Loi Climat : « Ecologie punitive » ou « un texte en dessous des objectifs », les réactions divergent au Sénat

Loi Climat : « Ecologie punitive » ou « un texte en dessous des objectifs », les réactions divergent au Sénat

La ministre de la Transition écologique était auditionnée aujourd’hui au Sénat à propos de la loi Climat. Ce projet de loi foisonnant de 218 articles, qui fait suite aux travaux de la Convention citoyenne pour le climat, a été adopté hier à l’Assemblée nationale et sera discuté au Sénat mi-juin. Barbara Pompili a tenté de défendre sa loi face aux critiques symétriques des sénateurs de gauche lui reprochant d’être en dessous des engagements écologiques de la France et des sénateurs de droite dénonçant parfois « une écologie punitive ».
Louis Mollier-Sabet

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Sur les bancs la commission du développement durable, le projet de loi « de lutte contre le dérèglement climatique » a suscité des réactions aussi diverses et éclectiques que les mesures contenues dans le texte de 218 articles transmis hier au Sénat. Au programme notamment : interdiction du greenwashing, fermeture des petites lignes aériennes, rénovation énergétique des bâtiments ou encore menus dans les cantines.

Et souvent, sur chaque mesure, des sénateurs de gauche qui craignent des dispositifs trop timides face au défi climatique et des sénateurs de droite qui condamnent une « inflation législative » contraignante, directive, voire « punitive ». « Certains accusent la loi d’aller trop loin, ignorant le contexte sanitaire et économique actuel et d’un autre, certains dénoncent les renoncements du gouvernement », résume en bon centriste le président de la commission du développement durable, Jean-François Longeot. La ministre de la Transition écologique a donc tenté de défendre la philosophie du « en même temps » de la loi Climat dans une audition dense, qui annonce un examen du texte mouvementé.

Rénovation énergétique des bâtiments : la fin des « passoires thermiques » ?

Peut-être pour y voir un peu plus clair dans ce projet de loi, Jean-François Longeot demande d’emblée à la ministre de la Transition écologique les mesures qu’elle retiendrait comme mesures phares de la future loi Climat. « Si je ne devais retenir que quelques mesures, je retiendrais d’abord le bâtiment », lui répond Barbara Pompili. « Le bâtiment c’est 25 % de nos émissions, avec en plus des mesures sur la rénovation qui ont un impact social fort » justifie-t-elle.

Sur cette question, le projet de loi s’attaque aux « passoires thermiques » : 2 millions de foyers loueraient un logement considéré comme « passoire thermique » en France. Pour le moment, la ministre de la Transition écologique entend interdire leur mise en location dans le but de « convaincre les propriétaires de mener des rénovations de qualité ».

Dans un souci d’équilibre que l’on retrouvera tout au long de cette audition de plus de 3h30, la ministre tient à rassurer les sénateurs les plus frileux : « Certains voudraient tout interdire demain matin, mais encore faut-il que la filière se soit structurée : il faut accompagner les entrepreneurs qui mèneront la rénovation. Nous avons conscience de l’effort que nous demandons à ces propriétaires : l’Etat doit garantir un reste à charge faible, notamment pour les plus précaires. »

Loi Climat : "Il y a toujours des mesures d'accompagnement mises en place." Barbara Pompili
01:26

 

Là aussi, le fil rouge de la ministre, ce sont les « mesures d’accompagnement », censées compenser les « efforts » demandés : « C’est le cas pour toutes les mesures dans cette loi : dès que des personnes sont concernées, il y a des mesures d’accompagnement mises en place. »

Zones à faible émission : « Mettre un terme à la circulation des véhicules les plus polluants sous les fenêtres de nos enfants. »

C’est aussi le raisonnement que développe la ministre sur les « Zones à faibles émissions », aussi appelées « ZFE ». Face aux 40 000 morts annuels dus à « l’exposition chronique à la pollution de l’air », Barbara Pompili affirme clairement, qu’il faut « mettre un terme à la circulation des véhicules les plus polluants sous les fenêtres de nos enfants. » Le gouvernement a ainsi pensé mettre en place les fameuses « ZFE » : la moitié de la population française vivra dans des zones où seuls les véhicules les moins polluants (en fonction de leur certificat Crit’air) pourront circuler.

L’application de cette mesure nécessitera une logistique lourde et la ministre en est consciente : « La mise en place des zones à faible émission, c’est un effort que l’on demande aux collectivités sur le terrain. Cela nécessite un accompagnement social, un accompagnement pour nos artisans. »

Concrètement, les sénateurs craignaient la charge qui pèserait sur les collectivités chargées de contrôler cette interdiction de circulation. Là aussi, la ministre a tenu à les rassurer, le gouvernement restera pragmatique dans l’application de la mesure : « On travaille avec le ministère de l’Intérieur pour avoir des contrôles automatisés le plus vite possible. Cela se passera comme les contrôles de vitesse, avec un radar qui flashe. On sait bien qu’on n’aura pas suffisamment de personnels pour faire du contrôle humain aussi efficace. L’idée est que le contrôle humain soit un moment transitoire, où la volonté c’est de faire de la pédagogie. »

Rénovation pour les plus modestes : « Ce n’est pas la triple peine, c’est l’inverse »

Que ce soit pour le parc locatif ou le parc automobile, ces mesures vont contraindre les véhicules les plus polluants et les logements les moins bien isolés à être remplacés. Or les ménages concernés seront probablement les plus modestes. Une triple peine sociale, environnementale et économique ?

« Ce n’est pas la triple peine, c’est l’inverse », répond Barbara Pompili aux sénateurs. « Toute mesure est accompagnée : ceux qui veulent changer leur chaudière ont droit à des aides. Pour remplacer une chaudière au fioul et la remplacer par une chaudière plus écologique, cela coûtera autant, voire moins cher que de racheter une chaudière au fioul », détaille-t-elle. De même pour racheter une voiture : « On peut aller jusqu’à 7 000 euros d’aides pour une voiture d’occasion critère 1. Vous pouvez trouver une Zoé d’occasion à ces prix-là. »

Transports et loi Climat : de « l’écologie punitive » au retour des Gilets Jaunes ?

Les sénateurs et sénatrices de la commission du développement durable n’ont pas paru tout à fait convaincus par les garanties présentées par Barbara Pompili, notamment sur les bancs du groupe Les Républicains. Sur toutes questions liées aux transports et à la fiscalité écologique, le spectre de l’écotaxe et des Gilets Jaunes plane sur l’audition, mais sans que personne ne les nomme. Philippe Tabarot en vient même à agiter sa pochette jaune devant la ministre pour faire passer le message.

Philippe Tabarot accuse la loi Climat de faire de "d'écologie punitive."
01:36

Le sénateur LR des Alpes-Maritimes explicite quand même : « Dans la situation économique dans laquelle se trouve notre pays, je m’inquiète de ce titre « se déplacer ». Il est principalement fait d’interdictions et de taxations, qui sont l’essence même de l’écologie punitive dont nous ne voulons pas au Sénat. Punitive particulièrement pour les plus modestes, qui ont déjà été sources de troubles dans notre pays. »

Barbara Pompili : "Je déteste le terme d'écologie punitive"
01:01

La ministre de la Transition écologique, tout en gardant son ton très cordial, semble pour une fois dans cette audition s’opposer frontalement à la critique : « Je déteste le terme d’écologie punitive. D’abord parce que ceux qui sont punis quand on ne s’occupe pas de l’écologie ce sont les personnes les plus en difficultés. Ensuite, parce que souvent ceux qui emploient le mot écologie punitive – mais je sais que ce n’est pas votre cas Monsieur le sénateur – ce sont ceux qui veulent que rien ne bouge. Je crois qu’au contraire, la transition écologique va apporter beaucoup d’emplois et les perspectives dont nous avons besoin. »

Sur le fond du dispositif, Barbara Pompili reprend son rôle de ministre conciliante « à disposition des parlementaires » et renvoie les sénateurs à leur proximité avec les élus locaux : « Sur la contribution que vous n’avez pas nommée et que certains appellent taxe poids lourd, d’autres écotaxes, c’est une réponse aux demandes des régions. Le texte donne la possibilité aux régions qui le souhaitent de mettre en place cette contribution forfaitaire, sur la base d’une vignette qu’on achètera pour pouvoir circuler. L’argent récolté servira pour financer les infrastructures des collectivités, qui pourront déterminer les assiettes et les taux dans les limites posées par la Constitution. »

« C’est le bon sens que de reconnaître l’absurdité qui consiste à prendre l’avion alors que l’on peut faire le même trajet en train direct en moins de 2h30 »

Barbara Pompili répond à Stéphane Demilly : "Je ne suis pas dans l’avion bashing."
02:00

Dans le même registre, la ministre de la Transition écologique a tenu à défendre la mesure du projet de loi qui interdit toute liaison aérienne pour laquelle plusieurs liaisons quotidiennes sont disponibles sur le réseau ferroviaire en dessous de 2h30 de trajet. Et les critiques de la majorité sénatoriale n’ont pas manqué : conséquences sur l’emploi dans le secteur aérien, détournement du trafic qui ne réduira pas les émissions mondiales, enclavement des territoires mal desservis…

C’est le sénateur centriste Stéphane Demilly qui a été le plus offensif sur ce dossier, en allant jusqu’à remettre en cause le fondement juridique d’un dispositif « de monopolisation autoritaire des modes de transport » : « On a parfois le sentiment qu’on est sur l’autel du symbolique et du cosmétique dans cette affaire. N’avez-vous pas peur de remettre une pièce dans le jukebox de l’avion-bashing comme on l’a vu récemment chez certains élus locaux ? Ne pensez-vous pas que la méthode est trop directive ? Je m’interroge sur le fondement juridique de cette décision de monopolisation autoritaire des modes de transports sur certains trajets. »

Sous le feu des critiques, la ministre de la Transition écologique a tenu à défendre une « mesure de bon sens » : « Il faut reconnaître l’absurdité qui consiste à prendre l’avion alors que l’on peut faire le même trajet en train direct en moins de 2h30. Cela tombe sous le sens que quand on peut faire un trajet quasiment dans le même temps en avion et en train, on prend le train. » Tout en apportant certaines réponses aux inquiétudes des sénateurs, notamment sur les risques pour les territoires enclavés : « Je peux vous garantir que dans la loi, on ne passera pas à 4h30. Le développement économique de ces territoires est trop important : ils ne sont pas en capacité de se passer de ces lignes. » Et de conclure : « Je ne suis pas dans le principe de l’avion bashing, si l’on veut voyager sur des longues distances, on ne pourra pas se passer de l’avion »

« Ce texte ne nous permet pas d’atteindre nos objectifs. »

Sous le feu des critiques des sénateurs de droite, la ministre a aussi dû répondre aux sénateurs de gauche qui jugent le texte en dessous des engagements internationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre pris par la France. Ronan Dantec, sénateur écologiste a longuement expliqué ce décalage « problématique ».

R. Dantec : "La loi Climat nous amène vers - 30% d'émissions, avec un objectif européen de - 50%"
03:55

« Derrière l’objectif européen de réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre, il y a le règlement sur la répartition de l’effort. D’après les éléments que l’on a, l’objectif final qui sera celui de la France devrait être entre – 42 et – 50 %. D’après l’expertise du Haut Conseil pour le Climat, la loi Climat nous amène plutôt vers un – 30 %. C’est extrêmement problématique. »

Barbara Pompili ne conteste pas les chiffres du sénateur de la Loire-Atlantique. Elle assume le statut de cette loi comme « pierre à l’édifice » de la transition écologique : « Une seule loi ne peut transformer un pays, aussi ambitieuse soit-elle. […] Je confirme que cette loi est une pierre à l’édifice. »

Loi Climat insuffisante ? "Déjà, réussissons à mettre le texte en œuvre" répond Barbara Pompili
01:39

La ministre de la Transition écologique préfère se concentrer sur la bonne application des mesures déjà inscrites dans le projet de loi : « Si on veut que ça marche, il faut qu’on soit très volontaristes dans la mise en œuvre. Déjà, réussissons à mettre en œuvre les mesures dans le texte. J’aimerais déjà bien qu’on réussisse à appliquer le texte et ça ne va pas être simple. » En guise de bonne foi, elle se dit même ouverte aux propositions des sénateurs sous certaines conditions : « Si vous avez des mesures plus exigeantes, qui restent pragmatiques et qui prennent en compte la dimension sociale, je les accueillerais avec plaisir. Mais déjà assurons-nous que ce qu’on vote soit crédible, réaliste et qu’on puisse le mettre en œuvre. »

Il est certain que dans le discours la ministre a tout mis en œuvre pour convaincre les sénateurs que cette loi était un juste équilibre entre les réticences des uns et la frustration des autres. L’examen du texte dans quelques semaines nous dira si ces déclarations seront suivies d’effets.

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