qu’il a été voté par les députés, aurait empêché le Parlement de se pencher à nouveau sur l’article 9 en commission mixte paritaire.

Les actes irréguliers déférés devant le tribunal administratif

La version soutenue par le gouvernement prévoit notamment la possibilité pour les directeurs généraux des agences régionales de santé (ARS), lorsqu’ils sont informés par un comptable public, de déférer devant le tribunal administratif les actes administratifs irréguliers, en matière d’intérim médical. Or, selon le rapporteur de la commission des affaires sociales, le sénateur LR Alain Milon, il s’agit d’une solution « inadaptée ». D’après lui, le comptable de l’établissement serait alors le « seul censeur » et interviendrait après la réalisation de la prestation irrégulière. Pour la commission, le contrôle budgétaire doit s’effectuer plus tôt, et par le directeur général d’ARS, au risque d’aller vers une « déresponsabilisation ».

Dans l’hémicycle, les sénateurs ont été nombreux à considérer que le décret pris en 2017 pour plafonner les dépenses d’intérim journalières à près de 1 200 euros, avec contrôle a posteriori, n’a pas porté ses fruits. « Cela n’a pas suffi a reconnu », a admis également le ministre de la Santé, Olivier Véran. L’ancien député socialiste connaît bien le sujet. Il en avait fait un rapport en 2012, sous la mandature précédente. A l’époque, le phénomène était responsable de 500 millions d’euros de surcoûts et concernait l’équivalent de 5 000 médecins, selon ses chiffres.

La mission d’intérim envoyée sur la boîte mail du neurologue Olivier Véran

Depuis, l’intérim médical s’est « profondément accentué » et la « pratique tarifaire est devenue totalement déraisonnable ». Le neurologue de profession parle de vécu, il a conservé sa boîte email au CHU de Grenoble. « J’ai reçu une offre pour effectuer une mission de courte durée où on me payait l’équivalent de 2 000 euros net pour 24 heures, auxquels vous ajoutez une prime de précarité, des avantages en nature », a-t-il détaillé. Dans la situation actuelle, des directeurs ont témoigné au ministre que, « pris à la gorge », ils n’avaient pas trop choix que de payer, même à un niveau irrégulier, pour garantir la venue d’un praticien, et donc la poursuite d’un service.

Dans l’hémicycle, les parlementaires travaillant dans les hôpitaux ont bien constaté les dégâts qu’ont pu occasionner les dérives de l’intérim, dans l’organisation du travail et dans la motivation générale des salariés. « Dans l’hôpital où je travaillais, il y a des services de maternités qui ne fonctionnent que sur de l’intérim et des équipes d’intérim qui se sont organisées en équipes pérennes », a témoigné la sénatrice Véronique Guillotin (groupe RDSE, à majorité radicale), médecin. Florence Lassarade (LR) s’est, elle, remémoré ses astreintes en maternité au moment de son élection au Sénat en 2017. « Ma collègue a démissionné de ses astreintes car elle était écœurée de voir ce qu’on donnait aux intérimaires ! »

« On propose l’arme ultime pour faire en sorte que plus personne ne puisse jouer ce jeu de la surenchère […] Ce mouvement va s’arrêter. Si plus aucun établissement ne peut payer au-delà, je vous le dis, le mouvement expansionniste de l’intérim va se tarir », a encouragé le ministre. L’article empêchera les directeurs de s’engager à verser une rémunération trop élevée aux « mercenaires », contre lesquels sa prédécesseure Agnès Buzyn avait commencé à s’attaquer. Olivier Véran l’a promis : aucune sanction financière ne pèsera sur les directeurs d’établissement. La saisine du tribunal sera « sans conséquence » sur eux.

Une « arme ultime » qui fait craindre une déstabilisation des hôpitaux

Sur les bancs de gauche, certains ont fortement douté que l’article produise un effet aussi large. « Je ne pense pas que ce soit aussi simple que ça », a tempéré la sénatrice communiste Cathy Apourceau-Poly. Son groupe considère que cet outil de lutte contre l’intérim ne réglera pas le problème de fond, celui d’une pénurie en personnel et d’un déficit d’attractivité de l’hôpital.

Les socialistes ont estimé que l’article 10 pouvait du jour au lendemain « mettre en difficulté des hôpitaux », voire conduire à des fermetures de service. « Dès qu’il s’appliquera », les intérimaires ne viendront « tout simplement plus, c’est ce qu’il va se passer », s’est alarmée Angèle Préville, sénatrice d’un département rural, le Lot.

L’écologiste Raymonde Poncet Monge a demandé que toutes les ARS contrôlent dans chaque territoire le bon respect de la réglementation, pour « assécher l’offre de mercenaires ». Car les chefs d’établissements pourraient bien être toujours tiraillés par des injonctions contradictoires : le refus des surfacturations, mais aussi la nécessité d’assurer la continuité des services.

L’article poussé par le gouvernement a progressivement acquis à sa cause des membres de la majorité sénatoriale de droite et du centre. Pour Roger Karoutchi (LR), le « meilleur moyen » de pas soumettre ces directeurs d’hôpitaux à ces situations délicates reste encore de bien fixer les décisions… qu’ils ne pourront pas prendre. « Les intérimaires potentiels se diront : ce n’est pas la peine d’essayer », reconnaît le sénateur LR « hypocondriaque ». Les centristes sont également allés dans le sens du ministre. « Quand l’inflation est galopante, il n’y a pas d’autre solution que le contrôle des prix, au moins dans un premier temps », a rappelé Olivier Henno.

La poursuite de la navette parlementaire, permise grâce au rejet de l’article, pourrait apporter des réponses à des questions laissées en suspens. « Le texte du gouvernement règle peut-être le problème des hôpitaux publics. Il ne règle pas le problème des Espic [Établissement de santé privé d’intérêt collectif, ndlr], ou des établissements privés. Que vont faire ces mercenaires ensuite ? Ils vont aller vers des cliniques privées qui connaissaient aussi des difficultés », a mis en garde le sénateur LR René-Paul Savary.

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