Loi anticasseurs : la droite sénatoriale accuse les députés de dévitaliser son texte

Loi anticasseurs : la droite sénatoriale accuse les députés de dévitaliser son texte

Les députés ont modifié la proposition de loi anticasseurs de Bruno Retailleau, reprise par l’exécutif. « Encore faut-il ne pas vider la loi de sa substance » met en garde le sénateur LR François Grosdidier. Alors que le texte met en œuvre une interdiction administrative de manifester, une partie de LREM et la gauche insistent sur la défense des « libertés fondamentales ».
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Qui a dit que le gouvernement ne comptait pas sur le bicamérisme ? Ce mercredi matin, les députés ont planché sur la proposition de loi anticasseurs de Bruno Retailleau, président du groupe LR du Sénat. Après les actes violents, lors des manifestations des gilets jaunes, le gouvernement a décidé de réagir en annonçant une nouvelle loi contre « les casseurs ». Pour aller au plus vite, le « véhicule législatif », autrement dit le moyen, était tout trouvé : le texte déposé par Bruno Retailleau, puis adopté en octobre dernier par la majorité sénatoriale de droite.

« C’est un problème que le texte soit issu de la droite. Ça peut être mis à son crédit » »

Pour le gouvernement, c’est l’occasion d’envoyer un message de fermeté, notamment à son électorat de centre-droit. Reste que sur le fond, comme sur la forme, ça coince chez les députés de la majorité présidentielle. « C’est un problème que le texte soit issu de la droite. Ça peut être mis à son crédit » grince, sous couvert d’anonymat, l’un des dirigeants de LREM. Le même craint les effets politiques : « On est en train d’ouvrir la porte à notre principal opposant, après Laurent Wauquiez, qui prendra peut-être les rênes à droite après les européennes ». A savoir Bruno Retailleau…

La majorité sénatoriale, à l’inverse, ne peut qu’apprécier. Pour ne pas dire jubiler. « Le gouvernement a enfin compris que l’initiative législative peut revenir aussi bien à l’Assemblée qu’au Sénat. C’est plutôt un bon signe » se réjouit le sénateur LR de la Moselle, François Grosdidier, « mais encore faut-il ne pas vider la loi de sa substance. Et le diable se niche dans les détails… »

L’article sur les périmètres avec fouilles des manifestants supprimé

Sur le fond, une bonne partie des députés LREM tique face à un texte dont certains points inquiètent. Le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, défend avant tout une volonté de « protéger ». Il a reconnu que « certaines dispositions suscitent des interrogations légitimes ». S’il évoque « des corrections », le ministre est resté flou.

Mercredi matin, en examinant le texte en commission des lois, les députés LREM ont pu modifier le texte. L’article 1, qui porte sur la création de périmètres à l’entrée desquels les manifestants sont fouillés, a tout simplement été supprimé. Le gouvernement devrait en proposer une nouvelle version, lors de l’examen en séance.

L’article 2, le plus polémique, a été adopté sans modification. Il donne aux préfets le pouvoir d’interdire de manifester à toute personne pour « laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public », soit parce qu’elle a déjà été condamnée pour violences, soit parce qu’elle appartenant à des groupes ou est « en relations régulières » avec des individus « incitant, facilitant ou participant » à de tels faits. Une définition trop floue, selon les opposants au texte. Si la rapporteure du texte, la députée LREM Alice Thourot, a rejeté des amendements visant à encadrer la mesure, elle souhaite « parfaire la rédaction » de l’article en séance.

Les députés ont refusé la création d’un nouveau fichier des interdictions de manifester, préférant l’utilisation du fichier existant des personnes recherchées. Ils ont surtout modifié l’article 4, qui crée un délit passible d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende pour port de cagoule ou d’un casque lors d’une manifestation, afin que les manifestants ne dissimulent pas leur visage. Selon les amendements de la rapporteure et du groupe LREM, le simple fait de porter une cagoule ne suffira pas pour être condamné. Il faudra que la personne ait clairement l’intention de commettre des violences.

« L'annonce de fermeté d’Edouard Philippe n’était-elle qu’un coup de com ? »

Pour la droite sénatoriale, ces modifications affaiblissent clairement la portée de sa PPL. « L’Assemblée nationale s’est attachée à amoindrir la portée du texte » ont dénoncé dans un communiqué commun Bruno Retailleau et Catherine Troendlé, rapporteure du texte au Sénat. Ils craignent « un faux-semblant de plus ». Et de demander : « L'annonce de fermeté d’Edouard Philippe n’était-elle qu’un coup de com ? »

Dans l’entourage de Bruno Retailleau, on estime que « l’Assemblée a dévitalisé le texte, lui faisant perdre une grande partie de son efficacité, sur la question du périmètre de contrôle et sur la dissimulation du visage. C’est une façon d’exonérer sur le plan juridique beaucoup de personnes qui se feront arrêter. Le cœur de cette PPL est complètement affadi ».

« Si on doit pouvoir démontrer qu’il y avait une intention individuelle de commettre des violences, ça enlève tout intérêt. Comment peut-on démontrer une intention, alors que les signes extérieurs sont là ? » demande François Grosdidier. « Je crains que le texte soit amoindri et qu’il n’ait plus d’efficacité opérationnelle ». Le sénateur LR ajoute : « Si c’est la sensibilité de gauche de LREM qui s’impose, c’est inquiétant pour le texte ».

« Evolutions salutaires »

« Ce n’est pas une question de gauche ou droite, c’est juste une question de libertés fondamentale » lui répond le député LREM Sacha Houlié, qui a pesé pour modifier le texte. « Il y a des gens prêts à tout renier sur l’hôtel de la sécurité » dénonce l’élu de la Vienne, qui salue des « évolutions salutaires ». Cet ancien socialiste souligne que le texte va encore bouger. « Je n’ai pas de secret sur le fait que je ne souscris pas à la PPL Retailleau. Ce n’est absolument pas notre texte. Mais j’ai le souci du maintien de l’ordre. On a pris ce véhicule législatif, on le fait évoluer et il va encore évoluer dans l’hémicycle. Puis il y aura la navette parlementaire » rappelle Sacha Houlié. A n’en pas douter, les sénateurs rétabliront leur texte, lors de son retour devant la Haute assemblée.

François Grosdidier en vient à regretter que les députés ne restent pas un peu plus godillots : « Jusqu’à présent, le gouvernement a toujours eu une majorité avec le doigt sur la couture du pantalon. C’est un peu dommage que la majorité s’affranchisse de la discipline que dans une orientation de gauche judiciaire et sur un texte de la majorité sénatoriale ».

« On a à faire aux libertés fondamentales »

Du côté du groupe PS du Sénat, on voit d’un bon œil les modifications adoptées par les députés. « Je suis assez heureusement surpris de l’attitude des députés LREM, qui deviennent exigeants sur ces questions. On a à faire aux libertés fondamentales. On ne peut pas y toucher impunément » souligne Jérôme Durain, sénateur PS. Le sénateur de Saône-et-Loire ajoute :

« Ce texte d’affichage et de circonstance est assez inopérant. Et les modifications apportées montrent que les critiques que nous portions sont fondées. Il faut continuer à contrer cette initiative dangereuse pour les libertés publiques ».

Jérôme Durain rappelle au passage qu’« au Sénat, le groupe LREM avait voté contre ce texte. Ce n’était pas bon au Sénat, puis ils le reprennent… » Lors de l’examen de la proposition de loi au Palais du Luxembourg, le sénateur LREM Thani Mohamed Soilihi avait en effet pris ses distances avec la version sénatoriale de la PPL. S’il partageait « les préoccupations » « légitimes » des auteurs, il pointait « la disproportion entre les objectifs recherchés et les moyens proposés pour les atteindre » et estimait que le texte présentait « des risques élevés pour les libertés individuelles ».

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