Loi antiterrorisme : devant Marlène Schiappa, les sénateurs mettent en doute la constitutionnalité des mesures de suivi des anciens détenus

Loi antiterrorisme : devant Marlène Schiappa, les sénateurs mettent en doute la constitutionnalité des mesures de suivi des anciens détenus

Les sénateurs de la commission des lois du Sénat auditionnaient ce mercredi Marlène Schiappa sur le projet de loi relatif à la lutte antiterroriste. Si les élus saluent sur le fond les mesures proposées, ils mettent en doute la constitutionnalité du dispositif de suivi administratif des anciens détenus terroristes.
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C’est finalement Marlène Schiappa, ministre déléguée à la citoyenneté qui s’est présentée, ce mercredi, devant la commission des lois du Sénat, suite à un empêchement de Gérald Darmanin. Au menu de cette audition, le projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement que le gouvernement avait présenté en Conseil des ministres, en avril dernier, quelques jours après le meurtre d’une fonctionnaire de police à Rambouillet.

Un texte technique qui vise à pérenniser et élargir plusieurs dispositions temporaires de la loi pour renforcer la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite « loi SILT », qui tombent en désuétude le 31 juillet prochain. Pour rappel la loi SILT a vu le jour le 1er novembre 2017, lorsque l’état d’urgence décrété après les attentats de 2015 a pris fin.

Le nouveau projet de loi de lutte antiterroriste vise à faire entrer définitivement dans le droit quatre mesures principales. La mise en place de périmètre de protection d’un lieu ou d’un événement, « depuis le 1er novembre 2017, 617 ont été mis en place », a rappelé la ministre. Il permet de procéder à la fermeture administrative de lieux de culte (5 lieux de culte ont été fermés depuis 2017), d’effectuer des visites domiciliaires et les saisies (481 visites dont 304 après l’assassinat de Samuel Paty), enfin et surtout, il autorise des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS) qui s’apparentent à une assignation à résidence.  « 452 ont été édictées depuis le 1er novembre 2017, 73 en vigueur », a listé Marlène Schiappa.

Suivi des détenus : les sénateurs demandent la reprise de leurs propositions

C’est ce dernier point qui a concentré les critiques des sénateurs. Le rapporteur du texte, Marc-Philippe Daubresse (LR), par ailleurs président de la mission de suivi de la loi SILT a tout d’abord rappelé son regret d’avoir vu échouer les propositions du Sénat en la matière en octobre dernier. « Vous n’avez pas retenu la plupart de nos observations parce que finalement le texte que vous nous proposez est celui qu’on vous proposait le 22 octobre dernier à quelques exceptions près […] On a perdu huit mois ».

Le projet de loi élargit le recours au MICAS dans son article 3. Les personnes condamnées à au moins cinq ans ferme (ou trois ans en récidive) pour terrorisme pourront désormais faire l’objet de contraintes administratives jusqu’à deux ans après leur sortie de prison, contre un an aujourd’hui. Or l’extension des délais des MICAS a déjà fait l’objet d’une censure du Conseil constitutionnel. L’année dernière, en effet, la proposition de loi « instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine » de la présidente de la commission des lois de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet (LREM) et du député LREM Raphaël Gauvain, n’avait pas résisté à la censure des Sages. Elle autorisait des MICAS jusqu’à un maximum de dix ans après la sortie de prison de l’ancien détenu. « Je ne vous le cache pas, nous sommes très inquiets de la constitutionnalité de cet article 3 », a reconnu le sénateur LR.

La solution préconisée par la majorité sénatoriale est de reprendre les dispositions de la proposition de loi du président LR de la commission des lois, François-Noël Buffet, adoptée il y a quelques jours à la Haute assemblée. La proposition de loi du Sénat prévoit d’instaurer une nouvelle mesure judiciaire de suivi et de surveillance, intervenant après le prononcé de la peine, visant à prévenir la récidive et à accompagner la réinsertion des individus condamnés pour des faits de terrorisme. « Beaucoup plus complète en termes d’outils et sous l’autorité judiciaire », précise Marc-Philippe Daubresse.

« Nous avons voté, il y a quelques jours, un texte qui assure l’équilibre entre d’une part la mesure administrative qui est limitée dans le temps et d’autre part, la mesure judiciaire qui vient prendre le relais jusqu’à trois ans ou 5 ans », a assuré François-Noël Buffet, lors de cette audition.

Marlène Schiappa a estimé que le prolongement de la durée des MICAS « était nécessaire ». « Notre objectif, c’est de préparer l’avenir et permettre un suivi efficace de ces profils dangereux dont le nombre va croître ces prochaines années. C’est une mesure indispensable ». La ministre a rappelé que le renouvellement de cette mesure administrative au-delà d’un an, était notamment subordonné à « l’existence d’éléments nouveaux sur la dangerosité de l’ancien détenu ».

« La technique de l’algorithme ne porte pas atteinte à la vie privée », assure Marlène Schiappa

Sur le volet renseignement, le projet de loi pérennise et étend le recours à la technique de l’algorithme, introduite par la loi Renseignement de 2015 et prolongée par la loi SILT. Le texte entend améliorer l’efficacité des algorithmes en l’étendant aux adresses web (« URL ») complètes. « Cette technique a permis l’arrestation de trois personnes en 2020 malgré l’absence totale d’ancrage de ces trois personnes à un réseau identifié. Elle ne porte pas atteinte à la vie privée, ni au secret des correspondances […] Il ne porte pas sur le contenu des échanges mais uniquement sur les données de connexions », a-t-elle assuré. Dans son rapport d’évaluation de la loi renseignement remis en juin 2020, la mission d’information de l’Assemblée nationale s’interrogeait pourtant à ce sujet. « A partir de quelle barre oblique (« slash ») de l’URL une donnée cesse-t-elle d’être une donnée de connexion pour devenir une donnée de correspondance ? »

La corapporteure du projet de loi, Agnès Canayer (LR) a interrogé Marlène Schiappa sur l’obligation faite aux opérateurs de conserver les données de connexions pendant une durée d’un an « pour les besoins de la lutte contre la criminalité grave, de la prévention des menaces graves contre la sécurité publique et de la sauvegarde de la sécurité nationale « (article 15 du projet de loi). Dans une décision d’octobre 2020, la Cour de Justice de l’Union européenne avait jugé contraire au droit de l’Union, cette conservation généralisée et proposait de les limiter aux besoins d’une enquête en matière de criminalité grave.

Une distinction inopérante pour le Conseil d’Etat qui s’en tient « principe de proportionnalité entre gravité de l’infraction et importance des mesures d’enquête mises en œuvre, qui gouverne la procédure pénale », comme l’a rappelé Marlène Schiappa.

Le texte est examiné en séance publique au Sénat le 29 et 30 juin.

 

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