« Le police bashing initié par quelques responsables politiques ne cesse de prospérer », assure Julien Morcrette (CFDT)

« Le police bashing initié par quelques responsables politiques ne cesse de prospérer », assure Julien Morcrette (CFDT)

Auditionnés au Sénat, les syndicats de policiers s’inquiètent de la réforme de la justice portée par Eric Dupond-Moretti qui permettrait la présence d’un avocat lors des perquisitions ou la limitation à deux ans des enquêtes préliminaires. Ils alertent aussi sur la crise de vocation de leur profession et dénoncent un « police bashing ».
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Par Héléna Berkaoui

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Le ton était plus feutré que celui employé lors de la manifestation des policiers devant l’Assemblée nationale, le 19 mai dernier. Mardi, la commission des Lois a auditionné des syndicats de policiers « sur les conditions d’exercice de leur mission ». Pas de… « Le problème de la police, c’est la justice ! » cette fois, mais un certain nombre de critiques portées à l’endroit de l’institution judiciaire.

Le projet de loi de « confiance » dans la justice, adopté à l’Assemblée nationale, a aussi été étrillé. Deux points ont été particulièrement évoqués : la limitation des enquêtes préliminaires à deux ans et la possible présence de l’avocat lors des perquisitions.

Au Sénat, le sort des forces de l’ordre mobilise depuis un certain temps et les échanges s’en sont fait sentir. Les syndicats ont salué le rapport des sénateurs François Grosdidier (LR) et Michel Boutant (PS) - ils ne le sont plus depuis - alertant sur « le malaise extrêmement profond » de la profession. Henri Leroy (LR) qui a participé au Beauvau de la Sécurité était aussi présent mais n’a pas, cette fois, évoqué les problèmes d’encadrement de la police nationale.

« Nos collègues sont lynchés jusque dans la sphère privée »

La dénonciation des conditions de travail - surcharge administrative, rémunération, vétusté des équipements - s’est doublé d’une critique sur le climat actuel qu’ils qualifient de « police bashing ».

« Nous pensons qu’il n’y a pas assez de reconnaissance de l’autorité des forces de police et ce en raison d’une réponse pénale qui n’est pas assez efficace », a aussi résumé Linda Buquet du syndicat Synergies. La critique n’est pas nouvelle mais a pris une dimension particulière notamment avec le meurtre du brigadier Eric Masson à Avignon. La hausse des violences qu’ils dénoncent s’accompagne d’un climat délétère :

« Le fait d’incarner l’autorité suffit à être la cible. La cible des délinquants, de terroristes, de politiques, de journalistes. Un policier doit se cacher de sa fonction aujourd’hui pour se protéger », assure ainsi Frédéric Lagache, du syndicat Alliance.

« Le police bashing initié par quelques responsables politiques ne cesse de prospérer. Nos collègues sont vilipendés, ils sont lynchés jusque dans la sphère privée », renchérit Julien Morcrette de la fédération CFDT Interco. Si la hausse des violences contre les forces de l’ordre est documentée, l’absence de sanctions reste questionnable. Selon le ministère de la Justice, le taux de réponse pénale pour les violences sur personnes dépositaires de l’autorité publique s’élève à 95 %, contre 84,5 % pour les autres violences.

Par ailleurs, dans le projet de loi pour la « confiance » dans la justice, un amendement prévoit un durcissement des peines pour les agresseurs des forces de l’ordre. Le garde des Sceaux a, de surcroît, adressé une circulaire aux magistrats les enjoignant à ce que les violences commises à l’encontre des forces de sécurité fassent « systématiquement » l’objet d’un défèrement au tribunal. Le rappel à la loi doit aussi être supprimé.

Justice : un projet de loi décrié

Avant l’examen du projet de loi de « confiance » dans la justice par la Haute assemblée, les syndicats ont soulevé des points de désaccords. Pour les enquêtes préliminaires, le texte prévoit une limitation de principe de deux ans, plus un an supplémentaire sur autorisation écrite du procureur. Des délais étendus à trois ans, plus deux, pour la délinquance organisée ou le terrorisme.

« Ce qui m’inquiète, c’est la charge mentale qui va peser sur mes collègues enquêteurs, lorsqu’ils sont déjà submergés de dossiers, le fond du dossier perdra tout son sens au profit de la gestion d’un calendrier contraint. Pourquoi devenir plus contraignant ? », interroge Yann Bastière de l’unité SGP Police. Cette mesure vise particulièrement les enquêtes politico-financières « pour permettre l’accès au contradictoire, veiller à ce qu’il y ait moins de violation des secrets de l’enquête », justifiait Éric Dupond-Moretti lui-même visé par une enquête pour « prise illégale d’intérêts ».

Police judiciaire : « On constate une véritable désaffection »

La présence de l’avocat lors des perquisitions fait l’unanimité contre elle chez les syndicats. Un amendement adopté à l’Assemblée nationale prévoit en effet que les conseils pourront désormais « se présenter sur les lieux des opérations, y compris lorsque celle-ci a déjà débuté ». L’avocat aura aussi le droit de « présenter des observations écrites » qui seront « jointes à la procédure ».

« Cette présence de l’avocat en perquisition intervient sur un acte qui est déjà très chronophage […] On y voit de la méfiance en plus de la complexification. Le futur de l’enquêteur sera de plus en plus compliqué et la crise des vocations dans cette filière va s’accentuer », soutient Yann Bastière de l’unité SGP Police.

« Pour les officiers de police judiciaire, on a un vrai problème : on constate une véritable désaffection. A tel point qu’aujourd’hui on met en investigation des sortis d’écoles, alors qu’il faudrait des gens expérimentés », pointe aussi Pascal Jakowlew, d’Alternative Police.

Par ricochet, ils réclament une simplification du Code pénal et un changement de paradigme judiciaire. « Aujourd’hui, l’emprisonnement est devenu l’exception et l’aménagement de peine la règle […] On aimerait que la justice soit un peu plus chirurgicale », plaide Jérôme Moisant, de l’unité SGP Police. Le nombre de détenus dans les prisons françaises a pourtant augmenté de 25 000 entre 1990 et 2019.

Le projet de loi doit désormais être examiné par les sénateurs en septembre 2021.

 

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