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Irresponsabilité pénale : que contient la proposition de loi du Sénat ?

La proposition de loi portée par les groupes LR et centriste visant à réformer le régime de l’irresponsabilité pénale a été adoptée en commission des lois du Sénat,  le 5 mai. La Haute assemblée souhaite que les juges du fond et non plus le juge d’instruction, statuent sur la responsabilité pénale du mis en examen, si l’abolition de son discernement a été causée par une prise de substances volontaire. Le texte sera examiné en séance à partir du mardi 26 mai.
Simon Barbarit

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Comment réformer le régime de l’irresponsabilité pénale ? C’est devenu une demande sociétale, particulièrement depuis l’arrêt rendu par la Cour de Cassation le 14 avril dernier dans l’affaire Sarah Halimi. La plus haute juridiction de l’ordre judiciaire a entériné le caractère antisémite du crime, mais confirmé l’impossibilité de juger le meurtrier, un gros consommateur de cannabis, compte tenu de l’abolition de son discernement lors des faits. Près de 25 000 manifestants s’étaient réunis un peu partout en France réclamant « justice » pour la sexagénaire juive tuée en 2017, onze jours après la confirmation de l’absence de procès.Si le Sénat est bien décidé à prendre le sujet à bras-le-corps, la proposition de loi portée par les groupes LR et centriste, adoptée en commission des lois ce mercredi, a été sensiblement modifiée au regard des annonces faites précédemment.« Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis », souligne, en sortie de commission, la sénatrice centriste, Nathalie Goulet, rapporteure de la proposition de loi sur « responsabilité pénale des auteurs de crimes et délits ».

Modifier l’article 122-1 ? « Sur le principe, c’était une bonne idée »

A l’origine, la proposition de loi de Nathalie Goulet déposée en janvier 2020 visait « à exclure le dispositif de l’article 122-1 du Code pénal aux personnes qui se seraient mises volontairement dans une position d’irresponsabilité. L’article 122-1, qui définit l’irresponsabilité pénale, prévoit que « n’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes ».Tout est dans le « au moment des faits », rappelait Bruno Retailleau, la semaine dernière lors de l’annonce du dépôt d’une proposition de loi commune aux groupes centriste et LR. Leur texte devait acter que « dès lors que l’abolition du discernement est provoquée par un acte volontaire, il y a responsabilité ». Concrètement, dans le cas du meurtrier de Sarah Halimi qui a été pris « d’une bouffée délirante » au moment des faits, suite à une consommation importante de cannabis, l’irresponsabilité pénale ne pourrait être établie.« Sur le principe, c’était une bonne idée. Il s’agissait d’appliquer en matière pénale le principe selon lequel, nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude. Mais en pratique, ni les magistrats, ni les professeurs de droit ne pensent qu’il faut modifier l’article 122-1 du code pénal. C’est ce qui est ressorti de nos auditions », explique la rapporteure de la proposition de loi.Contactée par publicsenat.fr le mois dernier, la présidente de l’Union syndicale des magistrats (USM), Céline Parisot mettait en avant les difficultés d’une telle réforme. « On ne peut pas avoir une réglementation aussi nette. Il y a une zone grise où vous pouvez prendre des produits toxiques et avoir un terrain pathologique », prévient Céline Parisot. Une telle réforme posera de nombreuses questions : « L’auto-intoxication est-elle délibérée ? Est-ce qu’elle vient sur un terrain pathologique ? Est-ce un déclencheur ou un facilitateur du passage à l’acte ? » interrogeait-elle.

La question de l’irresponsabilité pénale renvoyée devant les juges du fond

En commission, les sénateurs ont donc adopté un amendement de Nathalie Goulet qui « écrase » l’article 1 du texte originel. « Plutôt qu’une modification de l’article 122-1 du Code pénal, il apparaît utile de prévoir un renvoi devant la juridiction du fond quand le fait fautif du mis en examen est, au moins partiellement, la cause de l’abolition de son discernement. Ce sera donc au Tribunal correctionnel ou à la Cour d’Assises de se prononcer sur l’application de l’article 122-1 […] Conformément aux principes de notre droit pénal il n’est pas possible de juger une personne dont le discernement a été aboli de façon définitive. Le renvoi devant le juge du fond ne sera donc possible qu’en cas d’abolition temporaire du discernement », lit-on dans l’exposé des motifs.« Ça permettra aux victimes d’avoir un procès » souligne la sénatrice centriste qui rappelle le chiffre de « 350 non-lieux pour irresponsabilité pénale par an ». « En 2018, il y a eu plus de 13 000 classements sans suite pour irresponsabilité pénale ».Un autre apport adopté en commission fait de la consommation de stupéfiants et d’alcool une circonstance aggravante pour l’ensemble des crimes et délits. « Aujourd’hui, le code pénal ne considère pas que la prise de substances est une circonstance aggravante pour les meurtres ou les actes de barbarie par exemple. Alors que c’est le cas pour les viols, les violences, les homicides involontaires et blessures commises par les conducteurs de véhicules » rappelle la rapporteure, auteur de l’amendement.

L’espoir de voir un texte « billonisé »

Le texte sera examiné en séance publique le 25 mai. Les débats avec le garde des Sceaux s’annoncent tendus. Les élus de la Haute assemblée ont peu apprécié l’annonce par Éric Dupond-Moretti d’un nouveau projet de loi sur l’irresponsabilité pénale présenté « fin mai » en Conseil des ministres, en vue d’un vote « par le Parlement à l’été ». « On sait bien qu’en période électorale et à un an d’une élection présidentielle, le gouvernement ne veut pas faire plaisir au Sénat. On ne dit pas que le nôtre texte est parfait mais l’exécutif et l’Assemblée pourraient s’en saisir pour l’améliorer si besoin » plaide Nathalie Goulet qui espère toujours que son texte sera « billonisé ». Une référence à la proposition de loi de la sénatrice centriste, Annick Billon sur les crimes sexuels, qui après son inscription rapide à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale par le gouvernement, a été adoptée à l’unanimité des deux chambres.

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