La fiscalité des indemnités des élus locaux au cœur d’un débat agité avec le Sénat

La fiscalité des indemnités des élus locaux au cœur d’un débat agité avec le Sénat

Un débat a tourné au vinaigre entre le Sénat et le ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin, sur les dispositions fiscales propres aux élus locaux. Décryptage d’un bras de fer technique.
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La mise en place du prélèvement à la source pour les contribuables a profondément modifié le régime d’imposition des indemnités versées aux élus locaux. La réforme a eu pour effet d’alourdir l’impôt sur le revenu de bon nombre d’élus locaux, notamment des plus modestes d’entre eux. Le 23 novembre 2018, le Sénat a voulu corriger le tir, en adoptant un amendement au projet de loi de finances modifiant le cadre fiscal applicable aux élus locaux. Ce vote a fait bondir le ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin, qui s’en ému sur Twitter, ouvrant une crise avec le Sénat (relire notre article). Public Sénat vous aide à y voir plus clair dans ce bras de fer qui a opposé à distance Gérald Darmanin et la Chambre haute, ces trois derniers jours.

Quel était le régime fiscal applicable aux élus locaux avant 2018 ?

Avant le chamboule-tout de la réforme du prélèvement à la source, un dispositif fiscal particulier était applicable aux élus locaux. Ils avaient le choix entre deux solutions pour l’imposition de leur indemnité de fonction.

  • Soit, l’indemnité était incluse avec leurs autres revenus dans la déclaration, et le montant de l’impôt était calculé selon le système de barème progressif, que chacun connaît.
  • Soit, l’indemnité était imposée isolément, avec une retenue à la source. Autrement dit, avec ce mécanisme séparant l’indemnité de ses autres revenus (ceux d’une activité professionnelle exemple) et des revenus du reste de son foyer fiscal, l’élu bénéficiait deux fois de l’application de la première tranche de l’impôt, cette fourchette (qui va de zéro jusque 9.807 euros) où les revenus ne sont pas imposés. De plus, les élus locaux pouvaient retrancher au revenu déclaré la fraction représentative des frais d’emploi. Son montant correspondait à l’indemnité annuelle versée alors aux maires des communes de moins de 500 habitants, soit 7.802 euros (650 euros par mois).

Cette déduction forfaitaire a été mise en place au moment où le législateur a décidé de fiscaliser les indemnités. « Le système tenait compte du fait que les indemnités sont relativement faibles pour les maires », nous explique Philippe Laurent, secrétaire général de l’Association des maires de France (AMF). Le maire (UDI) de Sceaux rappelle aussi que de nombreux élus, notamment dans les plus petites communes, en sont souvent de leur poche pour exercer leurs missions. « Il y a souvent des frais qui ne sont remboursés », précise-t-il, prenant l’exemple des déplacements dans les grandes intercommunalités.

Selon l’AMF, citée par la Gazette des communes, cet ancien système permettait d’exonérer d’impôt sur le revenu les indemnités d’élus locaux inférieures à 1.460 euros.

Ce qu’a changé la réforme du prélèvement à la source

La loi de finances pour 2017, qui a préparé le terrain pour la mise en place du prélèvement à la source, a rebattu les cartes, dans un souci de lisibilité. Seul l’abattement annuel de 7.896 euros (l’équivalent de l’indemnité versé à un maire d’une commune de moins de 500 habitants) a survécu. Les modalités de recouvrement de l’impôt sur les indemnités de fonction des élus locaux ont, elles, été alignées sur le droit commun. Les indemnités de fonction ne sont plus traitées à part et figurent dans la déclaration de revenu du foyer fiscal, au même titre que les autres revenus de l’élu, comme de ceux du conjoint. Un ajout qui place certains revenus dans des tranches d’imposition au taux plus élevé. Ce régime moins favorable a eu pour effet d’augmenter l’impôt sur le revenu des élus locaux.

« Le passage au prélèvement à la source, normalement, c’est un changement de système qui doit être neutre fiscalement », reconnaît le sénateur (LR) Philippe Dallier. La hausse a parfois été brutale. « On a donné des exemples en séance de maires de communes de 1500-2000 habitants qui payaient 1.500 euros d’impôts sur le revenu en 2017, et qui en payaient 3.500 en 2018. Simplement parce qu’on est passé d’un système à un autre. Ça, personne ne l’a vu. Pas plus le gouvernement à l’époque que le Parlement d’ailleurs », explique le sénateur de la Seine-Saint-Denis. La hausse est d’autant plus impressionnante en pourcentage si l’impôt payé avant la réforme était faible. En séance, les Républicains ont indiqué que pour certaines personnes, l’impôt sur le revenu avait été multiplié par plus de quatre.

Aucune statistique officielle n’existe sur l’ampleur des hausses d’impôt qui ont touché les élus locaux depuis la mise en place de la réforme. « Il n’y a que l’administration fiscale qui peut le savoir. Nous, on a des remontées individuelles. C’est pour ça qu’on a besoin du gouvernement pour essayer de corriger le tir », explique le sénateur Philippe Dallier.

Ce qu’a voté le Sénat en séance le 23 novembre

Le 23 novembre, au cours de l’examen du projet de loi de finances pour 2019, les sénateurs ont voulu rétablir les effets du précédent dispositif pour les maires ruraux, notamment ceux des communes entre 500 et 2.000 habitants, perdants dans le nouveau système. Plusieurs amendements, avec différents aménagements, étaient en concurrence. C’est finalement l’amendement du sénateur Charles Guéné (LR), qui a été retenu. Adopté contre l’avis du gouvernement, celui-ci fait passer l’allocation pour frais d’emploi des élus locaux de 658 euros par mois (l’indemnité maximale mensuelle d’un maire d’une commune de 500 habitants) à 1.499,9 euros (l’indemnité maximale mensuelle d’un maire d’une commune entre 500 et 1000 habitants, multipliée par 1,25).

Le groupe LR a rappelé que l’indemnité, désormais intégrée dans la ligne des « traitements et salaires » sur les déclarations de revenus, est avant tout « destinée à compenser des sujétions et des frais engagés, sans remboursement de la part de la collectivité, qui ne dispose pas des moyens de le faire » pour ces élus locaux des plus petites communes.

Gérald Darmanin est-il dans le vrai avec son tweet ?

Le tweet du ministre de l’Action et des Comptes publics, qui se trouvait dans sa région au moment du vote, a jeté le trouble au palais du Luxembourg, qui, en signe de protestation, a suspendu ce week-end l’examen du budget 2019. Le lendemain, Gérard Larcher, le président du Sénat, avait qualifié la sortie de Gérald Darmanin de « fake news ministérielle ». L’intéressé a « assumé » ses propos, n’y voyant « aucune provocation ».

Le plafond de l’allocation pour frais d’emplois des élus locaux, déductible des revenus déclarés, a bien été relevé par le Sénat à hauteur de 1.500 euros par mois, dans une proportion quasiment proche aux 125% mis en avant par le ministre. Mal formulé, le tweet pourrait néanmoins laisser penser que c’est l’exonération d’impôt (et non le revenu déclaré) qui s’élèverait chaque mois à 1500 euros.

En réalité, les sénateurs ont surtout été très gênés par le ton du message publié par Gérald Darmanin, au lendemain de la clôture du Congrès des maires. La majorité sénatoriale rappelle qu’il ne s’agit pas d’un « privilège » accordé aux élus locaux, ni d’un « cadeau fiscal », mais d’un rétablissement (partiel) à une situation antérieure. D’autres lui reprochent d’attiser le « populisme », en écartant la philosophie qui a motivé le dépôt de l’amendement, à savoir une préoccupation pour les élus ruraux. « En 280 caractères, on ne peut pas expliquer les choses », a mis en avant le sénateur Philippe Dallier.

Quels sont les élus locaux concernés par l'amendement sénatorial ?

Le ministre oublie en parallèle de préciser qu’il s’agit des élus locaux, et non des élus en général (les parlementaires ne sont pas concernés). Il n’en reste pas moins que cet abattement s’appliquera à tous les élus locaux, qu’il s’agisse du maire d’une petite commune rurale, du conseiller départemental ou du maire d’une grande ville. Pour les maires des villes de 100.000 habitants, mieux équipées en service que les petites communes, l’indemnité brute peut s’élever jusqu’à 5.612 euros mensuels.

L’instauration d’une limite de revenus pour bénéficier de cette allocation déductible ne sera sans doute pas simple à mettre en place dans le cadre de la seconde délibération sur cet article, qui doit s’ouvrir entre le Sénat et le gouvernement. « La question doit s’examiner sous le strict respect des règles constitutionnelles qui prévoient une égalité de traitement à l’intérieur d’une même catégorie de contribuables », rappelle le président (PS) de la commission des Finances, Vincent Éblé.

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