Logements : « Il faut rajouter un milliard d’euros sur la rénovation globale », préconise Emmanuelle Wargon

Logements : « Il faut rajouter un milliard d’euros sur la rénovation globale », préconise Emmanuelle Wargon

L’ancienne ministre du Logement a estimé devant la commission d’enquête sénatoriale que la question des moyens était importante pour favoriser la rénovation en profondeur des logements. Elle est également revenue sur la sortie programmée des passoires énergétiques du marché locatif.
Guillaume Jacquot

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Le lundi a été chargé pour la commission d’enquête sur l’efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique. Les sénateurs ont entendu cinq anciennes ministres en charge de l’écologie ou du logement à la suite. En l’espace de deux semaines, la plupart des personnes, qui ont porté ces politiques au cours dix dernières années, sont venues s’exprimer sous serment. Une sorte de boîte noire sur la montée en puissance de la rénovation thermique, sur laquelle la commission sénatoriale va s’appuyer sur la suite. Dernière personnalité entendue ce 13 février, Emmanuelle Wargon s’est notamment exprimée sur l’une des faiblesses de cette politique : le manque de rénovations globales de logements et la part belle faite aux gestes isolés, comme les changements de fenêtre ou de chaudière. La Cour des comptes en avait fait un constat sévère l’an dernier.

Pour l’ancienne ministre en charge du Logement de 2020 à 2022, la question budgétaire n’est pas à éluder. Il y a d’abord un signal à adresser. « Il faut que les aides à la rénovation globale soient plus intéressantes que la somme des aides geste par geste », a-t-elle recommandé. Mais pas question de « tuer » le soutien aux aides aux « monogestes » que privilégient les Français pour des raisons évidentes de coût. « Le mieux est l’ennemi du bien dans cette histoire. Je ne pense pas que si on arrête la rénovation par geste, on va faire 700 000 rénovations globales à la place, ce n’est pas vrai », a averti l’ancienne ministre.

Le changement d’échelle nécessitera de revoir les enveloppes accordées, d’après elle. « C’est vraiment une question de moyens. Il faut rajouter un milliard d’euros sur la rénovation globale », a préconisé Emmanuelle Wargon, en réponse aux interrogations du rapporteur Guillaume Gontard (écologiste). L’an dernier, « MaPrimeRénov' Sérénité », l’aide qui finance un bouquet de travaux de rénovation dans un logement pour un gain minimum de 35 % de gain énergétique, représentait un budget total de 600 millions d’euros. Ce budget devrait être a minima doublé, aux dires de l’ancienne ministre du Logement.

Demande d’une loi de programmation pluriannuelle

Pour donner corps à cet ordre de grandeur, elle considère que l’instauration d’une loi de programmation pluriannuelle est « indispensable ». L’absence d’un tel cadre de référence qui aurait donné de la lisibilité aux professionnels comme aux ménages a été vécue comme un regret par Barbara Pompili, ministre Transition écologique (2020-2022), auditionnée juste avant. Le texte aurait l’avantage de prévoir une montée par paliers, le temps que les services et la filière s’adaptent.

Ce type de loi éviterait également ce qu’elle a nommé les « coups d’accordéons » budgétaires. En 2020, le CITE (crédit d’impôt pour la transition énergétique) s’est mué en une aide directe, MaPrimeRénov’. L’aide a été refondue, tout comme les budgets dans un premier temps. « Avec un budget divisé par deux, ce n’était pas mon choix », a tenu à préciser Emmanuelle Wargon. Solidaire du gouvernement de l’époque, la ministre a toutefois reconnu qu’il était difficile de s’opposer sur le fond à l’arbitrage du Premier ministre Edouard Philippe. « Ce n’était pas totalement évident de démontrer que le CITE atteignait sa cible et qu’il était vraiment performant. »

Rappelant que ce dispositif ciblait davantage les ménages aisés et que l’argent était reversé un an et demi après sa demande, Emmanuelle Wargon a estimé que l’éventuel retour d’un crédit d’impôt serait un « retour en arrière ». La semaine dernière, Ségolène Royal, la ministre qui avait mis en place le CITE, avait fermement dénoncé le détricotage de ses successeurs. Par la suite, le budget dédié à la rénovation est reparti à la hausse, retrouvant la hauteur des 2 milliards d’euros.

Interdiction des passoires énergétiques : Emmanuelle Wargon rappelle que le calendrier peut être modifié

La présidente de la commission d’enquête, Dominique Estrosi Sassone (LR) a par ailleurs mis un autre sujet de taille sur la table : la sortie progressive des passoires thermiques du marché locatif, et ses conséquences sur le marché du logement. « Le calendrier est-il tenable ? » Pour Emmanuelle Wargon, le calendrier l’était bien, « avant la guerre en Ukraine », quand « le prix des matières premières n’avait pas explosé ». En 2021, la loi Climat et Résilience avait imposé l’interdiction à la location de tous les logements classés G en 2025, suivis des F en 2028 puis des logements étiquetés F en 2034. Les logements les plus énergivores de la classe G sont déjà exclus du parc locatif. Alors face à la nouvelle crise énergétique et inflationniste, l’ancienne ministre du logement a laissé entendre que les choses pouvaient évoluer. « Il est déjà arrivé au Parlement et au gouvernement de décaler de quelques mois des dates d’application quand le signal est donné, mais que la date d’application n’apparaissait pas possible. C’est quelque chose qu’on pourrait, le cas échéant, desserrer un peu. »

Tant que le marché immobilier intègre l’idée que les passoires énergétiques nécessitent un investissement supplémentaire pour des travaux, la situation actuelle n’inquiète pas l’ancienne ministre. « De mon point de vue, ce n’est pas une mauvaise nouvelle qu’il y ait beaucoup de passoires énergétiques en vente. Pour moi, c’est plus une mauvaise nouvelle, quand un appartement ou une maison donnée est vendu au même prix qu’un logement G. » Emmanuelle Wargon a cependant indiqué à la commission d’enquête qu’elle n’était pas favorable à une sortie des logements diagnostiqués E du marché locatif.

Le diagnostic de performance énergétique, toujours un « gros sujet »

Dans cet alphabet de l’efficacité énergétique, la commission d’enquête a saisi la balle au bond pour épingler les conditions dans lesquelles est réalisé le diagnostic de performance énergétique (DPE). Selon plusieurs études, il serait régulièrement mal réalisé et donc sa fiabilité, remise en question. « Ça a été un très gros sujet le DPE. C’en est probablement encore un aujourd’hui », a reconnu Emmanuelle Wargon. « La fiabilité n’est pas encore parfaite, de ce que je comprends. »

L’ancienne ministre estime qu’il faut progresser sur les certifications et les labels décernés aux professionnels qui interviennent dans les travaux de rénovation. « C’est un garde-fou que d’imposer une qualification aux entreprises qui interviennent sur des moyens publics. » Derrière cet enjeu, une question de « confiance », selon elle. « Ce n’est pas possible d’avoir un écart aussi important entre le volume de travaux à effectuer, le nombre d’artisans potentiellement disponibles et les artisans qualifiés. »

La simplicité des aides et l’accompagnement sont deux autres mots qui sont revenus en fin de journée lors des auditions. « L’urgent pour moi était de trouver une solution qui permette à nos concitoyens d’avoir accès plus facilement aux aides et de s’y retrouver dans ce maquis complexe des aides, ça revenait tout le temps », a relaté Barbara Pompili. Elle a elle-même expérimenté ce problème à titre personnel. L’ancienne ministre de la Transition écologique a particulièrement insisté sur le rôle central des « Accompagnateurs Rénov’ », ces agents agréés par l’Etat qui viennent en appui des projets des particuliers. « C’est le point essentiel, si on veut monter en puissance sur les rénovations globales. » Chacun y va de sa solution.

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