La réforme des APL a fait plus de perdants que de gagnants, selon un rapport du Sénat

La réforme des APL a fait plus de perdants que de gagnants, selon un rapport du Sénat

L’actualisation des aides au logement en fonction des revenus contemporains, entrée en vigueur au 1er janvier 2021, a été bénéfique pour certains, et très désavantageuse pour d’autres. Selon un rapport sénatorial sur la politique du logement, la réforme a « amplifié les ajustements à la baisse ».
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L’année 2021 s’achève et avec elle, la première année de l’application de la réforme du calcul des APL (les aides personnelles au logement). Depuis le 1er janvier, le montant des APL est désormais revu tous les trimestres, sur la base des revenus des douze mois précédents. Auparavant, elles étaient attribuées pour une année entière, en fonction des revenus perçus deux années plus tôt.

Un rapport de la sénatrice Dominique Estrosi Sassone (LR), remis dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2022, dresse un premier bilan de cette réforme. « Cette réforme n’est pas rejetée dans son principe, même s’il ne faut pas cacher sa fonction budgétaire », écrit-elle. Le rapport estime que la réforme a dégagé entre 1,1 et 1,2 milliard d’euros d’économies. A titre de comparaison, le budget 2022 prévoit 13,1 milliards d’euros de financements pour les APL, soit 643 millions d’euros de plus par rapport à 2021. « Le gouvernement soutient les APL cette année, mais c’est oublier les 10 milliards d’euros économisés au détriment des plus modestes depuis cinq ans comme l’a justement dénoncé la Fondation Abbé Pierre dans son rapport annuel sur le mal-logement », tient à rappeler le rapport.

Pour 29,6 % des bénéficiaires, les allocations ont diminué de 73 euros en moyenne

Comme toute modification de ce type, la réforme apporte son lot de gagnants et de perdants. Cette deuxième catégorie surpasse nettement la première, à la lecture du rapport. Avec la réforme des APL, 18,2 % des allocataires ont vu leurs droits augmenter de 49 euros en moyenne, 115 000 personnes sont devenues allocataires grâce à la réforme. Pour 29,6 % des bénéficiaires, en revanche, leurs allocations ont diminué de 73 euros en moyenne. 400 000 personnes ont perdu leurs droits. Enfin, 52,2 % ont vu leur situation inchangée. « La réforme a amplifié les ajustements à la baisse et atténué les réévaluations à la hausse », résume le rapport.

Il note par ailleurs que la mise en œuvre technique de la réforme a été « difficile » pour la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF). C’est notamment parce que les caisses d’allocations n’étaient pas prêtes à basculer sur le nouveau système que la réforme avait été reportée à plusieurs reprises. « Jusqu’à 3 % » des versements mensuels auraient été erronés, soit près de 200 000 allocataires. La situation a été particulièrement compliquée sur les cinq premiers mois de l’année, puisqu’entre 120 000 et 180 000 dossiers ont été victimes d’anomalies sur cette période, allant du bug informatique, aux annulations de versements ou réclamation à tort de trop-perçus, en passant par l’allongement du traitement des demandes.

Bugs lors de la mise en place de la réforme

« La situation semble aujourd’hui maîtrisée, mais elle mobilise encore une importante énergie », souligne aujourd’hui le rapport sénatorial. Auditionnée au Sénat le 9 novembre, la ministre déléguée au Logement, Emmanuelle Wargon, avait affirmé que la mise en application de la réforme s’était « déroulée dans des conditions techniques globalement satisfaisantes ». « On a reculé deux fois, mais la bascule informatique a eu lieu. Un certain nombre de bugs se sont produits […] Le système est à peu près rodé ».

Parmi les effets pervers de la réforme, le rapport sénatorial insiste sur le cas des jeunes actifs, qui débutent leur vie professionnelle par une période de précarité. En se basant sur les dernières ressources connues, et non sur celles remontant deux ans en arrière, le nouveau système leur est nettement moins favorable. Il fait ainsi référence à une étude de l’Union nationale pour l’habitat des jeunes, qui pointe un « rattrapage brutal pour les jeunes actifs », notamment ceux qui sont « vulnérables » pour l’accès au logement, du fait de leur début de carrière hachée. L’UNHAJ constate : « Les plus impactés par la baisse des APL sont les jeunes actifs dont les revenus sont proches du Smic (entre 800 et 1 300 euros) pour lesquels elle s’élève en moyenne à 95 euros par mois. Pour l’ensemble des jeunes, la baisse moyenne mensuelle est de 38,50 euros. » La part des perdants de la réforme est même plus élevée chez les 18-24 ans que dans l’ensemble des allocataires : elle atteint 39 %, selon UNHAJ.

Certains ajustements ont été décidés pour les étudiants, pour que la réforme ne modifie pas leur APL, à situation professionnelle inchangée. Le Sénat ajoute que les apprentis et jeunes en contrat de professionnalisation bénéficient d’un abattement sur leurs ressources. Le gouvernement a rappelé, lors de l’audition du 9 novembre, que l’organisme Action Logement avait mis en place une nouvelle aide de 1 000 euros à destination des jeunes actifs.

« L’objectif de 120 000 logements sociaux agréés en 2021 ne sera pas atteint »

De manière générale, la sénatrice Dominique Estrosi-Sassone liste un certain nombre de signaux d’alerte sur la politique du logement, qui bénéficie malgré tout d’un relèvement significatif dans le prochain budget (16,3 milliards d’euros en 2022, soit 7,4 % en plus). « La commission en a pris acte, mais sans oublier les lourdes économies réalisées par le passé et négliger les questions non résolues pour l’avenir », rappelle la sénatrice des Alpes-Maritimes. En 2017, le budget du Logement pesait 17,6 milliards d’euros, avant de redescendre jusqu’à 14,4 milliards en 2020, avant la crise sanitaire.

Au chapitre des logements sociaux, le rapport relève un retard dans le nombre d’agréments de logements sociaux pour l’année 2021. Il devrait légèrement dépasser la barre des 100 000. « L’objectif de 120 000 logements sociaux agréés en 2021 ne sera pas atteint, ni celui de 250 000 logements en deux ans », soulève le rapport.

Si des grues manquent dans le ciel, on pourrait ajouter qu’une nappe de brouillard s’est installée. Le rapport indique que plusieurs questions sont renvoyées à 2023. C’est le cas de l’avenir d’Action logement (l’ex 1 % logement, c’est-à-dire participation des employeurs à l’effort de construction), dont la convention quinquennale doit être renégociée l’an prochain. Une autre interrogation pèse sur la réduction de loyer de solidarité (RLS), qui pèse environ 1,3 milliard d’euros sur les bailleurs. Sera-t-elle reconduite, augmentée ou diminuée ? Cette aide de l’État, en place depuis 2018 pour diminuer le montant du loyer des foyers les plus précaires, devra être tranchée dans le premier projet de loi de finances du prochain quinquennat.

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