Loi antiterrorisme : un an après le Sénat, le gouvernement présente sa loi

Loi antiterrorisme : un an après le Sénat, le gouvernement présente sa loi

Moins d’une semaine après le meurtre d’une fonctionnaire de police à Rambouillet, le ministre de l’Intérieur présentera un projet de loi visant à lutter contre le terrorisme en Conseil des ministres, mercredi. Au Sénat, on rappelle que les dispositions proposées existent de manière temporaire depuis 2017. Le Sénat les avait pérennisées dans une proposition de loi adoptée en mars 2020.
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Loi d’émotion ? d’opportunité ? Quelques jours après drame survenu dans les Yvelines, et au moment où les accusations de laxismes proférées par la droite et l’extrême droite pleuvent sur l’exécutif, le gouvernement présente une loi antiterrorisme mais réfute toute accélération du calendrier. La présentation du texte était actée « depuis plusieurs jours », assure une source proche de l’exécutif.

Sans remonter très loin dans les archives, ce projet de loi était annoncé par Gérald Darmanin bien avant l’attentat de Rambouillet. Le 10 mars dernier, lors des questions d’actualité au gouvernement, le ministre de l’Intérieur en appelait au soutien de la majorité sénatoriale au moment de l’examen de ce qu’il appelait alors « la loi Renseignement » pour pouvoir « permettre aux services de renseignements de surveiller ces réseaux sociaux qui sont aujourd’hui aveugles pour les services de police ».

Le ministre n’a en fait pas d’autre choix que de présenter un texte avant le 31 juillet 2021. Soit la date après laquelle certaines dispositions temporaires, contenues dans la loi pour renforcer la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite « loi SILT », tombent en désuétude.

« On a perdu un an »

Pour rappel, la loi SILT a vu le jour à la fin de l’état d’urgence décrété après les attentats de 2015. En juillet 2017, alors que le régime de l’état d’urgence doit prendre fin à l’automne, le ministre de l’Intérieur de l’époque, Gérard Collomb présente un projet de loi qui doit trouver un point d’équilibre délicat entre libertés publiques et sécurité. Mais pour les sénateurs, le texte a une tendance à pencher vers le second.

C’est donc sous l’impulsion de la Haute Assemblée que quatre dispositions seront expérimentées jusqu’au 31 décembre 2020 avant d’être pérennisées : la mise en place d’un périmètre de protection (fouilles aux abords de grands évènements), la fermeture administrative des lieux de culte, les visites domiciliaires et les saisies (perquisitions administratives), enfin et surtout, les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS) qui s’apparentent à une assignation à résidence.

Une mission de suivi de la loi SILT est mise en place au Sénat, présidée par sénateur LR, Marc-Philippe Daubresse. Il en découle une proposition de loi adoptée en mars 2020, portée par Marc-Philippe Daubresse et le sénateur LR Philippe Bas visant à pérenniser ces dispositions. Mais le texte n’a pas été transmis à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Le gouvernement et la majorité préfèrent prolonger jusqu’au 31 juillet 2021 les dispositions temporaires de la loi SILT, en attendant l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi, celle qui sera présentée en Conseil des ministres, mercredi.

« Même si les mesures du projet de loi vont dans le bon sens, on a perdu un an », regrette aujourd’hui le sénateur du Nord. Une amertume d’autant plus grande que parmi les mesures proposées par le ministre pour toiletter la loi SILT, certaines étaient déjà préconisées par le Sénat.

En effet, outre la fermeture administrative de lieux de culte soupçonnés d’être liés à des faits de nature terroriste que permet la loi SILT, le projet de loi offre la possibilité de fermer des locaux dépendants de ces lieux de culte. La mission SILT du Sénat proposait d’étendre la fermeture administrative aux « lieux ouverts au public étroitement rattachés au lieu de culte, parce qu’ils sont gérés, exploités ou financés par la même personne physique ou morale.

Un autre renforcement de la loi SILT concerne les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS). Les personnes condamnées à au moins cinq ans ferme (ou trois ans en récidive) pour terrorisme pourront faire l’objet de contraintes administratives « jusqu’à deux ans » après leur sortie de prison, contre un an aujourd’hui, annonce l’exécutif, qui pense ainsi pouvoir contourner la censure du Conseil Constitutionnel comme ce fut le cas en juillet dernier.

En effet, la proposition de loi « instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine » de la présidente de la commission des lois de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet LREM) et du député LREM Raphaël Gauvain, n’avait pas résisté à la censure des Sages. Elle autorisait des MICAS jusqu’à un maximum de dix ans après la sortie de prison de l’ancien détenu.

« Il ne faut pas faire croire qu’il s’agit d’une initiative majeure en matière de terrorisme »

« Ce que propose le gouvernement, c’est une sorte de mesure hybride qui n’aboutit finalement qu’à prolonger les MICAS d’une année supplémentaire à ce qui est possible actuellement. Nous, nous proposions un suivi judiciaire car on sait que le Conseil constitutionnel est plus souple sur l’application du principe de proportionnalité, des garanties et des délais, lorsque la mesure est appliquée sous le contrôle d’un juge », résume Marc-Philippe Daubresse. La proposition de loi du Sénat met en place une mesure judiciaire de surveillance, pouvant être prolongée jusqu’à 10 ans en cas de délit et 20 ans en cas de crime.

« Il y a deux sujets distincts. Comment on pérennise les dispositions de la loi SILT et comment on assure le suivi d’anciens détenus condamnés pour terrorisme ? Le gouvernement utilise un dispositif, les MICAS, pour assurer la surveillance d’anciens détenus alors qu’il est prévu pour prévenir à la commission d’acte de terrorisme. Notre proposition de loi adoptée l’année dernière par le Sénat propose une mesure d’accompagnement, de surveillance et de réinsertion. Il ne s’agit pas d’une peine. Elle échappe donc au principe de la non-rétroactivité de la loi pénale et au principe selon lequel on ne peut pas être puni deux fois pour la même chose (non bis in idem) », explique Philippe Bas qui tient à souligner au sujet du projet de loi du gouvernement, « qu’il ne faut pas faire croire qu’il s’agit d’une initiative majeure en matière de terrorisme puisque ces mesures existent depuis 2017. Il ne s’agit pas de mesures nouvelles ».

Sujet hautement sensible pour les libertés publiques, le projet de loi pérennise le recours à la technique de l’algorithme, introduite par la loi Renseignement de 2015 et prolongée par la loi SILT. Elle permet le traitement automatisé des données de connexion pour détecter les menaces. Là encore, cette demande était formulée par le Sénat en octobre dernier.

« En dix ans, nous avons voté environ dix lois antiterroristes »

A la gauche du Sénat, c’est la lassitude qui domine après l’annonce d’une énième loi antiterroriste. « En dix ans, nous avons voté environ dix lois antiterroristes. Je ne crois pas qu’une onzième changera fondamentalement les choses. Je crois davantage aux mesures concrètes, déjà possibles en vertu des lois existantes », fait valoir le sénateur PS, Jean-Pierre Sueur. L’ancien président de la commission des lois du Sénat préconise de mettre l’accent sur les moyens en faveur du renseignement de la déradicalisation. « Il y a eu naguère un démantèlement du renseignement territorial, dont nous vivons encore les conséquences, malgré des créations de postes récentes. Il faudrait dans ce domaine rétablir un vrai maillage territorial […] Il faut réfléchir davantage à ce qu’on appelle déradicalisation. On a beaucoup trop fait appel, en la matière, à des solutions faciles ou simplistes. Croit-on véritablement qu’une personne fanatisée changera d’avis après avoir vu quelques vidéos ou entendu quelques discours ? »

« Des lois qui servent surtout à blinder les gouvernements successifs »

Même sentiment de la part de la sénatrice écologiste, Esther Benbassa, auteure d’un rapport sur la déradicalisation. « C’était tellement mal fait que ça ne pouvait pas marcher. Il n’y avait pas d’encadrement, pas de formation à un métier, pas de réinsertion… » se souvient-elle en référence à l’ancien centre de déradicalisation de Pontourny en Indre-et-Loire (voir notre article). « Toutes ces lois n’ont pas empêché les actes terroristes. Le profil des terroristes a d’ailleurs changé depuis quelques années. L’assaillant de Rambouillet s’est radicalisé en très peu de temps, c’est la raison pour laquelle, il faut mettre le paquet sur le renseignement et sur la plateforme Pharos. Mais on préfère investir dans des lois. Des lois qui servent surtout à blinder les gouvernements successifs. C’est ce qu’on voyait déjà sous Hollande et ça n’empêche pas les accusations de laxisme », pointe-t-elle.

« Il faut réviser la Constitution afin de permettre des mesures d’exception à des crimes d’exception »

Proche du candidat déclaré à la présidentielle, Xavier Bertrand, Marc-Philippe Daubresse reconnaît que pour avoir des mesures « vraiment efficaces, « il faut réviser la Constitution afin de permettre des mesures d’exception à des crimes d’exception » Une référence à la peine de 50 ans pour tout détenu condamné pour terrorisme que propose le président de la région Hauts-de-France. A ce sujet, le Sénat examinera les 11 et 12 mai un projet de révision constitutionnelle visant à inscrire la lutte contre le changement climatique dans le texte fondamental de la Ve République. « Le Parlement est souverain en la matière et le Sénat pourrait très bien déposer un amendement sur la lutte antiterrorisme mais ce serait une erreur politique majeure », prévient Philippe Bonnecarrère sénateur centriste, membre de la mission SILT. « Il faut veiller à la cohérence politique du texte dont on est saisi » complète Philippe Bas qui exclut lui aussi toute velléité en ce sens.

 

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