Loi « anti-casseurs » : le texte devrait définitivement être adopté cette semaine

Loi « anti-casseurs » : le texte devrait définitivement être adopté cette semaine

Mardi 12 mars, le Sénat devrait voter dans les mêmes termes la proposition de loi « anticasseurs » déjà adoptée par l’Assemblée nationale le 5 février dernier. Ce lundi, c'est Emmanuel Macron lui-même qui annonce qu'il saisira le Conseil Constitutionnel sur trois articles de la proposition de loi. Retour sur un texte qui trouve son origine à la Haute assemblée en juin 2018.
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Si l’on se souvient du 1er mai 2018 comme le point de départ de l’affaire Benalla, il est aussi celui de la loi « anti-casseurs » qui devrait, contre toute attente, arriver au terme de son parcours législatif, mardi prochain. À l’époque, les images des Blacks Blocs dévastant un MacDonald à Austerlitz et des affrontements avec les forces de l’ordre boulevard de l’Hôpital tournent en boucle.

« Voilà une première réponse aux Black Blocs en attendant que l’État réagisse »

Le 3 mai sur Twitter, le sénateur de Paris, Pierre Charon, annonce le dépôt prochain par le groupe LR d’une proposition de loi « anti-casseurs ». « Voilà une première réponse aux Black Blocs en attendant que l’État réagisse » tweete-il. Pour le moment, est simplement évoquée une proposition destinée à « introduire dans notre droit une responsabilité pénale et pécuniaire collective de ceux qui, en bande, cassent et brûlent ce qui leur tombe sous la main ». Contacté par Public Sénat, Pierre Charon explique que le texte « reprendra certaines dispositions » de la loi du 8 juin 1970 « tendant à réprimer certaines formes nouvelles de délinquance ». Un texte abrogé en 1981 sous François Mitterrand (voir notre article).

Les sénateurs veulent faire du port de la cagoule, un délit

Le 14 juin, le président du groupe LR du Sénat, Bruno Retailleau dépose une proposition de loi visant à « prévenir et sanctionner les violences lors des manifestations ». « Il faut graver dans le marbre de la loi la possibilité de mettre hors d'état de nuire les casseurs et les agresseurs des forces de l'ordre, ceux qui nuisent au droit de manifester paisiblement » peut-on lire dans les motifs de ce texte de 8 articles. Parmi les propositions, le cœur du réacteur consiste à faire d’un délit la dissimulation de son visage dans une manifestation, passible d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende. Cette proposition de loi permet également de créer des périmètres à l’entrée des manifestations dans lesquels les policiers pourront fouiller les manifestants. Mais aussi, à l’image de « l’obligation de pointage » dans un commissariat ou une gendarmerie imposée aux hooligans (supporters de football ultra-violents), les sénateurs donnent la possibilité aux préfets d’interdire de manifestations, les individus présentant « une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public » (voir notre article). Et comme évoqué un mois plus tôt, les sénateurs veulent réformer le régime de la responsabilité civile applicable en cas de dommages causés dans le cadre d’une manifestation donnant ainsi la possibilité pour l’État de se retourner contre les auteurs des dommages. (voir notre article)

Avis de sagesse du gouvernement à l’automne

Le 23 octobre, le texte est adopté à main levée par le Sénat, avec les voix LR, centristes, et Indépendants. PS, CRCE (à majorité communiste) et LREM votent contre. Tout juste nommé, le nouveau secrétaire d’État auprès du ministre de l’Intérieur, Laurent Nuñez donne un avis de sagesse. « Si certains dispositifs nous paraissent ne pas manquer de pertinence, il nous semble qu’il nécessite encore un travail d’examen complémentaire et de réécriture pour qu’ils soient pleinement opérationnels » justifie-t-il (voir notre article).

Coup d’accélérateur avec la crise des gilets jaunes : « Il faut casser les casseurs »

Les manifestations des gilets jaunes, et les violences qui les accompagnent chaque samedi, changent la destinée de la proposition de loi. Le saccage de l’Arc de Triomphe le 1er septembre et le silence d’Emmanuel Macron qui s’ensuit, pousse les sénateurs à interpeller le gouvernement. « Cette violence, moi je l’ai vu naître à Nantes, avec les zadistes, il y a trois ans (…) J’ai dit d’ailleurs à Édouard Philippe que le gouvernement et Emmanuel Macron [ont] donné raison aux zadistes contre la démocratie (…) Il ne faut pas s’étonner aujourd’hui qu’un certain nombre de ces gens-là veuillent proférer une haine anti-flic et la haine de la République. J’ai souhaité indiquer [à Édouard Philippe] qu’au Sénat nous avions voté une proposition de loi anti black blocs, pour faire en sorte que lorsqu’il y a une manifestation violente, le fait de se masquer le visage puisse être non plus une infraction mais un vrai délit. Il faut casser les casseurs » lance Bruno Retailleau au micro de Public Sénat le lundi 3 décembre (voir notre article).

Le Sénat finit par être exaucé un mois plus tard. Invité du 20H de TF1 le lundi 7 janvier, le Premier ministre annonce vouloir opposer à « l’ultra violence, l’ultra fermeté ». Cette question « a d’ailleurs fait l’objet d’une proposition assez analogue (…) qui a été adoptée par le Sénat avec d’ailleurs un avis de sagesse du gouvernement parce que nous considérions qu’en effet c’était une bonne proposition. Et elle peut être déposée à l’Assemblée et nationale et discutée à l’Assemblée nationale, début février » prévoit Édouard Philippe (voir notre article).

Tensions autour du texte à l’Assemblée Nationale

À l’Assemblée nationale, sur le fond, comme sur la forme, ça coince chez les députés de la majorité présidentielle. « C’est un problème que le texte soit issu de la droite. Ça peut être mis à son crédit » grince, sous couvert d’anonymat, l’un des dirigeants de LREM début janvier (voir notre article). En commission, les députés LREM suppriment l’article 1, qui porte sur la création de périmètres à l’entrée desquels les manifestants sont fouillés. Les députés refusent également la création d’un nouveau fichier des interdictions de manifester, lui préférant l’utilisation du fichier existant des personnes recherchées. Cette modification restera d’ailleurs dans la version finale. Lors de l’examen en commission, les députés modifient surtout l’article 4. Le simple fait de porter une cagoule ne suffira pas pour être condamné. Il faudra que la personne ait clairement l’intention de commettre des violences.

Pour ces raisons, et avant même l’examen de la proposition de loi en séance publique à l’Assemblée nationale, Bruno Retailleau met la pression sur la majorité présidentielle. Dans la matinale de Public Sénat, le patron de la droite sénatoriale lance : « Arrêtons de faire des lois qui ne servent à rien. Je n’ai pas du tout envie qu’une loi porte mon nom si elle est inutile. » (voir notre article).

Adopté par les députés le 5 février, le texte revient à l’essence de la version sénatoriale. Mais la majorité présidentielle en paye le prix. 50 députés LREM s’abstiennent (un record) jugeant la loi « liberticide ». Le député du Maine-et-Loire, Matthieu Orphelin annonce son départ du parti 2 jours plus tard. Un avertissement lancé par la cinquantaine de dissidents En Marche qui compte alors sur une deuxième lecture pour apporter des modifications.

La droite sénatoriale coupe l’herbe sous le pied des députés LREM

Cette semaine, en commission des lois, les sénateurs ont voté conforme le texte issu de l’Assemblée nationale. Si ce vote est confirmé mardi 12 mars en séance publique, ils privent ainsi les députés de revenir une dernière fois sur certaines dispositions.

Les sénateurs LR souhaitent une mise en œuvre rapide de la proposition de loi et, ce, même s’ils « doutent » de la constitutionnalité de certaines dispositions sorties de l’Assemblée nationale. « Il est vrai que j’aurais préféré la version du Sénat qui me semblait détenir plus de garanties au niveau constitutionnel (…) C’est un choix politique, certes, dans la mesure où, aujourd’hui, nous sommes confrontés à des situations pour lesquelles nous n’avons pas de réponses immédiates, pas de volet préventif pour interpeller au plus tôt, ceux qu’on appelle les casseurs (…) l’objectif premier, c’est de garantir une liberté de manifester de façon pacifique » a justifié Catherine Troendlé, rapporteure du texte (voir notre article)

Les députés ont en effet été plus loin que les sénateurs en matière d’interdiction administrative de manifester. Prévue au cas par cas, et sur périmètre donné, dans le texte initial du Sénat, la version de l’Assemblée permet à un préfet de procéder à cette interdiction sur une durée d’un mois et sur tout le territoire national. Les personnes « interdites » de manifester pourront faire un recours en urgence devant la justice administrative.

À la veille de l'examen de la proposition de loi, Emmanuel Macron a fait savoir au gouvernement qu'il saisira lui-même le Conseil Constitutionnel sur trois articles du texte. L'article 2 qui autorise les forces de l'ordre à procéder à des fouilles aux abords des manifestations, l'article 3 sur la possibilité d'interdiction de manifester et l'article 6 sur la création du délit de dissimulation du visage. Une manière de donner des gages à sa majorité qui pointe le caractère liberticide de certaines dispositions.

 

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