Jean-François Guégan : « 75% des nouvelles infections apparues chez l’humain sont d’origine animale »

Jean-François Guégan : « 75% des nouvelles infections apparues chez l’humain sont d’origine animale »

Elevage, déforestation, trafic d'animaux… L’activité humaine, par son impact sur l’environnement, favorise l'apparition de nouvelles épidémies. Auditionné au Sénat par la commission du développement durable, le professeur Jean-François Guégan a défendu une approche préventive et pluridisciplinaire pour mieux anticiper les épidémies de demain.
Public Sénat

Par Fabien Recker

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L'épidémie de coronavirus est un avertissement. Directeur de recherche à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), Jean-François Guégan travaille sur les liens entre santé et environnement. Selon lui, l'activité humaine a une incidence directe sur l’émergence de nouvelles épidémies.

« La diversité biologique abrite des milliards de micro-organismes » a rappelé Jean-François Guégan aux sénateurs. L'intensification de l’activité humaine et le recul des zones naturelles amènent les individus « à entrer en contact avec des germes microbiens présents depuis la nuit des temps ». Dans une récente interview au Monde, le chercheur mettait en garde contre la possibilité de voir surgir « des monstres autrement plus violents que le coronavirus » si rien n’était entrepris pour réduire l’impact de l'activité humaine sur les espaces naturels.

La pauvreté, facteur aggravant

Le chercheur pointe notamment la déforestation et l’élevage. La présence d’animaux d’élevage dans les zones périurbaines des grandes villes dans les pays chauds favorise la transmission des pathogènes, les animaux jouant le rôle de vecteur. « Depuis 50 à 60 ans, 75% des nouvelles infections apparues chez l’humain sont d’origine animale » a souligné le scientifique. Dès lors, l’intensification agricole dans les pays émergents « joue le rôle de starter » dans le phénomène épidémique.

« Ces sujets deviennent un problème de médecine mais ne le sont pas au départ » a insisté Jean-François Guégan. « Nous sommes dans des interfaces de problèmes, entre la biologie, l’agriculture, la sociologie, en amont de la médecine. Le développement des activités humaines et la pauvreté des populations constituent le lit des infections dans les zone intertropicales » a-t-il rappelé. Il en va de même pour le trafic d’animaux sauvages, autre facteur de risques. « Ces trafics sont toujours associés à des populations extrêmement pauvres. Il s’agit d’une problématique de développement durable ».

Retour au terrain

Dès lors, le chercheur préconise « un retour au terrain » afin de « comprendre la réalité du monde ». Une culture du terrain que la médecine française aurait en partie abandonné, mais qui subsiste « chez les médecins de certaines ONG ou à l’IRD (Institut de recherche sur le développement, n.d.l.r.). Des médecins de terrain qui connaissent les sociétés et ne font pas que de la biologie, mais qui appréhendent les interfaces avec l’environnement, avec des facteurs comme la pauvreté. » Devant les sénateurs, Jean-François Guégan a critiqué un « formalisme de la science » en France.

« Je considère que nous avons armé notre système de recherche nationale pour comprendre les infections mais pas pour faire de la veille ni les anticiper » regrette Jean-François Guégan. « Nous avons des casernes de pompiers (...) mais nous sommes peu à travailler à la compréhension de l'émergence du feu ». A peine « 5 ou 6 chercheurs seniors en France » selon M. Guégan, quand les anglo-saxons dominent la discipline.

« Il n’y a pas de stratégie française de recherche cohérente en la matière » retient le sénateur (RDSE) de Loire-Atlantique Ronan Dantec à l’issue de l’audition. « Il faut une nouvelle stratégie pour associer les organismes de recherche et l’AFD (Agence française pour le développement, n.d.l.r.). Il y a notamment un enjeu en Guyane, où il y a beaucoup de potentiel en matière de virus et de bactéries. »

« Le trafic d'espèces doit cesser »

Outre le renforcement des crédits alloués à la recherche préventive dans les régions qui sont de potentiels foyers épidémiques, Jean-François Guégan préconise une « culture du bénéfice-risque » dans les logiques d’aide au développement. « Il faut faire comprendre aux dirigeants et aux populations quels sont les risques sanitaires liés au développement agricole ». Le chercheur appelle également à développer les espaces naturels protégés et à lutter contre la déforestation. 

« On ne va pas résoudre ces questions en 5 minutes » reconnaît Ronan Dantec, qui identifie cependant un objectif à court terme. « Le trafic d’espèces doit cesser » affirme le sénateur. « La communauté internationale peut s’en donner les moyens » lors des prochaines négociations sur la biodiversité, « et la Chine doit montrer l’exemple». Le phénomène des « nouveaux animaux de compagnies » (NAC) « est un facteur de risques très fort » souligne Ronan Dantec. « Il faut renforcer les moyens des gendarmes de l’OCLAESP (Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique, n.d.l.r.) et mobiliser les douanes là-dessus. On n’y met pas les même moyens que sur le trafic de drogue, alors qu’en termes de risques c’est très important. »


 

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