Le Sénat s’inquiète des bouleversements dans le financement de la Sécu

Le Sénat s’inquiète des bouleversements dans le financement de la Sécu

La nature du financement de Sécurité sociale est en train de changer, avertissent de nombreux sénateurs, à l’occasion de l’examen projet de loi de financement ce jeudi. Ils demandent à l’État l’organisation d’un vrai débat national.
Public Sénat

Temps de lecture :

7 min

Publié le

Mis à jour le

Les projets de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) se succèdent et la question du financement de la Sécurité sociale soulève chaque année un peu plus d’interrogations au Parlement. À travers sa politique économique visant à favoriser l’emploi, le gouvernement a contribué lui aussi à modifier les sources de recettes de la Sécurité sociale. Ce sont notamment les effets de la suppression des cotisations sociales d’assurance-maladie pour les salariés, ou encore des baisses de charges patronales, en remplacement du CICE (Crédit d'Impôt Compétitivité Emploi).

Le débat, ce jeudi au Sénat, sur l’article 19 du projet de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), qui organise les transferts financiers entre le budget de l’État et la Sécurité sociale, n’a pas seulement été technique. Il a été politique.

« Un glissement insidieux » et un « tournant antisocial »

« En 2019, les recettes de la Sécurité sociale sont assurées à hauteur de 52% par des cotisations, et à 45% par des recettes fiscales, en particulier la CSG », a constaté le sénateur (LR) Jean-Noël Cardoux. Actuellement, 36 milliards d’euros du budget de l’État sont versés en compensation à la Sécu. « On se dirige donc très vite d’un régime assurantiel où il faut avoir cotisé, pour bénéficier de prestations, vers un régime universel où les recettes Sécurité sociale seront assurées par des dispositions fiscales. C’est un glissement insidieux auquel nous assistons », a-t-il ajouté.

Cette réalité ne date pas de l’actuel quinquennat. Mais elle est sans doute plus visible encore. Dès les premiers articles, débattus mardi, le ministre de l’Action et des Comptes publics Gérald Darmanin, a été très clair sur les intentions du gouvernement. « Nous souhaitons passer d’un système assurantiel à un système universel de financement, notamment de la protection sociale. » Pour le ministre, « les choses ont changé depuis 1945 », qu’il s’agisse de démographie, d’emploi ou de croissance. D’où la nécessité d’adapter les sources de financement, selon lui.

Sécu : « Nous souhaitons passer d’un système assurantiel à un système universel de financement », déclare Darmanin
01:38

Avec la montée en puissance des impôts comme la CSG, et la place toujours plus importante des financements de l’État dans le budget de la Sécurité sociale, plusieurs sénateurs de différentes tendances s’inquiètent d’une perte d’autonomie de la Sécurité sociale. D’autres parleront d’une « mise sous tutelle » des services de Bercy, à l’image du socialiste Yves Daudigny, qui évoque un « tournant antisocial de l’Assurance maladie » :

Yves Daudigny évoque un « tournant antisocial de l’Assurance maladie »
01:58

Groupes de gauche et majorité sénatoriale de droite et du centre (voir notre interview de Bruno Retailleau) se sont retrouvés sur le même constat. « Vous êtes en train de changer fondamentalement les règles », a lancé au gouvernement la communiste Laurence Cohen. « On arrive à un moment où on peut insidieusement basculer dans un système tout autre que celui qui a été voulu à l’origine », a commenté le rapporteur de la commission des Affaires sociales, Jean-Marie Vanlerenberghe (Union centriste).

Un sénateur LR demande que la question soit posée dans le cadre de la réforme constitutionnelle

Ce changement de paradigme de la Sécurité sociale mérite en tout cas de l’avis des sénateurs une discussion à part entière, et non un « débat fragmentaire », « au détour d’un article » du PLFSS. « Il faut que ce changement de société, qui va conduire vers une irresponsabilité accrue de nos concitoyens, soit débattu par le Parlement et fasse l’objet d’une réflexion dans le cadre de la réforme constitutionnelle », réclame le sénateur Jean-Yves Cardoux. « On a avancé sur cette question à petits pas […] Cette question mérite un vrai et grand débat national », renchérit le centriste Olivier Henno.

Cette revendication se retrouve aussi dans les rangs du groupe La République en marche. « Il faut avoir une réflexion globale et dédiée », demande le sénateur Michel Amiel.

Des États généraux réclamés, pour recueillir l’avis de la population

Le président de la commission des Affaires sociales a réitéré son souhait, en direction de la ministre des Solidarités et de la Santé, de voir naître un « vrai débat populaire et démocratique » sur ces enjeux. Il faut « demander à nos concitoyens », a-t-il expliqué devant ses collègues, réclamant des « États généraux au niveau des territoires, avec nos concitoyens » (voir la vidéo principale).

« Le débat n’est pas tant de savoir quelles sont les tuyauteries et de savoir qui de l’État ou de la Sécurité sociale paye, si elle est universelle ou assurantielle », a réagi Gérald Darmanin, rappelant « qu’à la fin des fins, il y a qu’un seul citoyen » pour payer. Pour lui, ce qui doit être essentiel, ce sont « les enjeux » de demain. Notamment le financement de la dépendance, qui impliquera de nouvelles sources de financement.

Les vases communicants budgétaires n’ont pas seulement lieu entre budget de l’État et celui de la Sécu. La mécanique est aussi à l’œuvre entre les différentes branches de la Sécurité sociale. L’un des rapporteurs du PLFSS Gérard Dériot (LR) a dénoncé la « méthode de siphonage » dans la branche des accidents du travail et maladies professionnelles. Le sénateur estime que les produits de ses cotisations sont supérieurs aux besoins et sont de fait « détournés » vers les branches déficitaires de la Sécu. « C’est tout à fait inadmissible car ce sont les cotisations des entreprises qui permettent d’équilibrer le pseudo-excédent de la branche maladie », s’est-il offusqué.

Darmanin attaque LR sur les exonérations de charges votées depuis mardi

La dimension éminemment politique du débat n’a pas empêché quelques piques de se glisser dans le débat. Alors qu’il répondait au groupe communiste, Gérald Darmanin s’est ensuite tourné vers son ancienne famille des Républicains, les accusant de manquer de constance et de cohérence. « Vous nous dites : il faut que les cotisations assurantielles continuent à payer l’Assurance maladie. Dans ces cas-là, ne proposez pas plus de 23 amendements d’exonérations de charges ! Parce que là, on va avoir un petit problème de financement à la fin. »

Budget de la Sécu : Darmanin tacle Les Républicains
06:25

De leur côté, les sénateurs n’ont pas dit non au jeu des vases communicants pour améliorer la santé budgétaire de la Sécu. Ils ont adopté un amendement refusant la réduction d’affectation de la TVA à la Sécurité sociale prévue pour la fin du quinquennat. « S’il est légitime que l’État puisse bénéficier, dans une certaine mesure, du retour à l’équilibre des comptes de la sécurité sociale, ces coupes ne sont pas acceptables en l’état », a exposé le rapporteur Jean-Marie Vanlerenberghe. Pour lui, la décision du gouvernement n’était pas compatible avec la volonté de réduire la dette de la branche maladie.

Dans la même thématique

Paris : Speech of Emmanuel Macron at La Sorbonne
6min

Politique

Discours d’Emmanuel Macron sur l’Europe : « Il se pose en sauveur de sa propre majorité, mais aussi en sauveur de l’Europe »

Le chef de l'Etat a prononcé jeudi 25 avril à la Sorbonne un long discours pour appeler les 27 à bâtir une « Europe puissance ». À l’approche des élections européennes, son intervention apparait aussi comme une manière de dynamiser une campagne électorale dans laquelle la majorité présidentielle peine à percer. Interrogés par Public Sénat, les communicants Philippe Moreau-Chevrolet et Emilie Zapalski décryptent la stratégie du chef de l’Etat.

Le

Paris : Speech of Emmanuel Macron at La Sorbonne
11min

Politique

Discours d’Emmanuel Macron sur l’Europe : on vous résume les principales annonces

Sept ans après une allocution au même endroit, le président de la République était de retour à La Sorbonne, où il a prononcé ce jeudi 25 avril, un discours long d’1h45 sur l’Europe. Se faisant le garant d’une « Europe puissance et prospérité », le chef de l’Etat a également alerté sur le « risque immense » que le vieux continent soit « fragilisé, voire relégué », au regard de la situation internationale, marquée notamment par la guerre en Ukraine et la politique commerciale agressive des Etats-Unis et de la Chine.

Le

Police Aux Frontieres controle sur Autoroute
5min

Politique

Immigration : la Défenseure des droits alerte sur le non-respect du droit des étrangers à la frontière franco-italienne

Après la Cour de Justice de l’Union européenne et le Conseil d’Etat, c’est au tour de la Défenseure des droits d’appeler le gouvernement à faire cesser « les procédures et pratiques » qui contreviennent au droit européen et au droit national lors du contrôle et l’interpellation des étrangers en situation irrégulière à la frontière franco-italienne.

Le

Objets
4min

Politique

Elections européennes : quelles sont les règles en matière de temps de parole ?

Alors que le président de la République prononce un discours sur l’Europe à La Sorbonne, cinq ans après celui prononcé au même endroit lors de la campagne présidentielle de 2017, les oppositions ont fait feu de tout bois, pour que le propos du chef de l’Etat soit décompté du temps de parole de la campagne de Renaissance. Mais au fait, quelles sont les règles qui régissent la campagne européenne, en la matière ?

Le