Vote par anticipation à la présidentielle : pourquoi l’amendement du gouvernement « n’ira pas au bout »
L’amendement du gouvernement sur le vote par anticipation pour la présidentielle serait-il déjà enterré ? Face à la levée de boucliers, la mesure pourrait ne pas être conservée. Surtout, son rejet par les sénateurs, qui ne fait pas de doute, mettra fin au débat, en raison de la règle de l’entonnoir législatif. Elle empêchera le gouvernement de redéposer l’amendement à l’Assemblée.

Vote par anticipation à la présidentielle : pourquoi l’amendement du gouvernement « n’ira pas au bout »

L’amendement du gouvernement sur le vote par anticipation pour la présidentielle serait-il déjà enterré ? Face à la levée de boucliers, la mesure pourrait ne pas être conservée. Surtout, son rejet par les sénateurs, qui ne fait pas de doute, mettra fin au débat, en raison de la règle de l’entonnoir législatif. Elle empêchera le gouvernement de redéposer l’amendement à l’Assemblée.
Public Sénat

Temps de lecture :

7 min

Publié le

Mis à jour le

A peine déposé, déjà mort-né ? L’amendement polémique du gouvernement qui vise à instaurer la possibilité d’un vote par anticipation pour la présidentielle pourrait ne pas aller au bout. Il a été déposé au dernier moment dans le cadre de l’examen du projet de loi organique sur la présidentielle. Une partie de l’opposition, comme Bruno Retailleau, dénonce une « magouille » politique de l’Elysée (lire ici).

Risques sur le plan constitutionnel

La mesure semble par ailleurs très incertaine sur le plan du droit. Le risque de censure par le Conseil constitutionnel est élevé (lire notre article sur le sujet). « Le Conseil doit être fou furieux. C’est le juge de l’élection, et il n’a pas été consulté » glisse un spécialiste du droit.

Le gouvernement pourrait en réalité vite arrêter les frais. « Le gouvernement ouvre le débat et n’imposera rien. C’est l’Assemblée et le Sénat qui voteront et décideront » a semblé dégoupiller ce matin sur France 2 Christophe Castaner, président du groupe LREM de l’Assemblée. « Je pense qu’on ne va pas s’acharner sur le sujet. Le Sénat va dire non. Et vue la levée de boucliers, je ne suis pas sûr que ça aille au bout » confie à publicsenat.fr un conseiller ministériel, d’autant « qu’il faudrait faire du gymkhana parlementaire ». Autrement dit, quelques acrobaties périlleuses. « Ça n’ira pas au bout » confirme un responsable de la majorité présidentielle.

L’amendement vient de l’Intérieur mais l’idée de l’Elysée

C’est le ministère de l’Intérieur, qui est chargé des élections, qui a déposé cet amendement. Mais l’idée vient en réalité de l’Elysée, selon plusieurs sources. L’objectif affiché est de répondre à l’abstention grandissante. Des motivations sanitaires sont aussi évoquées, afin de réguler les flux des votants qui ne viendraient ainsi pas tous voter le même jour, si l’épidémie était encore forte en 2022.

L’amendement a été déposé par le gouvernement au tout dernier moment, mardi, soit après l’examen du rapport de la commission. Le rapporteur du texte au Sénat, Stéphane Le Rudulier, en a juste été informé de manière informelle, lundi soir, par le ministère de l’Intérieur. On fait mieux, en termes de consultation politique, dont Beauvau était semble-t-il chargé. Certains observateurs y voient une volonté de l’Intérieur de traîner des pieds sur une mesure difficile à défendre et à mettre en œuvre au dernier moment.

Le vote électronique, une promesse de campagne d’Emmanuel Macron

Pourquoi cette mesure arrive maintenant, comme « un cheveu sur la soupe », selon l’expression du président du groupe centriste, Hervé Marseille ? « Tout ça a été décidé et validé lors d’une réunion interministérielle, la semaine dernière » explique-t-on du côté du ministère de l’Intérieur, où on souligne que certains, notamment au Modem, demandaient une modernisation du scrutin depuis un moment. Surtout, « le vote électronique est une promesse de campagne du Président Macron » rappelle-t-on. Ce n’est certainement pas la promesse la plus connue, mais c’est vrai. « Plus d’efficacité, c’est aussi plus de numérique : nous avons besoin de numériser notre démocratie, en instituant un vote électronique qui élargira la participation, réduira les coûts des élections et modernisera l’image de la politique » peut-on lire dans le programme de 2017. En revanche, le vote anticipé n’y figure pas.

Si la mesure était adoptée, il faudrait plancher sur de nouvelles machines à voter, sur lesquelles un moratoire existe depuis 2007. « Ça fait partie des sujets » reconnaît-on à l’Intérieur, qui, pour la suite, attend de voir ce que donneront les débats parlementaires. C’est Marlène Schiappa qui siégera au banc des ministres demain à la Haute assemblée pour défendre le texte. Sans trahir de suspens, la mesure sera rejetée par la majorité de droite et du centre du Sénat, qui a déjà donné un avis défavorable ce matin en commission, après 50 minutes de débats sur le sujet. Une répétition avant la séance…

Le gouvernement s’est mis « dans la main » du Sénat

Mais pour compliquer l’affaire, le gouvernement s’est mis tout seul dans le pétrin, comme un grand. « Ils sortent ça à l’arrache. Mais ce qui me surprend, c’est qu’ils ne l’aient pas proposé à l’Assemblée. Car sur le plan de la technique parlementaire, ils se mettent dans la main du Sénat. Si le Sénat n’adopte pas l’amendement, c’est fini » souligne un observateur avisé. La faute à la « règle de l’entonnoir ». Dans la procédure parlementaire, on ne peut pas aborder en deuxième lecture ou en nouvelle lecture, après la commission mixte paritaire, des points qui n’ont pas été adoptés en première lecture. D’où l’image de l’entonnoir.

Selon une décision du Conseil constitutionnel de 2006, les amendements déposés par les parlementaires ou le gouvernement après la première lecture « doivent être en relation directe avec une disposition restant en discussion » dans le texte, sauf certaines exceptions. Or l’amendement du gouvernement sur le vote anticipé concerne l’article 2, qui porte sur les comptes de campagne, le vote à distance des détenus ou les parrainages. Le vote par anticipation sur des machines à voter n’a donc pas de « relation directe » avec l’objet de l’article.

Une mesure ne peut arriver ni par enchantement, ni par la volonté de Jupiter

Un vote conforme de l’article, c’est-à-dire à l’identique des députés, aurait aussi rendu impossible toute modification. Ce ne sera pas le cas ici, après les modifications des sénateurs en commission. Mais ça ne change rien, toujours en raison de l’entonnoir législatif.

Si l’amendement avait en revanche été présenté et adopté à l’Assemblée – hypothèse probable grâce à la majorité LREM/Modem – le gouvernement aurait les mains libres. Il pourrait réintroduire sa mesure, même après un rejet des sénateurs. C’est le fameux « dernier mot » des députés. Mais une mesure ne peut pas arriver comme par enchantement, ni même par la volonté de Jupiter, au dernier moment.

« S’ils osent ça, c’est vraiment qu’ils osent tout »

Reste une autre solution, si l’exécutif tient vraiment au vote anticipé : présenter un nouveau texte dédié à cette mesure, ou qui du moins l’inclura. Mais entre le rejet de l’opposition et le calendrier parlementaire chargé, cela semble difficile voire impossible. Et si le gouvernement tentait malgré tout de redéposer l’amendement, arguant d’un lien avec le projet de loi ? « S’ils osent ça, c’est vraiment qu’ils osent tout » lâche un observateur du Parlement. Les débats au Sénat ce jeudi pourraient donner une indication plus précise sur la volonté du gouvernement, qui a déjà connu position plus facile. Comme résume un conseiller ministériel, « on s’est tiré une balle dans le pied ». Ça pique un peu quand même.

Partager cet article

Dans la même thématique

Hong Kong Legislature To Vote On Bill Recognizing Same Sex Couples Overseas Registration
3min

Politique

L’Assemblée nationale vote la réhabilitation des personnes condamnées pour homosexualité

L’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité, en deuxième lecture, une proposition de loi visant à réhabiliter les personnes condamnées pour homosexualité en France entre 1942 et 1982. Porté par le sénateur socialiste Hussein Bourgi, le texte entend réparer symboliquement des décennies de politiques discriminatoires. Mais la question de l’indemnisation continue de diviser députés et sénateurs et devra être tranchée en commission mixte paritaire.

Le

6min

Politique

Une « ordonnance négociée » pour faire passer le budget ? Un procédé « contraire aux principes parlementaires et démocratiques les plus élémentaires »

D’après des informations des Echos, Sébastien Lecornu plancherait sur la piste d’une « ordonnance négociée », pour faire passer le budget avant Noël, en cas d’une commission mixte paritaire conclusive en fin de semaine. Mais cette hypothèse n’enchante pas les constitutionnalistes, qui y voient le risque de mettre à mal le rôle de l’Assemblée nationale.

Le

CMP : comment la dissolution va modifier l’espace de compromis entre députés et sénateurs
2min

Politique

Budget : le groupe communiste boycotte la commission mixte paritaire

A la veille de la commission mixte paritaire (CMP) sur le budget, le groupe communiste de la chambre haute indique que le sénateur, Pascal Savoldelli n’y siégera pas en tant que membre suppléant. Le groupe dénonce notamment « un problème démocratique majeur » dans la composition de la CMP.

Le

Vote par anticipation à la présidentielle : pourquoi l’amendement du gouvernement « n’ira pas au bout »
7min

Politique

Numérique : le Sénat adopte à l’unanimité un texte qui interdit l’accès des réseaux sociaux aux mineurs de moins de 13 ans

Alors qu’Emmanuel Macron a promis la semaine dernière d’interdire les réseaux sociaux aux mineurs de moins de « 15 ou 16 ans », le Sénat vient d’adopter à l’unanimité une proposition de loi portant la majorité numérique à 13 ans. Les mineurs de 13 ans à 16 ans devront recueillir l’autorisation parentale pour leur inscription sur un réseau social.

Le