Le Sénat rejette le budget 2022 pour dénoncer « la folie dépensière » du gouvernement

Le Sénat rejette le budget 2022 pour dénoncer « la folie dépensière » du gouvernement

Comme prévu, le Sénat a rejeté la première partie du budget 2022, arrêtant ainsi net l’examen du projet de loi de finances (PLF), par 237 voix, contre 52. Le groupe LR dénonce un budget insincère et électoraliste, tandis que les groupes d’opposition, aussi critiques sur le fond – pour des raisons parfois différentes – auraient préféré poursuivre la discussion et amender le budget. Récit de l’estocade finale du Sénat à un budget mort-né.
Louis Mollier-Sabet

Temps de lecture :

9 min

Publié le

Mis à jour le

Fin du suspense. C’était un secret de polichinelle, mais c’est maintenant officiel, le groupe LR au Sénat a bien réussi à couper court aux débats budgétaires, qui agitent traditionnellement beaucoup longuement l’hémicycle avant Noël, en votant contre le fameux « article d’équilibre » - à 237 voix contre 52 – situé à la fin de la première partie du PLF. Enfin, cela semble devenir une habitude pour les budgets précédant une campagne présidentielle, puisque l’examen avait été encore plus court en 2016, quand la majorité sénatoriale avait rejeté le dernier budget du quinquennat de François Hollande, pour des raisons qui sonnent aujourd’hui familières. « Un budget de campagne » pour le rapporteur général, Jean-François Husson, « le plus cher de la Vème République » renchérit son président de groupe, Bruno Retailleau, qui vilipende une « folie dépensière. » Les mots n’ont pas manqué au groupe les Républicains et à leur chef de file pour dénoncer, une fois de plus, l’insincérité budgétaire du gouvernement à l’approche de l’élection présidentielle.

« C’est un signal d’alarme destiné aux Français »

Au fond, derrière le terme consacré « d’insincérité », qui n’en a pas moins le charme morne du jargon des finances publiques, le groupe LR reproche, par la voix de son président, plus prosaïquement « la grosse blague du ‘quoi qu’il en coûte’. » Bruno Retailleau assume, mais en appelle à la responsabilité de sa famille politique face à l’irresponsabilité du gouvernement : « Bien-sûr l’acte que nous allons poser est un acte solennel, un acte grave et un acte rare. Nous n’irons pas plus loin parce que vous êtes allés trop loin. Un budget doit préparer l’avenir alors que vous sacrifiez le long terme au court terme. Nous envoyons un signal d’alarme aux Français. »

Si sur le fond, l’ensemble de la majorité sénatoriale était vent debout contre ce « budget de campagne », les centristes ne semblaient pas enchantés à l’idée de rejeter d’emblée le budget comme en 2016. Sylvie Vermeillet, amère de la décision des LR, mais sénatrice centriste jusqu’au bout, a réitéré l’envie de débattre de son groupe, tout en expliquant que les sénateurs du groupe ne prendraient pas part au vote : « Nous aurions souhaité aller au bout de cet ultime marathon budgétaire, surtout avec la qualité des débats que nous avons eus. Nous avions des propositions à faire, malheureusement le débat semble devoir s’arrêter là. » C’est d’ailleurs la position du groupe centriste qui a « empêché LR de trouver une majorité pour faire voter une question préalable » d’après le sénateur socialiste Rémi Féraud, qui estime que « Les Républicains n’en ont pas tiré les conséquences » en n’allant pas au bout de l’examen budgétaire.

» Lire aussi : Des airs de faux départ pour le coup d’envoi de l’examen du budget au Sénat.

Il faut bien avouer que cette divergence initiale a finalement enfanté un examen budgétaire un peu bâtard, où la grande majorité des amendements provenaient des groupes d’opposition et étaient par conséquent rejetés par la majorité sénatoriale. À gauche, on regrette une musique un peu monotone pendant ce marathon budgétaire, où un rapporteur général de la majorité sénatoriale « consciencieux », d’après les mots de Rémi Féraud, fournissait au gouvernement les arguments pour se contenter d’une pluie d’avis « défavorables » pas plus développés. Sophie Taillé-Polian confie à la tribune son « profond regret du simulacre de discussion auquel nous avons assisté ces derniers jours. » La sénatrice Génération. s fustige un « désert de dialogue » où les LR n’ont eu « aucune réaction, aucun avis sur rien. »

« N’êtes-vous pas plutôt gênés du fait que le gouvernement présente un budget dont vous partagez les grandes orientations ? »

Un rejet par conséquent d’autant plus difficilement tenable, que sur le fond, la gauche renvoie la majorité sénatoriale et le gouvernement dos à dos : « Il y a une grande cohérence entre vos positions. Les baisses d’impôts sont votre addiction commune, vous refusez ensemble le respect des accords de Paris. Sur chaque amendement, le rapporteur général a fait le travail et M. le ministre disait ‘même avis’. » Et Rémi Féraud d’ajouter : « N’êtes-vous pas plutôt gênés du fait que le gouvernement présente un budget dont vous partagez les grandes orientations ? La majorité sénatoriale va rejeter les recettes dont elle a approuvé tous les articles. Où est la logique chers collègues ? »

Budget:: "La majorité sénatoriale va rejeter les recettes dont elle a approuvé tous les articles "
05:14

C’est aussi finalement presque l’argumentation d’Olivier Dussopt, qui a eu « un mot de regret » face à la position de la Haute assemblée qui rejette les recettes alors qu’elle avait validé chacun des articles jusqu’à celui-ci : « Cette séance est moins sereine et plus théâtrale que les débats que nous avons pu avoir au cours du quinquennat. Cet article n’est qu’une synthèse de tous les articles que le Sénat a votés jusqu’à présent. » Le ministre chargé des Comptes publics va même jusqu’à regretter que les positions du Sénat « ne soient pas portées » et que ses apports « ne puissent être intégrés à quelque discussion que ce soit. »

Budget: Olivier Dussopt regrette l'attitude du Sénat
01:58

François Patriat, le président du groupe RDPI (LREM) au Sénat se montre même moins conciliant : « Les masques sont tombés, la majorité sénatoriale est incohérente et fuit ses responsabilités. Le Parlement veut toujours être entendu et là, il refuse de discuter. »

Le gouvernement trouve ainsi des alliés de circonstance chez les sénateurs n’appartenant pas à la majorité sénatoriale, mais qui auraient voulu poursuivre la discussion budgétaire, comme ceux du groupe RDSE présidé par Jean-Claude Requier : « Le groupe RDSE va voter cet article. Ce n’est pas donner un quitus au gouvernement, ni approuver la dette colossale qui se creuse, mais nous souhaitons avoir un débat et ensuite voter éventuellement contre le budget s’il ne nous convient pas. » Le président du groupe parlementaire le plus ancien du Sénat joue carte sur table et déplore une mise en péril du bicamérisme et du rôle du Sénat : « C’est vrai que c’est un budget électoral, mais entre nous, nous ne sommes pas des perdreaux de l’année, on en a vu des budgets de gauche et de droite où des mesures impopulaires sont reportées après les élections. Aujourd’hui, nous nous tirons une balle dans le pied. Beaucoup de nos compatriotes vont se dire ‘à quoi sert le Sénat ?’ » Pascal Savoldelli partage ce point de vue, et en profite pour tacler Bruno Le Maire, et les positions sur une réforme institutionnelle prises dans son livre, qui a encore brillé par son absence aujourd’hui dans l’hémicycle : « Vous donnez raison à l’écrivain Bruno Le Maire, qui veut réduire le Sénat à un rôle de consultant, obligé d’observer la politique du gouvernement. »

« Un budget, ce n’est pas que des chiffres dans des colonnes, ce sont des choix politiques »

En tout état de cause, c’est bien une copie blanche qu’a rendue le Sénat aujourd’hui en rejetant cet « article d’équilibre » qui fait tomber le reste du budget et renvoie le projet de loi de finances tel quel à l’Assemblée nationale pour une deuxième lecture. La majorité sénatoriale assume « un choix politique », selon les mots de Bruno Retailleau : « Un budget ce ne sont pas que des chiffres dans des colonnes, ce sont des choix, une orientation politique. Ce n’est pas à la technique budgétaire de tenir la politique, c’est à la politique de tenir la technique. Oui nous avons voulu sortir du train-train budgétaire. » Précisément, répond Rémi Féraud. Le sénateur socialiste regrette une discussion politique « bâclée et interrompue » malgré les efforts des groupes socialistes, écologistes et communistes pour déposer des amendements. « C’est un vote à contretemps. Il est regrettable qu’après avoir joué au ‘roi du silence’pendant l’examen, la majorité sénatoriale ait fait d’aujourd’hui le vrai moment politique. »

À contretemps ou pas, ce vote entérine la fin du marathon budgétaire, qui occupe d’habitude le Sénat jusqu’aux fêtes de fin d’année. Alors que les sapins et les décorations de Noël étaient installés aujourd’hui rue de Vaugirard devant le Sénat, Bruno Retailleau, visiblement inspiré, s’essaie à la métaphore filée pour dénoncer une dernière fois le caractère dispendieux et électoraliste de ce budget 2022 : « Certes, Noël est à quelques encablures, mais les Français ne sont pas des ravis de la crèche, et nous ne voulons pas qu’ils finissent les dindons de la farce. » Reste à savoir qui plumera qui en 2022.

Dans la même thématique

France Israel Palestinians Campus Protests
6min

Politique

Sciences Po bloqué : la droite sénatoriale dénonce « la pensée totalitaire d’une minorité d’extrême gauche »

La mobilisation de plusieurs dizaines d’étudiants en soutien aux Palestiniens se poursuit à Sciences Po. Après avoir été délogés par les forces de l’ordre dans la nuit de mercredi à jeudi, les étudiants occupaient toujours les lieux ce vendredi. Une action en miroir de celles qui ont lieu sur les campus américains. La droite sénatoriale dénonce l’importation « du wokisme » d’outre Atlantique.

Le

Le Sénat rejette le budget 2022 pour dénoncer « la folie dépensière » du gouvernement
5min

Politique

Européennes 2024 : après le discours d’Emmanuel Macron, Olivier Faure veut saisir l’Arcom au nom de « l’équité » entre les candidats

Le Parti socialiste demande que le discours d’Emmanuel Macron sur l’Europe, prononcé jeudi 25 avril à la Sorbonne, soit décompté des temps de parole et inscrit dans les comptes de campagne de la majorité présidentielle. Pour le patron du PS, invité de Public Sénat, le chef de l’Etat est devenu « candidat à cette élection européenne ».

Le