Loi antiterroriste : la commission des lois du Sénat veut éviter le risque de censure du Conseil constitutionnel

Loi antiterroriste : la commission des lois du Sénat veut éviter le risque de censure du Conseil constitutionnel

Les sénateurs ont examiné en commission des lois le projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement. Le souci d’assurer la conformité des dispositions vis-à-vis du Conseil constitutionnel a dominé leurs traits de plume.
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Un nouveau projet de loi antiterroriste est en débat au Sénat. Le texte en question, adopté le 2 juin à l’Assemblée nationale, vise à pérenniser plusieurs dispositions temporaires de la loi SILT de 2017 qui arrivent à expiration. Il intègre en parallèle un volet renseignement pour tenir compte des nouvelles possibilités technologiques et de l’évolution de la jurisprudence. Comme souvent, lorsqu’ils se penchent sur ce type de texte, les sénateurs de la commission des lois ont eu l’œil rivé sur l’équilibre de la balance, entre d’un côté la sécurité, et de l’autre le respect de l’état de droit et des libertés constitutionnelles. Plusieurs modifications notables du texte, en commission ce 16 juin, sont à souligner.

La principale réécriture concerne le suivi des détenus condamnés pour des faits de terrorisme. Le nombre de sorties de prison est appelé à croître dans les prochaines années. Ils seront près de 150 entre 2021 et 2023, selon l’étude d’impact. Attaché à la constitutionnalité de la mesure, le rapporteur Marc-Philippe Daubresse (LR) s’est opposé à l’allongement jusqu’à deux années cumulées des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance. Il a été retiré. Sur ce volet, les sénateurs ont voulu avancer avec prudence. En 2020, le Conseil constitutionnel avait censuré une proposition de loi de la majorité présidentielle instaurant des mesures de sûreté à l’égard des ex-détenus terroristes. En 2018, les Sages avaient aussi indiqué que la durée cumulée des mesures d’assignation à résidence ou de pointage régulier dans un commissariat ne pouvait dépasser douze mois, « compte tenu de leur rigueur ».

Un amendement adopté, à l’initiative des sénateurs RDPI (Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants), le groupe de la majorité présidentielle, précise que l’obligation de ne pas se trouver en relation avec certaines personnes devait tenir « compte de la vie familiale » de la personne concernée.

Les sénateurs préfèrent agir sur le suivi judiciaire plutôt que sur le suivi administratif

L’article 5 du projet de loi, créant une mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste est aussi refondu. Les sénateurs se sont notamment inspirés de la mesure judiciaire de suivi et de surveillance, proposée dans un texte de François-Noël Buffet (LR), adopté le 25 mai. L’amendement adopté fait le choix d’une mesure « mixte », qui mélangerait des obligations en matière de surveillance et en matière de suivi social, notamment en matière de choix d’emploi ou encore de prise en charge psychologique. Ce dispositif « permet de faire une surveillance, mais sous contrôle judiciaire », justifie Marc-Philippe Daubresse, « alors que le gouvernement, lui, veut faire une surveillance à partir de l’autorité administrative, donc la police ou les services secrets ». Le choix des sénateurs serait « le plus adapté » juridiquement, de son avis.

Dans le texte adopté par les députés, cette mesure de sûreté pouvait être prononcée pour une durée maximale d’un an renouvelable, dans la limite de cinq ans (trois pour les mineurs). Les sénateurs ont maintenu ce plafond pour les cas les plus graves, ceux des détenus condamnés à plus de 10 ans de prison, mais l’ont abaissé à trois ans pour les autres (deux ans lorsque le condamné est mineur). « C’est proportionné, comme on dit en droit constitutionnel, et c’est la raison pour laquelle nous pensons qu’elle va passer le cap du Conseil constitutionnel », explique Marc-Philippe Daubresse.

Les sénateurs ont également davantage encadré le dispositif des périmètres de protection. Inspirés de l’état d’urgence (sécuritaire) et introduits dans le droit commun avec la loi SILT, ces périmètres sont mis en place par arrêté préfectoral pour sécuriser un lieu ou un évènement susceptible d’être exposé au risque terroriste, par son ampleur ou sa nature. Les forces de l’ordre peuvent contrôler l’accès à ces périmètres, mais également procéder à des palpations de sécurité ou encore fouiller les bagages à l’intérieur. Plusieurs sénateurs ont pris note d’une réserve du Conseil constitutionnel en 2018. L’article a en effet été modifié, en précisant que ces vérifications ne pouvaient « se fonder sur des critères excluant toute discrimination de quelque nature que ce soit entre les personnes ». Les rapporteurs LR et les sénateurs socialistes avaient déposé un amendement identique.

Les sénateurs veulent limiter une nouvelle surveillance algorithmique à une expérimentation

Au chapitre des techniques de renseignement, les sénateurs ont mis un holà à l’extension de la technique dite de l’algorithme, qui était expérimentée depuis 2015. Dans le projet de loi avant sa modification au Sénat, la surveillance algorithmique était certes pérennisée, mais surtout étendue aux adresses URL. Un peu prématuré selon les sénateurs. « Il ne paraît pas possible d’envisager une telle extension sans une phase préalable d’expérimentation », a indiqué la rapporteure Agnès Canayer (LR), rappelant la position exprimée par la délégation parlementaire au renseignement. Les adresses internet URL constituent une matière plus sensible : il ne s’agit plus seulement des données de connexion, fournies par les opérateurs, mais du contenu même des échanges. La commission des lois a choisi de rendre le recours aux URL seulement expérimental, avec une fin au 31 juillet 2025.

C’est d’ailleurs le même terme choisi dans le projet de loi pour l’expérimentation sur la captation des correspondances par voie satellitaire. Les sénateurs ont limité le développement d’outils d’interception de communications satellitaires aux seuls services de renseignement du « premier cercle » (DGSE et DGSI ou Direction du renseignement militaire par exemple), excluant l’expérimentation aux services qui relèvent de la direction centrale de la police judiciaire ou de la direction centrale de la sécurité publique, par exemple.

Toujours dans ce même chapitre, la commission des lois a adopté, sans en changer la trame, l’article 15. Celui-ci fixe un « nouveau régime de conservation généralisée et indifférenciée des données de connexion », après l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) du 6 octobre 2020. « Nous ne pouvons pas aller au-delà de ce que veut faire le gouvernement », admet Marc-Philippe Daubresse. La commission a estimé qu’elle n’avait « pas d’autre choix », compte tenu de la nécessité de « sauvegarder les capacités opérationnelles des services de renseignement et de l’autorité judiciaire en cas de criminalité grave ».

Débats sur le nouveau régime de transmission des documents d’archive classés secret-défense

La commission des lois s’est aussi attardée sur l’article 19 du projet de loi, qui aborde la question de l’accès aux archives classées secret-défense. L’article pose un principe de déclassification automatique au bout de 50 ans, sauf exceptions, listées dans le texte. Ce délai pourrait être allongé pour certains documents. La commission de la culture demandait un délai plafond de 75 ans, afin de ne pas complexifier le travail de la recherche historique. Sa demande n’a pas été retenue. En revanche, l’information des usagers dans les services d’archives, sur les délais de communicabilité des documents, a été renforcée.

Plusieurs membres de la commission, de tous bords (PS, RDSE, centristes, écologistes) ont également resserré le nombre de services susceptibles de bénéficier de l’allongement exceptionnel des délais. Seuls ceux qui exercent une mission de renseignement « à titre principal » seront concernés : les sénateurs ont donc voulu inscrire dans le texte l’une des explications fournies par la ministre des Armées.

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