Loi antiterroriste : le Sénat adopte sa version du texte

Loi antiterroriste : le Sénat adopte sa version du texte

Le Sénat a adopté dans la nuit de mardi à mercredi le projet de loi relatif à la prévention des actes de terrorisme et au renseignement. Des modifications ont été apportées au texte sur le suivi administratif des anciens détenus terroristes ou sur la fermeture des lieux de culte.
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Par Héléna Berkaoui

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« Nous sommes sur une ligne de crête qui nécessite, pour un texte aussi sensible, de trouver la bonne mesure entre liberté et autorité », a prévenu le rapporteur du projet de loi sur la prévention des actes de terrorisme et le renseignement, Marc-Philippe Daubresse (LR), dès le début des débats. Si ce projet de loi est arrivé au Sénat sous de bons auspices, les sénateurs ont voté un certain nombre d’ajustements pour prévenir les risques d’inconstitutionnalité, contre l’avis du gouvernement. Le projet de loi a été adopté par 251 voix, contre 27.

Examiné dans la nuit de mardi à mercredi, ce texte très attendu par les sénateurs vise à pérenniser et élargir plusieurs dispositions temporaires de la loi pour renforcer la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite « loi SILT », qui tombent en désuétude le 31 juillet prochain. Pour rappel, la loi SILT a vu le jour le 1er novembre 2017, lorsque l’état d’urgence décrété après les attentats de 2015 a pris fin.

« Nous ne pouvons que souscrire à la pérennisation de ces dispositions, en regrettant qu’on ait perdu autant de temps alors que le Sénat, en décembre 2020, proposait quasiment 80 % de ce que le gouvernement propose aujourd’hui », a tenu à rappeler, Marc-Philippe Daubresse.

A contrario, les groupes communiste et écologiste, minoritaires au sein de la Haute assemblée, se sont activement relayés pour dénoncer un énième texte attentatoire aux libertés fondamentales et tenter, en vain, de l’amender. Une motion d’irrecevabilité et une question préalable ont respectivement été déposées par la sénatrice écologiste, Esther Benbassa et par la présidente du groupe communiste, Éliane Assassi.

Le Sénat étend les critères de fermeture des lieux de culte

Le texte présenté au Sénat prévoit la possibilité de fermer non plus seulement des lieux de culte, mais aussi les lieux qui leur sont dépendants dans le cas où ils seraient utilisés pour contourner la fermeture administrative. En commission, les sénateurs ont choisi d’élargir davantage le champ en incluant « les locaux gérés, exploités ou financés, directement ou indirectement, par une personne physique ou morale, gestionnaire du lieu de culte qui accueillent habituellement des réunions publiques ».

Marc-Philippe Daubresse justifie cette modification par l’imprécision de l’article initial qui ferait courir un risque d’inconstitutionnalité à cette mesure. Mais pour la ministre déléguée à la Citoyenneté, Marlène Schiappa, ces critères seraient à la fois « trop larges et trop restrictifs » : « La mention des seuls lieux accueillant des réunions publiques exclut plusieurs lieux qui dépendent du lieu culte », a-t-elle développé.

Renforcement du suivi des anciens détenus condamnés pour terrorisme

Le sujet était central dans les discussions qui ont animé l’hémicycle, mardi soir. La Haute assemblée et l’exécutif conservent un désaccord sur les mesures à prendre pour assurer le suivi des détenus condamnés pour terrorisme après leur sortie de prison. Selon le texte voté par l’Assemblée nationale, les personnes condamnées à au moins cinq ans ferme (ou trois ans en récidive) pour terrorisme pourront désormais faire l’objet de contraintes administratives jusqu’à deux ans après leur sortie de prison, contre un an aujourd’hui. Une disposition qui ne passerait pas les portes du Conseil constitutionnel pour le Sénat.

Et pour cause, l’année dernière, une proposition de loi « instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine » de la présidente de la commission des lois de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet (LREM) et du député LREM Raphaël Gauvain, n’avait pas résisté à la censure des Sages. « Le Conseil constitutionnel dit que les Micas ne sauraient excéder une durée de 12 mois, quelle que soit la gravité de la menace qui la justifie », a rappelé Marc-Philippe Daubresse.

Le Sénat reprend, lui, la proposition de loi du président de la commission des Lois, François-Noël Buffet (LR), votée le mois dernier. L’article réécrit par le Sénat substitue ainsi l’extension des MICAS à « une réponse judiciaire qui, contrairement à une mesure administrative, donne plus de garanties ». Concrètement, cette nouvelle mesure judiciaire de suivi et de surveillance, interviendrait après le prononcé de la peine, pour prévenir la récidive et accompagner la réinsertion des individus condamnés pour des faits de terrorisme.

A gauche, le sénateur communiste, Pierre Laurent, a dénoncé une mesure qui participe au développement d’une police administrative fondée sur le soupçon : « Cette mesure avait été mise en place à titre expérimental avec clause de revoyure. Là, ce que vous êtes en train d’acter, c’est l’entrée dans le droit commun d’une disposition exorbitante de droit commun ».

Le projet de loi entend également permettre l’interdiction pour une personne sous surveillance et assignée dans un périmètre de résidence, d’être présente lors d’un événement exposé à un risque terroriste particulier. Le texte prévoit encore de faciliter les visites domiciliaires et les saisies notamment de matériels informatiques.

Toujours sur le volet antiterrorisme, les préfets et les services de renseignement pourront être destinataires des informations sur la prise en charge psychiatrique d’une personne radicalisée. « Nul ne peut dans cet hémicycle prétendre ne pas prendre au sérieux la menace terroriste, mais la lutte antiterroriste ne saurait servir de prétexte au fichage des personnes atteintes de troubles psychiatriques », a défendu l’écologiste, Esther Benbassa en pointant le peu de cas fait du secret médical.

Surveillance et des algorithmes et préservation des données

La seconde partie du texte porte sur le renseignement avec une pérennisation et un renforcement des outils de surveillance sur Internet. Un sujet sensible tant il entre en collision avec le respect des libertés fondamentales, la protection de la vie privée et des données personnelles. Rapporteure sur ce volet du texte, Agnès Canayer (LR), a évoqué « les menaces juridiques qui pèsent sur les techniques de renseignements », provenant notamment de l’application des normes européennes.

L’article 15 qui inscrit la préservation des données de connexion par les opérateurs télécoms fait l’objet d’un conflit de jurisprudence. La Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) s’est effectivement prononcée contre la conservation généralisée des données de connexion par les opérateurs pour une durée d’un an, proposant de limiter cette mesure aux besoins d’une enquête en matière de criminalité grave. Une distinction inopérante pour le Conseil d’Etat qui, dans sa décision du 21 avril, s’en tient au « principe de proportionnalité entre gravité de l’infraction et l’importance des mesures d’enquête mises en œuvre, qui gouverne la procédure pénale ».

Pied à pied, les sénateurs communistes et écologistes ont déposé des amendements, systématiquement rejetés, dénonçant avec ténacité un élargissement disproportionné des techniques de surveillance. Le sénateur socialiste, Jean-Yves Conte, n’est pas opposé sur le principe pointant une « espèce de paradoxe si on accepte qu’Amazon le fasse et que l’Etat ne le fasse pas avec un encadrement ». Le sénateur a réussi à faire passer un amendement pour préciser à l’article 15 qui se limite initialement à « la criminalité grave » et qu’il a souhaité voir étendre aux « délits graves ». L’amendement a reçu un avis favorable du gouvernement et de la commission des Lois.

Autre sujet de friction : la pérennisation et l’élargissement de la technique des algorithmes qui permet le traitement automatisé des données de connexion aux adresses web, plus connues sous le nom d’URL, pour détecter les menaces. Les sénateurs ont accepté en commission de pérenniser la technique dite de l’algorithme qui permet d’analyser des données de navigation sur internet fournies par les opérateurs télécoms. Concernant son extension aux URL de connexion (article 13), les sénateurs ont préféré se limiter à une expérimentation.

L’absence du rapport attendu sur cette technique introduite par la loi Renseignement de 2015 et prolongée par la loi SILT a été critiquée. « Il y a quand même un moment où il faut que le Parlement puisse exercer ses droits […] On est démunis dans un débat important, des éléments qui auraient pu nous servir », a souligné la sénatrice centriste, Nathalie Goulet.

En défense de la technique des algorithmes, la ministre des Armées, Florence Parly, a assuré qu’il ne représentait « pas un système de surveillance contrairement à ce qu’on entend trop souvent mais un outil de détection permettant de mieux cibler, le cas échéant, une surveillance ». Ce système « joue un rôle indispensable en raison de la nature même de l’évolution de la menace terroriste » et « ne va pas à l’encontre de la protection de la vie privée et des données personnelles des citoyens », affirme la ministre.

L’accès aux archives : « Un dysfonctionnement anachronique »

L’article 19 modifie le régime d’accès aux archives secret-défense en allongeant potentiellement au-delà de 50 ans le délai pendant lequel ces archives peuvent ne pas être accessibles notamment aux chercheurs, aux historiens voire aux citoyens. Une modification qui amènerait « un dysfonctionnement anachronique » pour la sénatrice RDSE, Nathalie Delattre.

« Nous comprenons l’impératif lié à la défense nationale toutefois le dispositif retenu ne propose pas les garanties attendues permettant aux archivistes, aux historiens, aux chercheurs d’être en mesure d’exercer leur métier au service de la mémoire collective », a soulevé Nathalie Delattre. Le sénateur communiste, Pierre Laurent, alerte en écho : « C’est une mise en cause grave du principe de communication de plein droit après le délai de 50 ans ».

La loi du 3 janvier 1979 sur les archives est remise en cause, selon eux, en cela que le législateur n’est plus en charge de déterminer les délais de communication, la prérogative revenant alors aux autorités administratives. Les amendements déposés pour inscrire « un délai plafond » de cent ans pour la libre communication des documents avec une possibilité de report ont été rejetés.

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