Le Sénat rejette la proposition de loi PS sur l’intégration des jeunes majeurs étrangers
La commission des Lois a rejeté une proposition de loi PS visant à sécuriser l’intégration des jeunes majeurs étrangers en cours de formation. Ce texte fait écho aux procédures d’expulsion pesant sur de jeunes migrants au parcours exemplaire, comme ce fut le cas de Laye Fodé Traoréiné, apprenti dans une boulangerie à Besançon.

Le Sénat rejette la proposition de loi PS sur l’intégration des jeunes majeurs étrangers

La commission des Lois a rejeté une proposition de loi PS visant à sécuriser l’intégration des jeunes majeurs étrangers en cours de formation. Ce texte fait écho aux procédures d’expulsion pesant sur de jeunes migrants au parcours exemplaire, comme ce fut le cas de Laye Fodé Traoréiné, apprenti dans une boulangerie à Besançon.
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Par Héléna Berkaoui

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La commission des Lois a rejeté, mercredi 6 octobre, la proposition de loi du sénateur Jérôme Durain (PS) visant à sécuriser l’intégration des jeunes majeurs étrangers en cours de formation. La rapporteure du texte, la sénatrice LR de Seine-Saint-Denis, Jacqueline Eustache-Brinio, évoque le risque d’un « appel d’air ».

En décembre dernier, l’histoire de Laye Fodé Traoréiné a jeté une lumière crue sur le sort de ces jeunes majeurs étrangers. Le jeune Guinéen, arrivé en France après ses 16 ans, s’est vu remettre une obligation de quitter le territoire à sa majorité alors qu’il était en passe de valider son CAP boulangerie. Les autorités mettaient en cause l’authenticité des papiers fournis dans le cadre d’une demande de titre de séjour.

Son patron était alors allé jusqu’à faire une grève de la faim pour que son apprenti soit régularisé. Une pétition en ce sens avait réuni un peu plus de 240 000 signatures. L’histoire, très médiatisée, a connu une fin heureuse puisque le jeune homme a fini par obtenir un titre de séjour.

Derrière ces cas emblématiques, de nombreux jeunes majeurs en sursis

Mais cette histoire n’est pas un cas isolé, elle révèle un dysfonctionnement dans la législation actuelle, assure le sénateur socialiste de la Saône-et-Loire. Il cite également l’exemple édifiant d’un jeune Albanais, Armando Curri, titulaire d’un CAP de menuiserie et désigné meilleur apprenti de France en 2015.

« Alors qu’il devait participer à la cérémonie organisée au Sénat par la société des meilleurs ouvriers de France (SMOF), sa présence avait dans un premier temps été annulée au motif de sa situation irrégulière. Il faisait alors l’objet d’une obligation de quitter le territoire français », rappelle Jérôme Durain. Une mobilisation citoyenne avait là aussi conduit à sa régularisation.

« De nombreux mineurs isolés, confiés à l’aide sociale à l’enfance, se voient notifiés une décision d’éloignement lors de leur demande de titre de séjour », souligne le sénateur socialiste. Une affirmation confirmée par la Cimade. L’association, à elle seule, accompagne 200 anciens mineurs isolés étrangers visés par une obligation de quitter le territoire français. Sur ce dossier, la Cimade demande notamment que les préfectures cessent « d’exiger des documents impossibles à présenter pour obtenir un titre de séjour, comme les passeports guinéens ».

« La délivrance de plein droit d’un titre de séjour ne signifie pas la délivrance automatique »

La proposition de loi concerne avant tout les mineurs isolés confiés à l’aide sociale à l’enfance après l’âge de 16 ans. Contrairement aux mineurs pris en charge avant 16 ans, ces derniers ne peuvent bénéficier d’une carte de séjour temporaire qu’à titre exceptionnel.

Pour inverser cette logique, la proposition de loi prévoit que « le maintien sur le territoire de ces jeunes étrangers majeurs doit devenir la règle de droit commun et non plus l’exception, dès lors qu’ils remplissent les conditions légales ». Concrètement, son texte entend faire bénéficier de « plein droit » d’une carte de séjour aux jeunes majeurs étrangers, pris en charge entre l’âge de 16 et 18 ans, s’ils suivent une formation professionnelle ou un parcours scolaire.

« La délivrance de plein droit d’un titre de séjour ne signifie pas la délivrance automatique du titre de séjour, mais simplement que le pouvoir d’appréciation de la préfecture sera limité », insiste Jérôme Durain. Le sénateur pointe les biais possibles des préfets dont les décisions peuvent être orientées par les attentes du ministère de l’Intérieur ou par leur sensibilité personnelle, « souvent les décisions n’ont rien à voir avec le parcours du gamin ».

« Nous disposons déjà de tous les outils nécessaires », assure Jacqueline Eustache-Brinio (LR)

Une lecture qui n’a pas convaincu la commission des Lois qui a rejeté le texte ce jeudi. « Le droit constant permet de gérer ce genre de situations », justifie la rapporteure LR du texte, Jacqueline Eustache-Brinio. Selon elle, l’affaire de l’apprenti boulanger ne révèle rien de systémique mais seulement une affaire « ponctuelle qui s’est d’ailleurs réglée […] 94 % des jeunes dans cette situation obtiennent un titre de séjour », assure-t-elle. La sénatrice s’appuie là sur les chiffres de la direction générale des étrangers en France.

Selon la sénatrice de Seine-Saint-Denis, une circulaire de septembre 2021 permet par ailleurs de sécuriser l’intégration de ces jeunes. Cette instruction déposée par le ministère de l’Intérieur vise à généraliser l’examen anticipé du droit au séjour des mineurs étrangers confiés à l’ASE (Aide sociale à l’enfance). L’objectif affiché du ministère est d’éviter des ruptures de droits à leur majorité alors qu’ils sont engagés dans un parcours professionnalisant.

En outre, Jacqueline Eustache-Brinio soutient qu’une telle loi provoquerait « un appel d’air pour les passeurs qui feraient venir des jeunes dans des conditions épouvantables ». La sénatrice LR insiste : « Il ne faut pas qu’il y ait d’automaticité dans la délivrance de titres de séjour ».

Dans son rapport, la sénatrice reconnaît qu’il existe des difficultés à faire admettre la validité de documents d’état civil. C’est le cas notamment des demandeurs d’origine guinéenne, « dont la validité des actes d’état civil serait quasi systématiquement contestée ». Seulement, la réponse à cette problématique doit, selon elle, venir « d’une solution diplomatique et de coopération entre la France et la Guinée ».

La proposition de loi sera débattue en séance publique le 13 octobre, elle a dès lors peu de chances d’être adoptée.

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