Justice pénale : le Sénat veut mettre fin aux lois d’émotion

Justice pénale : le Sénat veut mettre fin aux lois d’émotion

Quelques semaines avant le lancement des Etats généraux de la justice par le gouvernement, le Sénat formule 16 propositions destinées à renouer la confiance des citoyens envers leurs institutions judiciaires. Selon un sondage CSA Research commandé par la Haute assemblée, 53 % des Français déclarent ne pas avoir confiance en la justice.
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« Pourquoi débattre aujourd’hui de la confiance en la justice alors que le président de la République a annoncé des Etats généraux pour l’automne, et que le Sénat examinera demain le projet de loi éponyme ? ». C’est la question (rhétorique) lancée par Gérard Larcher, le Président du Sénat, en introduction de cette « agora de la justice » qui rassemblait sénateurs, magistrats, avocats, greffiers, et représentants des services pénitentiaires.

« Les interférences entre pouvoir politique et autorités judiciaires écornent notre état de droit »

En effet, car en la matière, la Haute assemblée n’a pas été avare en propositions depuis le début du quinquennat. Pour n’en citer qu’une : le rapport transpartisan de 2017 intitulé : « 5 ans pour sauver la justice » (voir notre article).

« La justice est au cœur du débat politique depuis longtemps. La situation se dégrade. Les interférences entre pouvoir politique et autorités judiciaires occupent l’espace médiatique […] et écorne notre état de droit », a rappelé Gérard Larcher qui n’oublie pas que si la justice est une institution, elle est aussi un service public.

Un sondage réalisé par le CSA Research en septembre 2021 pour le Sénat est, à ce sujet, riche d’enseignements. « Quand vous parlez du système judiciaire français, vous avez à peine un Français sur deux qui déclare le connaître (49 %) », a révélé Julie Gaillot, directrice du pôle Society, CSA Research. 53 % déclarent ne pas avoir confiance en la justice

En ce qui concerne l’image de la Justice, elle est très mitigée. 93 % la trouve lente, 69 % opaque, 68 % laxiste, 67 % qu’elle est éloignée d’eux. « Alors forcément on aboutit à ce constat : 53 % des Français n’ont pas confiance en la justice […] seulement 31 % des Français déclarent que s’ils étaient en situation de litige juridique, ils saisiraient, sans hésiter, les juridictions compétentes, 59 % en dernier recours et 10 % ne les saisiraient pas », a poursuivi Julie Gaillot.

93 % des Français favorables à un durcissement des peines

Paradoxalement, les Français ont majoritairement confiance en ceux qui incarnent la justice : greffiers (70 %), médiateurs (66 %), jurés (63 %), juges (58 %), procureurs (56 %), avocats (56 %), huissiers (55 %). Autre enseignement de ce sondage, les Français appuient massivement pour une amélioration de l’exécution des décisions de justice (95 %), pour un recours à la médiation dans les affaires civiles 90 %, et dans une moindre mesure pour la mise en place d’une justice numérique (56 %).

De quoi apporter de l’eau au moulin de la commission des lois du Sénat, qui parmi ses 16 propositions présentées ce lundi, demande la mise à niveau des effectifs dans les juridictions, une accélération de la numérisation du service public de la justice, la poursuite du plan de recrutement et la formation des conciliateurs de justice, ou encore la mise en place d’un tribunal des affaires économiques auquel serait notamment confié tout le contentieux de la prévention et du traitement des difficultés des entreprises. Cette dernière proposition figure dans le rapport d’information du Sénat « sur le droit des entreprises en difficulté à l’épreuve de la crise ».

En matière pénale, les résultats du sondage sont également sévères pour l’institution judiciaire. Seulement 30 % des Français considèrent les sanctions adaptées pour les faits de petite délinquance. 94 % des sondés plaident pour améliorer l’exécution effective des peines, 93 % sont pour durcir les peines, 84 % pour construire plus de places de prison.

« Communiquer pour la justice est devenu une exigence démocratique pour la justice »

« La crise de confiance est bien réelle […] Elle est due à deux choses. D’abord, des raisons structurelles et ensuite le rôle croissant des médias et des réseaux sociaux qui contribuent à modifier le regard du citoyen sur la justice […] Communiquer pour la justice est devenue une exigence démocratique pour la justice », a constaté François Molins. Le procureur général près la Cour de cassation juge par ailleurs les résultats du sondage « contradictoires ». « On reproche à la justice d’être laxiste au moment où le Conseil de l’Europe cible la France comme le dernier de la classe en termes de prononcés de peines fermes, en disant : ça recule partout sauf chez vous ».

Le magistrat demande « plus de pédagogie à l’égard de la presse » pour faire comprendre les décisions par l’intermédiaire « d’un porte-parole dans chaque tribunal ».

A la veille de l’examen au Sénat du projet de loi confiance dans l’institution judiciaire, déjà adopté à l’Assemblée nationale, le rapporteur centriste du texte, Philippe Bonnecarrère a lui aussi rappelé que le taux de réponses pénales avait augmenté depuis 20 ans et a signifié les propositions du Sénat en matière pénale : rationaliser la liste des infractions et mettre fin à l’inflation législative dans ce domaine, augmenter le nombre d’officiers de police judiciaire, accrpoître le nombre de places de prison, en diversifiant les modalités de prise en charge des personnes détenues.

Et alors que le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, vient d’annoncer le remplacement du rappel à la loi par un « avertissement pénal probatoire », le président de la commission des lois, François-Noël Buffet a indiqué que l’amendement était arrivé ce lundi à la Haute assemblée. « La commission des lois décidera demain matin de son sort ». François Molins a lui, regretté « l’absence d’étude d’impact de cette mesure ».

Quant à l’objectif d’une réforme du Code procédure pénale en trois mois, lancé par Emmanuel Macron, il a été jugé « irréaliste », par l’ensemble des professionnels de la justice.

A l’approche de l’examen du budget, Philippe Bas a reconnu « qu’au cours des deux dernières années, les propositions qui sont faites dans le budget de l’Etat sont plus favorables ». « Néanmoins la sous-consommation des crédits dans le ministère de la Justice est une préoccupation majeure », a-t-il prévenu. Pour mémoire, le budget du ministère de la Justice en 2021, avait connu une hausse de 8 %.

« J’en ai par-dessus la tête de venir voter, tous les quatre matins, des lois d’émotion qui ne vont rien changer »

En conclusion, Gérard Larcher, mais aussi Philippe Bas sont revenus sur leurs propres responsabilités en matière de justice. « J’en ai par-dessus la tête de venir voter, tous les quatre matins, des lois d’émotion qui ne vont rien changer », s’est agacé le sénateur de la Manche. Quelques minutes plus tard, Gérard Larcher complète : « Je me suis toujours élevé contre ce que j’appelle le syndrome du mardi. Il arrive un drame dans le pays, et le mardi le Parlement ou du moins la majorité est convoquée par l’exécutif pour qu’on fasse, dans les huit jours, un texte. Et vous vous apercevez après analyse que nous avions tous les moyens pour faire face ». Une façon de rappeler l’intérêt du bicamérisme et le rôle du Sénat.

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