Le glyphosate empoisonne la sortie d’un rapport parlementaire

Le glyphosate empoisonne la sortie d’un rapport parlementaire

Les propos d’un sénateur centriste au sujet des liens ou non entre cancer et l’herbicide le plus vendu au monde a jeté le trouble sur un rapport rédigé par des parlementaires sur les agences sanitaires.
Public Sénat

Par Guillaume Jacquot (Sujet vidéo : Flora Sauvage)

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Le glyphosate fait encore parler de lui. Quatre jours après les révélations du Monde et de France 2 sur des soupçons de fichage illégal par le géant des OGM et des pesticides Monsanto (groupe Bayer), l’herbicide le plus vendu au monde se retrouve une fois de plus au cœur d’une controverse.

Ce sont les déclarations au quotidien La Dépêche du Midi du sénateur UDI de Haute-Garonne, Pierre Médevielle, qui ont suscité de vives réactions de la part d’élus écologistes ou encore socialistes. Dans une interview donnée au quotidien La Dépêche, le sénateur a livré son point de vue, en amont de la sortie, ce jeudi, d’un rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), organe dont il est l’un des vice-présidents. Au cours de l’entretien, le sénateur centriste a notamment affirmé qu’ « aucune étude scientifique ne prouve formellement » la « cancérogénicité » du glyphosate, « ni en France, ni en Europe, ni dans le monde ». Il a également assuré que ce produit « est moins cancérogène que la charcuterie ou la viande rouge qui ne sont pas interdites ». Dans l'émission Sénat 360 de Public Sénat, ce lundi en fin d'après-midi, le centriste a mis en cause le travail du journaliste de La Dépêche du Midi, dénonçant un détraitement « entre le piège et la malhonnêteté ».

Un rapport qui ne gravite pas en réalité autour du glyphosate

Cette sortie et cette comparaison alimentaire n’ont pas été appréciées par plusieurs de ses collègues de l’OPECST, à commencer par le député LREM Cédric Villani, premier vice-président de l’office, qui s’en est ému sur France Info. « Je regrette que le sénateur Médevielle, en s'exprimant prématurément et sous une forme qui ne reflète pas le rapport, ait contribué à ajouter de l'huile sur le feu », a-t-il mis au point sur France Info, regrettant des conclusions tirées « à titre personnel ». L’affirmation selon laquelle le glyphosate serait « moins cancérogène que la charcuterie ou la viande rouge » n’est d’ailleurs pas présente dans le rapport, nous a confirmé par téléphone le sénateur LR Gérard Longuet, qui préside l’OPECST.

En réalité, le rapport parlementaire, conduit par deux députés et deux sénateurs, n’est même pas centré autour de la seule question du glyphosate. Il s’intéresse essentiellement aux procédures et aux missions des agences d’évaluation sanitaire en France et en Europe, et dresse une série de recommandations pour donner plus de poids à leurs avis. Le cas du glyphosate n’occupe qu’une petite partie du document, mais illustre les différences d’approches qu’il peut y avoir entre différentes agences.

Des avis différents suivant les agences

En 2015, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) avait estimé dans un rapport qu’il était « improbable que le glyphosate présente un danger cancérogène pour l'homme ». De même en 2016, en France, l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) jugeait que le « niveau de preuve de cancérogénicité » du glyphosate chez l’animal et chez l’homme « relativement limité ».

À la même époque, au niveau international, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) décidait de classer le glyphosate comme un agent « probablement cancérogène pour l’homme », dernier niveau avant les agents cancérogènes. Ce classement réalisé par des experts basés à Lyon, sous l’égide de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) ne définit pas une échelle de la dangerosité ou du risque, mais étudie le niveau de certitude du lien entre l’exposition à une substance et l’apparition d’un cancer. Sur le cas du glyphosate, le CIRC pointe des preuves « limitées », mais existantes, dans les cas de cancers de la lymphe et dans les leucémies. En mars 2019, une étude conduite par une quinzaine d’épidémiologistes a conclu que le glyphosate était associé à une augmentation de risque de lymphomes chez les agriculteurs exposés.

Quant à la comparaison avec d’autres agents, le CIRC plaçait la consommation de viande au même niveau que le glyphosate, c'est-à-dire la catégorie « d’agents probablement cancérogène ». Mais la « viande transformée » (charcuterie incluse) était en revanche bien indiquée comme « cancérogène pour l’homme » dans le même classement.

Colère d’élus écologistes ou socialistes

Problème : ces données reviennent aussi régulièrement dans l’argumentaire et les éléments de langage de Monsanto. La comparaison soulevée par le sénateur Pierre Médevielle est mal passée auprès de plusieurs élus de gauche. « Glyphosate et charcuterie !? Quelle mauvaise blague de mauvais goût ! Pensée pour les victimes qui se battent comme Fabian Tomasi [décédé en 2018, il était le symbole de la lutte contre le glyphosate en Argentine, NDLR] » a tweeté la sénatrice socialiste Nicole Bonnefoy. « Un rapport parlementaire réfute le lien entre cancer et glyphosate. Dramatique », a enchaîné son collègue Martial Bourquin.

Sur un autre registre, l’écologiste Guillaume Gontard, rattaché au groupe communiste du Sénat, « espère que la charcuterie du Sénat ne va pas être remplacée par un bol de glyphosate ! » L’eurodéputé Europe Écologie-Les Verts, José Bové, a même dénoncé, auprès de La Dépêche du Midi un « révisionnisme environnemental ». « Quand certaines personnes affirment que le glyphosate n'est pas dangereux, c'est comme celles qui prétendent que le réchauffement climatique est un fantasme. Ce discours ne tient pas la route », s’est-il exclamé.

Face à la tempête médiatique, le bureau de l’OPECST a rappelé que l’objet du rapport parlementaire était justement de « renforcer la confiance dans l’expertise scientifique » produite par les différentes agences. L’office a également souligné qu’il ne se prononçait « pas sur la toxicité à long terme du glyphosate » et qu’il ne lui appartenait pas de « formuler une vérité scientifique ». De plus, il insiste sur le fait qu’il ne rouvre pas le débat sur l’interdiction du glyphosate (sortie en trois ans), « tranché par le gouvernement ».

Co-auteur du rapport aux côtés de Pierre Médevielle, pour le binôme sénatorial, Jérôme Bignon (Les Indépendants, République et territoires) a reconnu sur notre antenne que son collègue, dont il a salué la fibre scientifique (Pierre Médevielle est pharmacien), « a été maladroit ». Appelant à dépassionner le débat sur des « sujets très complexes », il a formulé un souhait : « Ce serait formidable si on arrivait à parler calmement ». La sénatrice LR de l’Essonne, Laure Darcos, elle aussi membre de l’OPECST a regretté elle aussi que le glyphosate soit « très instrumentalisé sur le plan politique ». « On bascule d’un extrême à un autre », soupire-t-elle.

Glyphosate : Jérôme Bignon (Les Indépendants) estime que Pierre Médevielle a été "maladroit"
02:20

Jérôme Bignon (Les Indépendants) estime que Pierre Médevielle a été « maladroit »

Rappelé à l’ordre par Gérard Longuet et notamment Cédric Villani, qui a pointé des propos « erronés », Pierre Médevielle ne croyait pas si bien dire en affirmant à La Dépêche que la molécule du glyphosate suscitait une « hystérie collective ».

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