Libération des détenus terroristes : le Sénat vote une proposition de loi instituant des mesures de sûreté

Libération des détenus terroristes : le Sénat vote une proposition de loi instituant des mesures de sûreté

Après la censure par le Conseil constitutionnel d’un précédent texte, la majorité sénatoriale a adopté un texte révisé qui permet un meilleur suivi et des mesures de sûreté à l’encontre des personnes condamnées pour terrorisme, lors de leur sortie de prison. Le gouvernement prévoit ses propres mesures dans son texte antiterroriste.
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« Il faut reprendre la plume », lance le sénateur LREM Alain Richard. Après la censure par le Conseil constitutionnel, en juillet 2020, du texte instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine, un texte alors voté par députés et sénateurs, il reste un trou dans la raquette. La proposition de loi renforçant le suivi des condamnés terroristes sortant de détention, qui a été adoptée par le Sénat ce mardi, entend le combler.

« 162 condamnés vont sortir dans les quatre prochaines années »

Le texte prévoit d’instaurer une nouvelle mesure judiciaire de suivi et de surveillance, intervenant après le prononcé de la peine, visant à prévenir la récidive et à accompagner la réinsertion des individus condamnés pour des faits de terrorisme. « La proposition de loi prend acte de la décision du Conseil constitutionnel », souligne son auteur, le président LR de la commission des lois du Sénat, François-Noël Buffet. Le Conseil estimait que le précédent texte n’était pas « équilibré entre la prévention des troubles à ordre public et l’atteinte aux libertés », concernant les mesures de sûreté, rappelle Muriel Jourda, rapporteure LR du texte.

Des mesures d’autant plus nécessaires, que « 469 personnes sont en détention pour des faits en lien avec le terrorisme », souligne Muriel Jourda, et « 162 vont sortir dans les quatre prochaines années ». Elle rappelle que « l’arsenal juridique n’est pas dépourvu de moyens », avec notamment les Mica (mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance). « Mais cette mesure ne peut être prononcée que dans un cadre extrêmement restrictif, avec une durée de 12 mois », constate la rapporteure, qui en appelle à « de nouvelles mesures ». Le texte du Sénat prévoit une « gradation » des contraintes, « plus le détenu sera dangereux, et plus les mesures qui lui seront proposées seront importantes ».

Le texte prévoit une durée de mesure de sûreté réduite. Sa durée totale ne peut excéder trois ans, ou deux ans pour un mineur. Cette limite est portée à cinq ans (ou trois ans pour un mineur), lorsque la personne a été condamnée à une peine d’emprisonnement supérieure ou égale à dix ans.

Une proposition de loi soutenue par la centriste Nathalie Goulet, mais « la réalité, c’est qu’aucun texte ne nous donnera suffisamment de garanties face à un virus mutant, car la radicalisation se pose depuis longtemps ». Elle appelle aussi à appliquer le « quoi qu’il en coûte » au ministère de la Justice, pointant le manque « de moyens humains et financiers », en dépit d’un budget en hausse.

Le texte du Sénat va « dans le bon sens », selon Eric Dupond-Moretti

Le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, salue une proposition de loi qui va « dans le bon sens » et loue « le travail de réécriture du Sénat ». Mais « il ne nous paraît pas suffisant pour parer à toutes les critiques formulées par le Conseil constitutionnel », estime le garde des Sceaux, qui ajoute : « Il ne saurait être question d’instaurer une forme de justice prédictive, qui est la négation même de l’idée de justice, car elle revient à condamner sur un simple soupçon ».

Il faut dire qu’en la matière, le gouvernement a cette fois son propre texte. Un projet de loi antiterroriste, qui fera bientôt son arrivée au Sénat, a été présenté fin avril en Conseil des ministres. Il prévoit notamment que les Micas pourront être prolongées jusqu’à deux ans après la sortie de prison. Le gouvernement souhaite aussi « une mesure judiciaire de la prévention d’actes terroristes », « le projet porté par le gouvernement assure l’articulation entre le dispositif administratif, la surveillance et le dispositif judiciaire », défend Eric Dupond-Moretti.

La gauche dénonce un texte qui mène à « un bouleversement du droit pénal »

La gauche a dénoncé la proposition de loi, à l’image du sénateur PS Jean-Yves Leconte. « Nous affirmons qu’il ne peut y avoir de peine après la peine, qu’il ne peut y avoir de condamnation de personne sur la base de ce qu’elle est, et non sur le fondement de ses actes » (voir ci-dessous). L’écologiste Esther Benbassa dénonce « une approche de la prison » pour les personnes condamnées pour terrorisme « bien réductrice : toujours plus de répression judiciaire et pas assez de réflexion sur les causes des problèmes qu’on entend traiter », pointe la sénatrice EELV, auteure d’un rapport sur la déradicalisation avec l’ex-sénatrice LR Catherine Troendlé.

La présidente du groupe communiste, Eliane Assassi, remarque que le texte mène à « un bouleversement du droit pénal », où « les mesures de sûreté ne visent que les états dangereux. Il n’existe donc pas de faute ». Elle craint même un biais qui pourrait mener à des « mesures totalitaires ».

Et si le groupe RDSE a lui voté pour, la sénatrice Maryse Carrère voit cependant dans ce texte « l’aveu d’une forme d’échec. Certes la prison punit mais ne prépare pas suffisamment à la sortie, ne prépare pas suffisamment à la réinsertion. De cette manière, nous sommes conduits à une forme de fuite en avant »

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