Le Sénat veut accélérer sur la lutte contre les fraudes sociales

Le Sénat veut accélérer sur la lutte contre les fraudes sociales

Plusieurs élus centristes, emmenés par la sénatrice de l’Orne Nathalie Goulet présenteront le 11 mars une proposition de loi pour lutter contre les fraudes sociales. Le texte vient apporter un débouché législatif à de nombreux rapports publiés ces dernières années.
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Par Pierre Maurer

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Le sujet lui tient à cœur. Nathalie Goulet (UC), sénatrice de l’Orne, présentera le 11 mars prochain avec plusieurs de ses collègues centristes une proposition de loi au Sénat pour lutter contre les fraudes sociales. Objectif : « Prendre en considération les études et les rapports qui se sont penchés sur la question [de la fraude] ». Le texte, comprenant 25 articles, rassemble les propositions existantes et prévoit des mesures comme : le renforcement de la lutte contre la fraude domiciliaire, l’imposition du versement des prestations sociales sur un compte français ou européen, l’obligation de fournir des documents de bonne qualité pour les ressortissants étrangers demandant un numéro de sécurité sociale, ou encore la délivrance d’une habilitation à des agents des organismes sociaux pour mener des enquêtes judiciaires sous l’autorité du procureur de la République ou du juge d’instruction.

« Les recommandations sont prêtes, il est grand temps désormais de passer à l’action et de mettre un terme au pillage en règle de notre système de protection sociale », pressent les sénateurs. Avec cette proposition de loi, Nathalie Goulet souhaite en effet mettre en lumière les fraudes sociales, afin que le sujet soit « enfin traité ». Elle se félicite d’ailleurs que le gouvernement se « saisisse de la question ». Au début du mois de février, le ministre en charge des Comptes publics, Olivier Dussopt, a donné son aval à près de trente mesures pour lutter contre le phénomène. Au menu : renforcement des contrôles des professionnels de santé ou l’utilisation d’une base de données pour calculer le montant de certaines allocations. Entre autres, Bercy veut faire le ménage parmi les quelque 3 millions d’assurés résidant moins de 6 mois par an dans l’hexagone, et parmi les 152 000 détenant encore plusieurs cartes vitales actives. Il s’agira aussi de systématiser les échanges entre les organismes sociaux et le fisc pour vérifier les domiciliations.

« Ce n’est pas une fraude du pauvre, mais un véritable système en réseaux organisés », insiste la sénatrice normande… depuis octobre 2019, date de remise de son rapport rédigée avec la députée Carole Grandjean (LREM). « La fraude sociale n’entre pas en compétition avec la fraude fiscale, selon une dichotomie douteuse entre fraude de pauvres et fraude de riches. Au lieu de cette opposition traditionnelle, les deux fraudes fiscale et sociale doivent être combattues avec la même force et surtout les mêmes moyens », martèle-t-elle. L’ancien Premier ministre Édouard Philippe les avait missionnées afin de « procéder à une évaluation robuste et objective du coût de la fraude aux prestations sociales ».

Difficultés à chiffrer les fraudes

Depuis, les rapports se sont multipliés sans répondre à la question face à un maquis de chiffres. Les deux parlementaires, elles, soulignaient leur difficulté à évaluer le montant des fraudes sociales (lire notre article). La dernière estimation pour 2018, s’élevait à 8,4 milliards d’euros soit 1,6 % des montants distribués. « Les rapporteures ont estimé qu’il ne leur était pas matériellement possible de procéder à un chiffrage du montant de la fraude aux prestations sociales », écrivaient-elles. Elles ajoutaient : « Si le chiffrage de la fraude aux prestations sociales est difficile à estimer, chacun s’accordera à partager qu’elle est largement sous-estimée du fait de son caractère dissimulé ».

Très détaillé, leur rapport établit un véritable inventaire de toutes les fraudes : à l’état civil, à la résidence, au logement, aux documents et attestations, médicales, ou encore fraudes aux déclarations de ressources et de patrimoine, à la dissimulation d’activité, aux coordonnées bancaires, au RSA etc. Elles mettaient déjà le doigt, par exemple, sur la question du nombre de cartes vitales en circulation. Pour Nathalie Goulet, la fraude se cache à tous les étages : « Ce n’est qu’un échantillon de ce qui se passe au niveau national sur d’autres prestations : c’est-à-dire du pillage en règle », alerte-t-elle.

Soucieux de ne pas pointer du doigt la majorité des bénéficiaires de prestations sociales, le rapport comme la proposition de loi se penchent aussi sur « le non-recours ». « 28 % des personnes ne vont pas chercher les droits auxquels ils ont droit. Lutter contre la fraude permet une meilleure justice sociale. Il faut que l’argent aille vraiment là où les gens en ont besoin », rappelait Nathalie Goulet.

Profusion de rapports

À leur travail est venue s’ajouter une foule de textes, ce que soulignent les parlementaires dans l’exposé des motifs de leur proposition de loi. En septembre 2020, la Commission des affaires sociales du Sénat a rendu public un rapport d’enquête de la Cour des comptes concernant la fraude aux prestations sociales. Les Sages de la rue Cambon considéraient eux aussi qu’il était impossible de « chiffrer de manière suffisamment fiable » les montants des fraudes sociales, mais formulaient un certain nombre de propositions. « Leurs préconisations vont dans le même sens que les nombreuses recommandations qui ont été avancées par les études portant sur le sujet », soulignent les sénateurs centristes.

Le même jour, une commission d’enquête à l’Assemblée publiait ses propres recommandations, après six mois de travaux. « Nous n’avons pas donné de chiffres précis parce que la fourchette est trop importante, donc elle prête à débats », expliquait Pascal Brindeau, le rapporteur de la commission d’enquête, au Figaro. Quelques jours plus tôt, toujours au Figaro, Pascal Brindeau avait estimé l’étendue de la fraude sociale « entre 14 à 45 milliards d’euros ». En décembre 2018, un magistrat spécialisé dans la fraude fiscale et sociale, Charles Prats, avait évalué, sur un total de 450 milliards de prestations, à 14 milliards d’euros annuels, le montant des escroqueries aux prestations sociales liées à l’existence de faux numéros d’immatriculation de personnes nées à l’étranger.

Finalement, sans parvenir à de réels chiffrages de l’ampleur du problème, ces différents rapports ont dressé un état des lieux des différents types de fraudes, dans chaque branche de la Sécu, afin de lister des propositions concrètes pour renforcer les conditions de délivrance des prestations et les moyens de détection des comportements fautifs. Des propositions que le texte de Nathalie Goulet et de ses collègues souhaite mettre en œuvre. « Quelques avancées sont à noter, mais la riposte aux fraudeurs est trop lente, trop faible et manque de détermination. Ainsi, alors que le Sénat a voté par deux fois la possibilité d’expérimentation de la carte vitale biométrique, l’Assemblée nationale a refusé en décembre 2020 de voter cette mesure ; preuve que le combat contre la fraude sociale doit être mené sans faiblesse », appuient les signataires de la proposition de loi, dans l’espoir de voir aboutir leurs mesures.

Nathalie Goulet avait déjà déposé une quinzaine d’amendements lors du PLFSS (le budget de la Sécu). Elle a désormais bon espoir qu’une version « réduite » de son texte - car certaines mesures sont déjà en application - soit adoptée par le Sénat. Ce qu’a confirmé Jean-Marie Vanlerenberghe, sénateur centriste et rapporteur du texte pour la commission des Affaires sociales. « Sur les 24 propositions on a fait le tri et on en a retenu une dizaine qui balaye tous les champs. Les mesures touchent aux prestations et au recouvrement des cotisations », a-t-il expliqué à notre micro (voir vidéo ci-dessous).

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