Jean-François Delfraissy « reste positif sur une sortie de crise à l’automne 2021 grâce aux vaccins »

Jean-François Delfraissy « reste positif sur une sortie de crise à l’automne 2021 grâce aux vaccins »

Jean-François Delfraissy est depuis plus d’un an une des figures de la lutte contre la pandémie en tant que président du Conseil scientifique. Mais ce n’est pas à ce titre que la commission des Affaires sociales l’a auditionné ce mercredi 24 mars. Le professeur Delfraissy est en effet par ailleurs candidat à sa succession au poste de président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), autorité indépendante chargée de rendre des avis sur les dimensions sociales et éthiques des questions soulevées par les progrès scientifiques.
Louis Mollier-Sabet

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C’est bien en tant que candidat que Jean-François Delfraissy a été auditionné aujourd’hui par les sénateurs et les sénatrices de la commission des Affaires sociales, comme prévu par l’article 13 de la Constitution. Cette procédure confère en effet aux commissions parlementaires le pouvoir de contrôler certaines nominations effectuées par le Président de la République, comme les membres du Conseil Constitutionnel, le Défenseur des droits ou les présidents des autorités administratives indépendantes comme le CCNE. En l’occurrence, la candidature de Jean-François Delfraissy à sa propre succession est proposée par Emmanuel Macron aux commissions des Affaires sociales de l’Assemblée nationale et du Sénat, dont au moins 3/5 des membres doivent l’approuver pour qu’elle soit validée. Ces conditions ont été largement satisfaites puisque 40 parlementaires ont approuvé sa candidature, quand seulement 3 l’ont rejetée.

Une « ouverture à la société civile » d’un « club d’intellos parisiens »

"Le CCNE est une très belle instance, mais qui fait un peu club d’intello parisien" (Pr Delfraissy)
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Président du CCNE depuis 2017, Jean-François Delfraissy est d’abord revenu sur la façon dont il voulait faire évoluer cette instance un peu particulière : « Notre mission est d’assurer le débat éthique, toutes les avancées de la science ne sont pas bonnes à prendre en tant que telles. […] Nous avons une très belle expérience d’ouverture vis-à-vis de la société civile et des territoires avec les états généraux de la bioéthique. » En effet, pour son président, « le CCNE est une très belle instance, mais qui fait un peu « club d’intellos parisiens » alors que les Français sont beaucoup plus intelligents qu’on ne le pense et peuvent s’intéresser à des questions très complexes qui vont transformer leur vie. »

Ainsi pour allier « la vision des sachants » et « la vision citoyenne », le CCNE se nourrit de son partenariat avec un réseau régional d’espaces de réflexion éthique régional (ERER) que Jean-François Delfraissy se propose de développer, en faisant participer des membres de ces espaces régionaux aux groupes de travail mis en place par le CCNE.

Fin de vie : « Nous ne donnerons pas un avis sur telle ou telle proposition de loi »

Fin de vie : « Nous ne donnerons pas un avis sur telle ou telle proposition de loi. » Pr Delfraissy
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Au cœur de cette mission d’assurer le « débat éthique » figure un rendez-vous quinquennal qui rythme le travail du CCNE avec la loi de bioéthique, censée être discutée au Parlement tous les 5 ans, en l’état actuel de la législation. Or ce projet de loi vient d’être adopté en deuxième lecture au Sénat le 3 février dernier, et le sujet de la fin de vie reste en suspens, en témoignent les diverses propositions de loi déposées à ce sujet, comme celle de Marie-Pierre de La Gontrie discutée le 11 mars au Sénat. « Sur la fin de vie je vous rappelle que dans notre compréhension, ce thème ne faisait pas partie de la révision de la loi de bioéthique », rappelle d’emblée Jean-François Delfraissy aux sénateurs l’interrogeant sur l’avis du CCNE à ce propos. Le président du CCNE a tout de même confié souhaiter « ne pas passer à côté de ce débat » et a donc rappelé le contenu d’un avis d’octobre 2018 sur le sujet : « Notre position était de dire que la loi Claeys-Leonetti était assez solide, mais insuffisamment connue et appliquée à la fois par les professionnels et les familles. »

Le professeur Delfraissy poursuit : « Nous ne sommes pas revenus sur le sujet depuis, mais cette question reste prégnante. Malgré les difficultés, il fallait donc que l’on y retourne. Nous sommes en train de constituer un nouveau groupe de travail sur le sujet, qui devrait commencer à travailler à partir du mois d’avril. » Mais l’objectif reste, conformément aux missions du CCNE, d’ouvrir certaines réflexions et d’actualiser le débat « de façon à prendre un peu de temps ». « Nous ne donnerons pas un avis sur telle ou telle proposition de loi, nous ne sommes pas vraiment dans l’opérationnel », répond ainsi Jean-François Delfraissy face aux interrogations des sénateurs.

Conseil scientifique : « On ne quitte pas un navire quand les choses ne vont pas bien. »

Mais comme on pouvait s’y attendre, la discussion ne s’est pas cantonnée aux enjeux de bioéthique et Jean-François Delfraissy a dû assumer sa double casquette de président candidat du CCNE et de président du Conseil scientifique. Conscient des difficultés posées par « la dualité de la fonction », le professeur Delfraissy a tenu à rappeler ses intentions en mars dernier : « Pendant cette période de crise sanitaire, je me suis mis en débord du CCNE. J’avais demandé que la mission du Conseil scientifique s’arrête en juillet, où le CCNE était dans un processus de renouvellement pendant lequel je ne pouvais pas le laisser sans un patron à bord. » Le président du CCNE tient ainsi à signifier ses priorités : « Fondamentalement c’est le CCNE qui est ma vision. »

D’autant plus que la situation sanitaire est encore « très difficile », mais qu’à long terme, Jean-François Delfraissy « reste positif sur une sortie de crise à l’automne 2021 » et que son mandat de président du Conseil scientifique ne devrait donc pas s’éterniser encore longtemps. Le président du CCNE justifie par ailleurs ce choix d’assurer cette double fonction : « Il y a cet enjeu de quelques mois à passer. On ne quitte pas un navire quand les choses ne vont pas bien, personne n’est irremplaçable, mais ce n’est pas dans mon éthique personnelle. »

Vaccination des soignants : « Ne pas rentrer dans une démarche d’obligation. »

Vaccination des soignants : « Ne pas rentrer dans une démarche d’obligation. » Pr Delfraissy
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Si le Conseil scientifique et le CCNE ne s’inscrivent donc pas dans les mêmes échelles temporelles, cela n’empêche pas le CCNE de participer aux réflexions autour de la crise sanitaire et Jean-François Delfraissy a annoncé qu’un avis serait rendu « dans les 48h » sur les « problèmes portés par les vaccins. » Sans divulguer exactement ce que ces avis contiendront, le professeur Delfraissy dessine les contours des sujets qui seront abordés. D’abord concernant « nos anciens qui n’ont pas voulu se faire vacciner dans les Ehpad », Jean-François Delfraissy réitère d’abord son constat sur la première vague et les améliorations qui ont suivi : « Un de mes regrets en tant que médecin c’est une gestion insuffisamment humaine et adaptée durant la 1re vague dans les Ehpad. Depuis, le vaccin a été priorisé pour cette population, même si ça ne change pas la pression sur les services de réanimation, on protège nos plus anciens. » Mais cette couverture vaccinale pose maintenant des questions : « Alors qu’on a 85 % de vaccinés, quels degrés de liberté peuvent être mis en place en fonction de la vaccination ou non des résidents ? », demande le président du CCNE.

Un autre sujet qui a attiré l’attention du CCNE, c’est l’obligation vaccinale, et notamment pour les soignants. « Nous n’avons que 50 % des soignants vaccinés, mais avec une forte disparité : 70 % des médecins, 40 % des infirmières et 30 % pour les aides-soignantes et les personnels médico-sociaux en Ehpad » constate Jean-François Delfraissy. Il poursuit : « Avant de rentrer dans l’obligation il faut voir ce que l’on a proposé comme type de vaccin au personnel soignant et si ceux-là ont véritablement eu accès aux vaccins. L’idée générale est de ne pas rentrer dans une démarche d’obligation mais que l’on doit arriver progressivement à une couverture vaccinale beaucoup plus importante chez les soignants. »

Pass sanitaire : « Il est urgent de ne pas prendre de décision. »

Pass sanitaire : "Il est urgent de ne pas prendre de décision." Pr Delfraissy
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Enfin, le CCNE réfléchit dans cet avis aux implications éthiques que pourrait avoir la mise en place d’un pass sanitaire. Jean-François Delfraissy revient d’abord sur la logique qui motiverait un tel choix : « On sait depuis très peu de temps […] que le vaccin protège contre la transmission. On savait qu’il protégeait contre les formes graves, mais les données israéliennes et anglaises suggèrent qu’il y a une protection contre la transmission. » Par conséquent, un pass sanitaire pourrait faire figurer la vaccination, l’infection préalable au covid-19 et la présence d’une quantité suffisante d’anticorps ou un test négatif fait dans les dernières 48h, afin d’autoriser l’accès à certains lieux aujourd’hui fermés.

Si le CCNE s’est saisi de cette question, c’est que « cela dépasse la vision vaccinale et que cela pose des questions d’un point de vue éthique et sur les données individuelles ». Ainsi le professeur Delfraissy « ressen [t] que cette question est éminemment sur la table et que nos concitoyens attendent ça pour trouver des éléments de sortie de crise, notamment les plus jeunes. » Face à ce constat, des questions complexes se posent : « Comment instaurer un pass sanitaire quand une partie de la population n’a pas eu accès au vaccin ? » Jean-François Delfraissy poursuit la réflexion en évoquant la possibilité d’un « pass sanitaire pour les populations plus âgées vaccinées » mais qui poserait aussi des questions en termes d’égalité face aux mesures sanitaires.

On prête à Henri Queuille, président du Conseil dans un autre moment critique de l’histoire de France (1948-1949) le trait d’esprit « Il n’est pas de problème qu’une absence de solution ne finisse par résoudre ». Face aux problèmes éthiques soulevés par l’obligation vaccinale et le pass sanitaire, le professeur Delfraissy semble faire sienne cette maxime : « Il est urgent de ne pas prendre de décision », conclut-il.

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