La retraite des parlementaires dans le collimateur du gouvernement

La retraite des parlementaires dans le collimateur du gouvernement

La réforme des retraites doit mener à « la fin des régimes parlementaires » prévient Jean-Paul Delevoye, alors que députés et sénateurs peuvent toucher une retraite, dès le premier mandat. Dans un contexte de tension politique, la majorité présidentielle attaque en particulier le régime des sénateurs.
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Le gouvernement ambitionne de faire un régime de retraite universel. Autrement dit, le même régime pour tous… y compris les parlementaires. Députés et sénateurs disposent en effet de leur propre régime de retraite autonome. Plusieurs fois réformés, ils diffèrent encore cependant du régime général.

Jean-Paul Delevoye, le « Monsieur retraites » du gouvernement, a évoqué vendredi, devant le Congrès national des professions libérales, cette réforme. « On voit bien que sur un certain nombre de principes d’universalité pour tous, la fin des régimes parlementaires et des régimes spéciaux, il y a un soutien populaire » a-t-il lancé au détour d’une phrase, comme le rapporte Le Figaro. Sujet à nouveau publiquement mis sur la table, ce lundi soir, par le haut-commissaire. Viser le régime des parlementaires n’est pas tout à fait une nouveauté de sa part. Déjà, dans son rapport de juillet 2019, Jean-Paul Delevoye écrivait que « le régime universel s’appliquera aussi aux parlementaires – députés et sénateurs ».

Petit rappel au passage : Jean-Paul Delevoye a été lui-même député deux ans et sénateur plus de neuf ans. Entre la fin de sa présidence du Conseil économique et social en 2015 et sa nomination au gouvernement, il a donc logiquement pu bénéficier de sa retraite de parlementaire.

Le régime de retraite des sénateurs réformé plusieurs fois

Qu’en est-il exactement aujourd’hui ? Au Sénat, le régime de retraite autonome des sénateurs est né en 1905. Suivant les réformes successives, il a été révisé en 2003, 2010 et 2014. En 2010, le système avantageux de double cotisation, qui prévalait jusque-là, a été supprimé, remplacé par un système de retraite complémentaire par points, comme AGIRC et ARRCO (voir notre article à l’époque ici et ). La durée de cotisation a aussi été progressivement relevée. « Elle a atteint 41 ans et 6 mois à compter du 1er janvier 2015 et continuera ensuite à augmenter régulièrement, jusqu'à 43 ans à l'horizon 2035 » précise le Sénat sur son site, soit le même nombre d’années que dans la fonction publique. Quant à l’âge de départ à la retraite, il est passé de 60 ans, pour les sénateurs nés avant le 1er juillet 1951, à 62 ans, pour ceux nés à compter du 1er janvier 1955.

Ainsi, en moyenne, un sénateur à la retraite touche, hors majoration pour enfants, une pension d’environ 3.856 euros net au 1er mars 2018. Une situation qui se justifie ainsi, toujours selon le Sénat : elle « est destinée à pallier la rupture subie dans leur carrière professionnelle du fait de leur élection ». Par ailleurs, en cas de fin de mandat, les sénateurs n’ont pas droit au chômage s’ils ne retrouvent pas de travail tout de suite.

Le régime est abondé par les sénateurs eux-mêmes, ainsi que par le Sénat, peut-on lire : « Le financement du régime est donc assuré par une cotisation des sénateurs, par une cotisation employeur du Sénat (correspondant à, respectivement, 2 fois la contribution des parlementaires pour le régime de base et à 1,5 fois pour le régime complémentaire par points), ainsi que par un prélèvement sur les revenus procurés par les actifs financiers de la Caisse ».

Le Sénat a en effet su faire fructifier son régime, en plaçant bien l’argent. On parle souvent du chiffre de 1,4 milliard d’euros pour la caisse de retraite du Sénat. En réalité, il faut regarder en détail. La caisse de retraite des sénateurs jouit de 627 millions d’euros, selon Le Parisien, quand celle du personnel du Sénat totalise de son côté 777 millions d’euros. Plus de précisions sont à retrouver dans les comptes 2018 de la Haute assemblée.

Larcher : « Bien-sûr, nous prendrons en compte la réforme des retraites »

Interrogé sur le sujet dimanche 1er décembre sur RTL, Gérard Larcher a assuré que la réforme sera appliquée aux sénateurs. « Notre régime de retraite est un régime autonome qui existe depuis 1905, dans lequel nous avons fait comme les professions libérales, nous avons fait des réserves » rappelle le président LR du Sénat. Et d’ajouter que « bien-sûr, nous prendrons en compte, bien qu’étant une assemblée autonome, la réforme des retraites ». Regardez :

Larcher : « Bien-sûr, nous prendrons en compte la réforme des retraites » pour les sénateurs
02:07

Le sénateur des Yvelines apporte au passage quelques précisions : « La cotisation employeur, c’est 2,82% issus du budget du Sénat. Nous ne demandons pas pour le Sénat un seul euro de plus à l’Etat, que la part du budget du Sénat qui est consacré aux retraites » explique Gérard Larcher, soit sur les 342 millions d’euros du budget du Sénat, 9,6 millions d’euros en 2019. « Arrêtons d’opposer les uns aux autres » demande encore le président du Sénat pour défendre le régime autonome de sénateurs.

A l’Assemblée nationale, les différentes réformes ont aussi été appliquées. Pour un député, la retraite moyenne est de 2.675 euros net par mois. Selon la dernière réforme appliquée depuis le 1er janvier 2018, le régime de retraite des députés a été aligné sur celui de la fonction publique. Conséquence, « pour un mandat cotisé, les droits à retraite ouverts passent de 1053 à 664 euros » peut-on lire sur le site de l’Assemblée.

Refroidissement des relations entre l’exécutif et le Sénat

C’est par cette différence de pension que la question prend une tournure plus politique. La semaine dernière, dans Le Canard enchaîné, le questeur LREM de l’Assemblée, Florian Bachelier, joue les « porte-flingue de Richard Ferrand », écrit le Canard, pointant le régime des sénateurs, « le plus rentable de France ». « Un seul mandat de sénateur de six ans permet à son bénéficiaire de toucher 2.040 euros net de pension de retraite mensuelle » écrit l’hebdomadaire, soit plus que les 664 euros pour un député. Une attaque qui n’est pas une première. L’an dernier, déjà, l’autre questeur LREM, Laurianne Rossi, avait mis en cause le régime des sénateurs.

Contacté au sujet du niveau de retraite d’un sénateur après un mandat, le Sénat n’avait pas encore répondu au moment de publier cet article. Mais selon nos informations, aujourd’hui, un sénateur perçoit à l’âge de la retraite, après un seul mandat, une pension de 2.190 euros net par mois. En 2010, la pension s’élevait à 1.930 euros après un mandat, comme nous l’expliquions.

Pour comprendre l’attaque de Florian Bachelier, il faut aussi la replacer dans un contexte d’un nouveau refroidissement des relations entre l’exécutif et le Sénat. Les macronistes n’auraient pas apprécié que Gérard Larcher, le même jour sur RTL, reproche à Emmanuel Macron de « mentir aux Français » sur les retraites. Propos qui seraient mal passés chez Richard Ferrand.

Mais une autre attaque n’a pas dû arranger les choses. « Nous siégeons le 5 décembre et nous n’envisageons pas de ne pas siéger. Parce que j’ai vu que dans une autre chambre on ne siégeait pas… Et bien nous, on siège, car notre rôle, c’est d’assumer notre rôle de parlementaires » a lâché Gérard Larcher au cours de l’émission. Une référence au fait que les députés ont décidé d’annuler la séance la semaine dernière, le premier jour de la grève, à la demande des députés PS qui devaient défendre un texte dans leur niche parlementaire.

L’Elysée a peu apprécié que le Sénat pointe la hausse de ses dépenses

Mais ce qui a sûrement mis le plus de sel dans les relations entre exécutif et Sénat, c’est le rapport du sénateur Jean-Pierre Sueur sur le budget de l’Elysée. Le socialiste a dénoncé « la forte hausse » de 3,7 millions d’euros des dépenses de l’Elysée en 2020, regrettant que le directeur de cabinet d’Emmanuel Macron, Patrick Strzoda, ait refusé de le recevoir, contrairement aux années précédentes. « Un geste peu républicain » avait regretté Jean-Pierre Sueur, par ailleurs ancien co-rapporteur de la commission d’Enquête Benalla. Difficile de ne pas y voir un lien. La vengeance est parfois un plat qui se mange froid.

La tension monte d’un cran quand le proche d’Emmanuel Macron explique ne recevoir « que les personnes respectables »… Le patron des sénateurs PS, Patrick Kanner, intervient et dénonce les « propos insultants » et le « mépris » de Patrick Strzoda. La sortie de ce proche d’Emmanuel Macron serait peu appréciée au plus haut niveau de la chambre haute également.

Laure Darcos (LR) : « Basse politique comme je la déteste, pour égratigner, comme par hasard, le régime simplement des sénateurs »

Pour la sénatrice du groupe LR, Laure Darcos, il y a clairement un lien à voir entre les différents événements. « Ce n’est pas un hasard. On a vu renaître des articles ces derniers jours. C’est vraiment de la basse politique comme je la déteste, pour égratigner, comme par hasard, le régime simplement des sénateurs, quelques jours après que dans le budget, on avait souligné l’augmentation du train de vie de l’Elysée » affirme cette proche de Valérie Pécresse, interrogé lundi matin dans la matinale de Public Sénat. Autrement dit, c’est l’heure des boules puantes. Regardez :

Laure Darcos (LR) dénonce une « basse politique comme je la déteste, pour égratigner, comme par hasard, le régime de retraite simplement des sénateurs »
02:42

Le Sénat est-il visé ? « Je le pense » répond la sénatrice de l’Essonne. Laure Darcos n’en reconnaît pas moins que le régime de retraite des sénateurs devra être réformé. « Bien évidemment, le régime parlementaire de retraite a été extrêmement gratifiant. (…) Et bien évidemment, il faudra montrer l’exemple et Gérard Larcher l’a déjà souvent souligné, pour aller vers le régime universel et aller vers un système plus équitable ».

Pour la retraite des parlementaires, ce devrait donc bientôt être l’heure du (nouveau) régime. Mais l’exécutif ne devrait pas pouvoir l’imposer par la loi. En raison de la séparation des pouvoirs, c’est aux assemblées elle-même de modifier les régimes de retraite de leurs membres.

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