ISF : le Sénat en franc-tireur dans l’évaluation des réformes fiscales

ISF : le Sénat en franc-tireur dans l’évaluation des réformes fiscales

Le président de la commission des Finances et le rapporteur général s’attellent depuis plusieurs semaines à une évaluation des réformes fiscales lancées par le gouvernement, dont la suppression controversée de l’impôt de solidarité sur la fortune, l’ISF. Pour ne pas dépendre des seules conclusions de l’exécutif.
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Sauf improbable coup de théâtre, le retour de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ne devrait pas se trouver au menu des annonces d’Emmanuel Macron le jeudi 25 avril. Revendication phare du mouvement des gilets jaunes, le rétablissement plein et entier de cet impôt, limité depuis 2018 au seul patrimoine immobilier, a été exclu dès le mois de décembre par le président de la République. Le chef de l’État s’engagerait cependant à « apporter toutes les modifications et corrections nécessaires », s’il s’avérait que la réforme n’avait pas porté ses fruits. Concrètement, l’allègement de la fiscalité sur les plus fortunés s’est-il traduit par des investissements massifs vers les entreprises et l’économie productive ? La théorie du « ruissellement » s’est-elle vérifiée ?

Pour répondre à cette question, l’exécutif compte sur le résultat de l’évaluation des réformes fiscales de fin 2017. Aux premiers rangs desquels l’instauration d’un prélèvement forfaitaire unique sur les revenus du capital (à 30 %) et surtout, la transformation de l’ISF en impôt sur la fortune immobilière (IFI). Comme le gouvernement l’avait annoncé, un comité d’évaluation a été mis en place pour analyser les effets de ces réformes emblématiques du début du quinquennat. Notamment les investissements en direction des entreprises, ou encore la répartition des richesses. Installée le 20 décembre, cette mission est placée sous l’égide de France Stratégie et du Conseil d'analyse économique, deux organes d’expertises qui dépendent directement de Matignon.

En vertu de sa mission d’évaluation des politiques publiques, le Sénat s’est lui aussi saisi, en parallèle, de la question. Certains observateurs seront tentés d’y voir une nouvelle affirmation de ce pouvoir non aligné, après la commission d’enquête sur l’affaire Benalla. Ce sont deux sénateurs qui passent au crible la réforme : le président de la commission des Finances, le socialiste Vincent Éblé, et le rapporteur général du Budget, Albéric de Montgolfier (LR). Grâce à la LOLF (loi organique relative aux lois de finances), ces deux parlementaires disposent de pouvoirs d’investigation très étendus, dont ils comptent bien faire usage : des contrôles « sur pièces et sur place », et des auditions d’acteurs, qui ont l’obligation d’y répondre. « Nous avons tout un panel d’outils qui doit nous permettre de conduire notre propre évaluation, distinctement de celle du gouvernement », résume Vincent Éblé.

Refus du Sénat de prendre part à la mission conduite par France Stratégie

Parmi les 14 membres de la mission d’évaluation missionnée par le gouvernement, on compte une députée, issue de la majorité : Nadia Hai (La République en marche). Mais aussi des économistes, des personnalités, mais surtout quatre représentants de l’administration, donc liés au gouvernement. À l’origine, ce n’est pas un, mais deux parlementaires qui devaient être intégrés à ces travaux. Le deuxième devait être un sénateur. Le Sénat a préféré refuser. « J’avais indiqué à Gérard Larcher que je n’y étais pas favorable. Nous n’avons pas vocation à intégrer des comités d’experts. Nous les auditionnons, mais nous n’y participons pas, car nous participons à la prise de décision ultime », justifie le président de la commission des Finances. Il ne s’agissait pas seulement d’éviter un mélange des genres. Une autre raison est mise en avant : une seule place n’aurait pas permis de représenter le pluralisme politique du Sénat.

Les travaux du tandem de la commission des Finances ont déjà débuté. Un cycle d’auditions individuelles a été amorcé, un questionnaire a été adressé au ministère des Finances et à l’administration fiscale. Le Sénat a également confié des « enquêtes spécialisées » à des organismes sélectionnés après un appel d’offres.

La commission des Finances a également eu l’occasion de réunir plusieurs experts lors d’une table ronde, le 8 avril dernier. Parmi les spécialistes présents (étaient représentés l’institut Coe-Rexecode, l’OCDE ou encore l’école Normale supérieure de Lyon), beaucoup ont souligné qu’il était encore trop tôt pour évoluer les effets de « ruissellement » de la suppression partielle de l’ISF.

Les avocats fiscalistes ne constatent pas de retour d’exilés fiscaux

Jeudi dernier, une étude a particulièrement retenu l’attention du président de la commission des Finances du Sénat : le 6e baromètre du don ISF-IFI, réalisé par Ipsos pour les Apprentis d’Auteuil. Peu nombreux sont les gagnants de la transformation de l’ISF en IFI à avoir orienté l’argent économisé vers les entreprises. Ils n’étaient que 29 % l’an dernier dans cette situation, selon ce panel de 300 familles. « Cela va dans le sens de la crainte qu’avait un certain nombre d’entre nous », commente le socialiste Vincent Éblé. « Cela ne correspondant pas à la justification politique qui avait été avancée par le pouvoir exécutif, au moment de la réforme. » Ses collègues socialistes avaient d’ailleurs tenté, en vain, de lancer un référendum d’initiative partagé pour rétablir l’ISF. Ils n’ont pas trouvé un nombre suffisant d’alliés dans les autres groupes pour atteindre le seuil nécessaire au déclenchement du processus référendaire.

Quant à l’évolution du consentement à l’impôt, c’était l’occasion de partager un premier ressenti. « Je n'ai pas constaté de retours d'exil fiscal liés à la création de l'IFI […] En revanche, je connais plusieurs contribuables qui ont renoncé à s'exiler », a déclaré Luc Jaillais, coprésident de la commission fiscalité du patrimoine de l'Institut des avocats conseils fiscaux (IACF), organisation qui représente 1 500 membres.

Un rapport attendu à la fin de l’été ou au début de l’automne

De son côté, le Républicain Albéric de Montgolfier, s’interroge sur l’assiette retenue pour l’impôt sur la fortune immobilière, qui serait devenu, selon lui, l’ « impôt des petits riches ». Il déplore que des placements de type lingots d’or, emprunts d’État étrangers, ou encore bitcoins, soient exclus du calcul de l’impôt.

Pour faciliter ses investigations, la commission des Finances espère muscler prochainement son arsenal. Elle a demandé le 10 avril au gouvernement un accès total aux bases de données fiscales sur les contribuables (relire notre article). Le président de la commission des Finances, et le rapporteur général, peuvent, certes, déjà se rendre sur place et avoir accès aux documents protégés par le secret fiscal. Un accès permanent, à la source, à distance, à des données informatisées permettrait de réaliser des simulations budgétaires et macroéconomiques. Deux semaines ont passé, la demande des parlementaires n’est toujours pas satisfaite. « Les choses avancent doucement, un peu trop doucement », constate Vincent Éblé.

Les deux sénateurs devraient livrer leurs conclusions « d’ici à la fin de l’été », ou alors dès la rentrée parlementaire. L’idée du calendrier étant d’être prêt avant l’examen du projet de loi de finances pour 2020, le grand rendez-vous automnal où sont votées les dépenses et les recettes de l’État. Le rapport produit par les experts autour de France Stratégie sera remis à la même époque.

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