Le Sénat revient sur son vote et rejette l’allongement de deux semaines du délai de l’IVG

Le Sénat revient sur son vote et rejette l’allongement de deux semaines du délai de l’IVG

La majorité sénatoriale de droite a demandé un second vote, avec l’accord du gouvernement, sur l’allongement de 12 à 14 semaines du délai pour l’IVG. Il a cette fois été largement rejeté. L’amendement de la socialiste Laurence Rossignol avait été adopté par surprise vendredi.
Public Sénat

Temps de lecture :

7 min

Publié le

Mis à jour le

Le vote était passé de justesse et par surprise vendredi. Le Sénat a décidé de revoter sur l’allongement de 12 à 14 semaines du délai légal pour l’interruption volontaire de grossesse (IVG), adopté dans le cadre de l’examen du projet de loi santé. Pour mieux revenir dessus. Dans un hémicycle plein, le Sénat a cette fois rejeté ce qu’il avait adopté avec 22 sénateurs présents la semaine dernière, par 205 voix pour, 102 contre et 41 abstentions. L’amendement de la sénatrice PS Laurence Rossignol était passé à deux voix près vendredi, grâce notamment au vote de deux sénateurs LREM (voir notre article).

« Aucune concertation préalable »

Cette seconde délibération est une possibilité donnée par le règlement. Elle a été demandée ce mardi par le président de la commission des affaires sociales, et rapporteur du texte, le sénateur LR Alain Milon, qui s’était opposé à l’allongement. Elle nécessitait l’accord du gouvernement. La ministre Agnès Buzyn, qui s’était déjà ralliée à l’avis du rapporteur, a soutenu en connaissance de cause cette demande de seconde délibération.

Pour Alain Milon, l’amendement n’a fait l’objet « d’aucune concertation préalable avec la communauté scientifique et médicale » (voir la première vidéo). Il ajoute : « Ce n’est pas dans ces conditions et circonstances, à la fin d’un texte sur l’organisation du système de santé, que la question du délai de l’IVG est tranchée ».

Buzyn : « Sur la question de l’IVG, je ne peux être suspectée d’aucune façon »

Buzyn : « Sur la question de l’IVG, je ne peux être suspectée d’aucune façon »
03:01

Quand la ministre de la Santé prend la parole, c’est avec une voix prise par l’émotion qu’elle rappelle son soutien au principe de l’avortement. « Sur la question de l’IVG, je ne peux être suspectée d’aucune façon » souligne Agnès Buzyn. « Je suis particulièrement attachée à l’amélioration des droits sexuels et reproductifs des femmes ». Elle entend « assurer une offre diversifiée, de proximité, réelle et accessible de façon permanente » à l’IVG. Mais « les conditions (du vote) n’étaient pas satisfaisantes, compte tenu de ses circonstances particulières, car le projet de loi est centré sur l’organisation des soins ». Elle accepte la seconde délibération, renvoyant à un rapport sur l’accès à l’IVG, et à un « débat légitime dans le bon cadre ».

« Petite combine de procédure mise au point par le groupe LR et le gouvernement »

Laurence Rossignol a vertement dénoncé cette seconde délibération. La sénatrice de l'Oise y a vu « une petite combine de procédure mise au point par le groupe LR au Sénat et le gouvernement pour s’opposer à une avancée très attendue sur l’accès à l’IVG ».

IVG : Laurence Rossignol (PS) dénonce une « petite combine de procédure mise au point par le groupe LR et le gouvernement »
01:44

L’ancienne ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes a rappelé que « 3000 à 5000 femmes, chaque année, partent à l’étranger » pour pratiquer une IVG dans un pays européen qui pratique un délai plus long. Elle en fait donc une mesure de justice sociale. Autre chiffre : « 74% des femmes qui pratiquent un avortement sont sous contraception », ce qui va à l’encontre de l’idée qu’une meilleure information suffirait. La socialiste souligne aussi que « les mineures, qui ne savent même pas ce qui leur arrive », seraient aussi concernées par l’allongement du délai. Face au refus de la ministre, Laurence Rossignol rappelle que la liste LREM aux européennes « a promu le pacte Simone Veil, la solidarité législative entre les femmes de tous les pays d’Europe » sur l’IVG...

Les bancs de gauche, dans leur ensemble, ont apporté leur soutien à l’allongement du délai de l’IVG. Il « n’émane pas de quelques sénatrices et sénateurs, mais de professionnels de santé ou de structures, comme le planning familial, qui accompagnent les femmes quand elles ont recours à l’IVG », souligne la présidente du groupe CRCE (à majorité communiste), Eliane Assassi.

« La privatisation d’ADP a été votée à l’Assemblée à 6 heures du matin et sans seconde délibération… » 

Sur la seconde délibération, la sénatrice PCF de Seine-Saint-Denis rappelle au passage que « la privatisation d’ADP a été votée à l’Assemblée à 6 heures du matin en présence de 45 députés, sans seconde délibération… » « Il y aurait donc des bons votes et des mauvais votes ? Ça doit nous interroger sur la question du scrutin public », qui permet de voter pour les absents de son groupe, souligne le socialiste Rachid Temal. « Rien n’a été mal fait dans ce vote. Il y a eu la présentation des amendements, l’avis de la commission, un vote majoritaire. Le fait qu’on revienne dessus n’est pas banal » ajoute le sénateur PS David Assouline. C’est lui qui présidait la séance au moment du vote.

La sénatrice (Gauche républicaine et socialiste, ex-PS) Marie-Noëlle Lienemann attaque fort : « la réalité, c’est que vous voulez faire reculer le droit à l’avortement (…) car le droit n’existe que lorsqu’il est dans les faits. C’est le droit réel qui compte ».

« Risque d’eugénisme et de choix de l’enfant » selon le sénateur LR Alain Houpert

Le sénateur LR de la Côte-d’Or, Alain Houpert, attaque fort également, mais pour dénoncer l’allongement du délai. Précisant intervenir en tant que « praticien, radiologue » qui a « aidé beaucoup de femmes qui étaient dans un projet d’interruption de grossesse », le sénateur LR a vu dans l’allongement du délai un parallèle avec l’« eugénisme » : « A 12 semaines, c’est un embryon qui mesure 6,5 cm de distance crânio-caudale où l’on ne voit que le bourgeon germinal. A 14 semaines, nous sommes face à un fœtus et nous avons 90% de chances de dépister le sexe. Et là, nous rentrons dans un risque d’eugénisme et de choix de l’enfant ». Emotion et réprobations sur les bancs de gauche. « Je ne suis pas un dangereux réactionnaire. J’interviens en tant que technicien. Nous avons un danger énorme » insiste Alain Houpert. Regardez :

Allongement du délai de l’IVG : un sénateur LR dénonce « un risque d’eugénisme »
01:18

Sur la forme, l’ancien ministre des Relations avec le Parlement, Roger Karoutchi, souligne qu’« il y a 7 ou 8 demandes de seconde délibération chaque année. Ça n’a rien d’exceptionnel » tente de minimiser le sénateur LR des Hauts-de-Seine. Sur le fond, sa collègue LR Catherine Deroche, elle aussi médecin de profession, souligne que « chacun a sa propre vision sur l’IVG. C’est totalement caricatural. Et je refuse d’être classée dans cette catégorie de conservateurs qui veulent revenir sur le droit de l’IVG. C’est un débat de fond, mais ce n’est pas au détour d’un amendement présenté un vendredi matin ».

Pour le groupe RDSE, la sénatrice François Laborde a appelé à « prendre de la hauteur et à agir de manière dépassionnée. (…) Donnons-nous le temps ». Selon la sénatrice du Parti radical, le projet de loi sur la bioéthique sera la bonne occasion. Pour l'heure, le débat s’est prolongé ce mardi après-midi. Il n’est certainement pas fini.

Dans la même thématique

Paris : Speech of Emmanuel Macron at La Sorbonne
6min

Politique

Discours d’Emmanuel Macron sur l’Europe : « Il se pose en sauveur de sa propre majorité, mais aussi en sauveur de l’Europe »

Le chef de l'Etat a prononcé jeudi 25 avril à la Sorbonne un long discours pour appeler les 27 à bâtir une « Europe puissance ». À l’approche des élections européennes, son intervention apparait aussi comme une manière de dynamiser une campagne électorale dans laquelle la majorité présidentielle peine à percer. Interrogés par Public Sénat, les communicants Philippe Moreau-Chevrolet et Emilie Zapalski décryptent la stratégie du chef de l’Etat.

Le

Paris : Speech of Emmanuel Macron at La Sorbonne
11min

Politique

Discours d’Emmanuel Macron sur l’Europe : on vous résume les principales annonces

Sept ans après une allocution au même endroit, le président de la République était de retour à La Sorbonne, où il a prononcé ce jeudi 25 avril, un discours long d’1h45 sur l’Europe. Se faisant le garant d’une « Europe puissance et prospérité », le chef de l’Etat a également alerté sur le « risque immense » que le vieux continent soit « fragilisé, voire relégué », au regard de la situation internationale, marquée notamment par la guerre en Ukraine et la politique commerciale agressive des Etats-Unis et de la Chine.

Le

Police Aux Frontieres controle sur Autoroute
5min

Politique

Immigration : la Défenseure des droits alerte sur le non-respect du droit des étrangers à la frontière franco-italienne

Après la Cour de Justice de l’Union européenne et le Conseil d’Etat, c’est au tour de la Défenseure des droits d’appeler le gouvernement à faire cesser « les procédures et pratiques » qui contreviennent au droit européen et au droit national lors du contrôle et l’interpellation des étrangers en situation irrégulière à la frontière franco-italienne.

Le

Objets
4min

Politique

Elections européennes : quelles sont les règles en matière de temps de parole ?

Alors que le président de la République prononce un discours sur l’Europe à La Sorbonne, cinq ans après celui prononcé au même endroit lors de la campagne présidentielle de 2017, les oppositions ont fait feu de tout bois, pour que le propos du chef de l’Etat soit décompté du temps de parole de la campagne de Renaissance. Mais au fait, quelles sont les règles qui régissent la campagne européenne, en la matière ?

Le