Le Sénat met en place une délégation de suivi et de contrôle des ordonnances

Le Sénat met en place une délégation de suivi et de contrôle des ordonnances

Suite aux dernières élections sénatoriales, le Sénat a désigné, jeudi, les huit nouvelles délégations du Bureau, dont une en charge du travail parlementaire, du contrôle et du suivi des ordonnances. Gérard Larcher avait exigé que les ordonnances soient ratifiées systématiquement par le Parlement. Mais une jurisprudence du Conseil Constitutionnel permet au gouvernement de passer outre.
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Le 1er octobre dernier, tout juste réélu président du Sénat, Gérard Larcher avait envoyé un message clair au gouvernement. « Le recours aux ordonnances est devenu massif. Depuis mai 2017, 183 ordonnances (ont été) publiées. Recours abusif car il est loin d’être justifié par l’urgence. De surcroît, le gouvernement met plus de temps à les publier que nous n’en mettons à voter les lois. Nous devons donc, mes chers collègues, mieux contrôler le recours aux ordonnances » avait-il mis en avant.

Jeudi, à l’occasion de la première réunion du nouveau Bureau du Sénat, 8 délégations ont été désignées, chacune présidée par un des vice-présidents du Sénat. On relève que la délégation en charge du travail parlementaire se voit logiquement confier la mission de « contrôle et du suivi des ordonnances ». Cette délégation est présidée par Pascale Gruny vice-présidente LR du Sénat et composée du questeur LR Philippe Bas, et de trois secrétaires du Sénat Loïc Hervé (centriste) Jacqueline Eustache-Brinio (LR) et Victoire Jasmin (PS).

Selon la Constitution, les ordonnances « ne peuvent être ratifiées que de manière expresse »

L’enjeu du contrôle des ordonnances est en effet de taille pour le Sénat et pour le Parlement en général. Pour bien comprendre le problème, il faut décortiquer le mécanisme des ordonnances. Celles-ci sont consacrées par l’article 38 de notre Constitution qui dispose que « le Gouvernement peut, pour l'exécution de son programme, demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi. » Une ordonnance permet donc à l’exécutif d’enjamber le Parlement et d’intervenir de manière limitée, un temps donné, et à la condition d’obtenir son autorisation au préalable, dans le domaine législatif. On appelle cette « autorisation », une habilitation. Mais pour éviter le « fait du prince » et que les ordonnances n’échappent pas totalement au contrôle des parlementaires, elles doivent être ratifiées par le Parlement dans un délai fixé au moment de l’habilitation. Selon la Constitution, passé ce délai, « les ordonnances deviennent caduques si le projet de loi de ratification n'est pas déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d’habilitation. » Et pour justement éviter tout risque de « ratification implicite », la révision constitutionnelle de 2008 a permis d’ajouter dans l’article 38, que les ordonnances « ne peuvent être ratifiées que de manière expresse. » (voir notre article)

« La décision du Conseil Constitutionnel du 28 mai dernier nous oblige »

Or, le 28 mai dernier, au détour d’une décision concernant l’installation d’une éolienne, le Conseil Constitutionnel spécifie qu’une ordonnance non ratifiée par le Parlement pourrait avoir rétroactivement force de loi une fois passé le délai d’habilitation, à la seule condition que le projet de loi de ratification de l’ordonnance ait été déposé dans le temps imparti. En d’autres termes, passé leur date limite, les ordonnances « doivent être regardées comme des dispositions législatives ».

« La décision du Conseil Constitutionnel du 28 mai dernier nous oblige à exiger que les ordonnances soient ratifiées systématiquement par le Parlement » a martelé Gérard Larcher le 1er octobre. Pour le constitutionnaliste, Benjamin Morel « cette décision du Conseil Constitutionnel revient peu ou prou à ce qui se passait avant 2008. Un gouvernement a peu d’intérêt à se présenter devant le Parlement pour l’examen d’un projet de loi de ratification. Il prend le risque de s’exposer au dépôt d’amendements et il encombre son calendrier parlementaire. Benjamin Morel note que la nouvelle dénomination de la délégation en charge du travail parlementaire et désormais du contrôle et du suivi des ordonnances est une « incitation indirecte » faite au gouvernement pour repasser devant le Parlement pour ratifier les ordonnances.

En juin dernier, dans son rapport annuel, la délégation du Bureau chargée du travail parlementaire avait déjà dénoncé le « recours accru » aux ordonnances. « Sur la période 2012-2018, le nombre d’ordonnances publiées dépasse celui des lois adoptées selon la procédure ordinaire » avait relevé la délégation.

De nouvelles demandes d’habilitation dans le projet de loi de prorogation de l’état d’urgence

Une pratique qui ne va pas s’atténuer. Pour mémoire, la première loi d’urgence sanitaire avait conduit à 57 habilitations à légiférer par ordonnances portant sur des pans entiers du droit et sur des sujets touchant des millions de Français : décaler le second tour des municipales ou décider de mesures économiques d’urgence… En juin, une deuxième loi d’urgence sanitaire a entraîné le recours à 10 ordonnances. Une quarantaine était prévue à l’origine. Mercredi, le Sénat examinera un nouveau projet de loi autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire. Un texte, qui une nouvelle fois, donne une habilitation au gouvernement afin de procéder par voie d'ordonnances dans le domaine des aides aux entreprises, du chômage partiel, du droit du travail, des délais des démarches administratives ou encore en ce qui concerne les délibérations des collectivités locales. « Le nombre important d’ordonnances dans le texte peut être un motif d’échec du débat », a prévenu Gérard Larcher dans le journal Le Monde, ce vendredi.

 

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