Les internes et les jeunes médecins dénoncent devant le Sénat « une maltraitance institutionnalisée » à l’hôpital

Les internes et les jeunes médecins dénoncent devant le Sénat « une maltraitance institutionnalisée » à l’hôpital

Auditionnés par la commission d’enquête sur la situation de l’hôpital en France, des représentants des internes et des jeunes médecins ont fait part de la « maltraitance institutionnalisée », relatant un climat de violence en milieu hospitalier qui a même surpris les sénateurs de la commission d’enquête.
Louis Mollier-Sabet

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« Cette audition restera marquée par votre discours sur les violences, les agressions et ce cadre de travail que vous décrivez, qui nous a un peu surpris. Nous avions des éléments, des remontées, mais la situation que vous décrivez… » Bernard Jomier, président apparenté socialiste de la commission d’enquête n’en finit pas sa phrase en conclusion de cette audition de représentants des internes et de jeunes médecins, qui ont effectivement décrit les conditions de travail assez peu attractives – c’est un euphémisme – du système hospitalier français pour les nouveaux entrants. Devant la commission d’enquête du Sénat sur « la situation de l’hôpital et du système de santé en France » des représentants des syndicats d’internes, ou d’associations de jeunes médecins sont revenus sur les différents dispositifs qui permettraient de former et d’attirer de nouveaux médecins vers l’hospitalier et la médecine générale. Mais au-delà des simplifications administratives et des réformes de la direction et du management des établissements de santé, ce sont les effets repoussoirs des conditions de travail qui ont marqué cette audition.

« Si on ne règle pas le problème de souffrance des soignants, on ne peut pas traiter les souffrances des patients »

Mathilde Renker, interne en médecine générale et présidente de l’InterSyndicale Nationale Autonome Représentative des Internes de Médecine Générale (INSAR-IMG) va jusqu’à parler de « maltraitance institutionnalisée » d’internes « pressurisés pour maintenir à flot des hôpitaux submergés. » La situation de l’hôpital demanderait, d’après elle, des « investissements constants et systémiques pour remettre la bienveillance au cœur du système de soins. » Parce que c’est bien cela dont il est question dans les conditions de travail pour la Dr Agathe Lechevalier, présidente du syndicat Jeunes médecins : « Les internes en médecine sont en souffrance. Et quand on est en souffrance soit même, on ne peut pas être ouvert à la souffrance de l’autre. Quand on n’a pas de temps, on est maltraitant. Si on ne règle pas le problème de souffrance des soignants, on ne peut pas traiter les souffrances des patients. »

De cette audition ressort une « maltraitance » protéiforme, qui va de la perte de sens d’un métier de soignant qui croule sous la charge des tâches administratives au harcèlement caractérisé. Mathilde Renker a commencé par évoquer le fait « qu’une des tâches majoritaires des externes consiste à faire des fax » pour communiquer entre les différents services. Un témoignage qui a surpris jusqu’à Bernard Jomier, pourtant médecin généraliste encore en exercice, qui s’est même ironiquement inquiété de savoir si les hôpitaux français utilisaient encore des pigeons voyageurs. Mais ce n’est pas seulement cet exemple qui a fait tiquer le président de la commission d’enquête qui a réagi – visiblement choqué par l’ampleur des dégâts décrits – à une phrase de Mathilde Renker, en demandant aux jeunes médecins auditionnés s’ils estimaient véritablement que « la culture du monde hospitalier encourageait les violences et les agressions. » Il n’a pas été déçu.

« Ce que vous nous avez dit aujourd’hui ne restera pas lettre morte »

Gaëtan Casanova, président de l’Intersyndicale des internes (ISNI) décrit une violence particulièrement prégnante dans la carrière des internes, puisque ceux-ci seraient « séquestrés de 3 à 5 ans » dans un système hospitalier exsangue et en sous-effectif : « On ne les laisse pas aller se former dans le privé ou les hôpitaux périphériques et on les séquestre dans les CHU. La conséquence c’et l’épuisement, le burn-out. Nous avons constaté 25 % de dépression l’année dernière chez les internes en médecine. » Le président de l’Intersyndicale des internes (ISNI) ne s’est pas fait prier pour donner un exemple plus précis qu’il estime démontrer que « le monde médical et l’hôpital permettent aux violences de prospérer. »

Gaëtan Casanova évoque ainsi des témoignages de harcèlement au CHU de Poitiers [voir les enquêtes de nos confrères de France Info, Mediapart et La Nouvelle République] : « Des internes m’écrivaient qu’ils voulaient en finir. J’ai vu des personnes fondre en larmes des années après les faits à la simple évocation du service de gynécologie de Poitiers. Aujourd’hui, à l’hôpital de Poitiers, la directrice de l’hôpital est toujours en poste et le chef de service en question a perdu ses fonctions administratives, mais est toujours en poste. On nous a répondu que les gens mis en cause étaient ‘de bons praticiens’, qu’il faudrait en quelque sorte ‘séparer l’homme de l’artiste’. C’est une réalité viscérale et très difficilement vécue. » Conscient de la violence des faits relatés, Bernard Jomier a tenté de redonner espoir aux jeunes médecins : « Si j’ai quelque chose à vous dire, c’est ‘ne désespérons pas.’ Ce que vous nous avez dit aujourd’hui ne restera pas lettre morte. » À suivre dans les conclusions de la commission d’enquête.

» Lire aussi : Hôpital : « Les propositions faites par les différents candidats ne sont pas à la hauteur », juge Rémi Salomon

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