Loi climat : « Une hausse importante du prix du transport routier n’entraînera pas une augmentation du transport ferroviaire »

Loi climat : « Une hausse importante du prix du transport routier n’entraînera pas une augmentation du transport ferroviaire »

La commission des finances menait ce mardi 18 mai une audition conjointe visant à évaluer les effets de deux mesures du projet de loi climat, visant à réduire l’empreinte écologique du transport routier de marchandise.
Public Sénat

Par Jules Fresard

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Claude Raynal, le président de la commission des finances du Sénat, l’a rappelé dans son propos introductif. « Les poids lourds représentent 20 % des émissions des véhicules routiers, leur décarbonation doit donc être une priorité ».

Le projet de loi climat entend donc bien s’attaquer au problème, et ceci au travers de deux articles. L’article 30 d’abord, qui fixe à 2030 la suppression du tarif réduit à la pompe dont bénéficient les transporteurs routiers de marchandises, afin que le prix du carburant soit le même pour les particuliers comme pour les transporteurs. La fin de cet avantage fiscal dont bénéficiaient jusqu’alors les transporteurs permettra de générer 1,27 milliard d’euros pour l’Etat. Une disposition issue des 149 propositions émises par la Convention citoyenne pour le climat.

Deuxième article, le numéro 32, qui entend lui, donner au gouvernement l’habilitation de légiférer par ordonnance, afin de permettre aux régions de créer une écotaxe régionale pour le transport routier de marchandise. Cette dernière sera réglée par les transporteurs quand des poids lourds emprunteront les voies du domaine public routier national, mises à disposition à ces mêmes régions par l’Etat, dans le cadre d’une expérimentation.

La suppression d’un avantage fiscal aux effets délétères ?

Pour Rodolphe Lanz, secrétaire général de la Fédération nationale des transports routiers, la suppression de l’avantage fiscal dont bénéficiaient jusqu’alors les transporteurs n’est pas une surprise. « Cette mesure s’inscrit dans une continuité, après la réduction de quatre centimes par litre en 2015, puis de deux centimes en 2020 – des mesures qui ont pesé pour 520 millions d’euros – la logique de suppression de cette ristourne perdure et les orientations prises par la Convention l’illustre ».

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Malgré son fatalisme, il n’en juge pas moins la mesure dommageable, puisqu’elle « va entraîner une distorsion de concurrence en faveur des pays étrangers ». « Cela va fragiliser le pavillon français. Ce n’était pas une niche fiscale, mais au contraire l’instauration d’un gazole français face aux écarts de taxation dans l’Union Européenne ».

Michel Neugnot, président de la commission « Transports et mobilité » des Régions de France, estime d’ailleurs qu’une telle mesure revient à « opposer les moyens de transport », alors que selon lui, c’est « l’intermodalité qui est à organiser. Le camion reste le seul moyen utilisable pour aller au bout d’une desserte. Et vouloir opposer différents modes de transports est irréaliste ».

Car avec une telle mesure, l’objectif affiché est de rendre plus attractif d’autres modes de transport, moins taxés et plus respectueux de l’environnement, à l’image du fret ferroviaire ou du transport fluvial.

L’instauration d’une écotaxe régionale

L’article 32, qui vise à permettre aux régions d’imposer leur propre écotaxe à destination des poids lourds, défend la même logique. Le Sénat avait entendu la semaine dernière Jean-Baptiste Djebbari, ministre en charge des transports, sur ce que les sénateurs avaient qualifié d’une « écotaxe façon puzzle », laissant aux régions l’appréciation de cette dernière, avec le risque de voir de trop grandes disparités émerger sur le territoire national.

Une mesure jugée là aussi par Rodolphe Lanz comme inutile, si l’objectif qui la justifie est de rendre plus attractif d’autres modes de transports.  « Alors que le transport routier est toujours plus taxé, il est toujours en charge en France de 89 % du transport de marchandise, contre 67 % en 1985 ». Avant de continuer en déclarant qu’ « une hausse importante du prix du transport routier de marchandise n’entraînera pas une hausse du transport ferroviaire ».

Les différents acteurs réunis ont tenu à souligner la difficile mise en place d’une telle mesure, en s’accordant sur le fait qu’une région seule ne peut instaurer son modèle sans concertation avec les autres. Un constat qui fait dire à Gérard Allard, spécialiste transports et mobilités à France Nature Environnement, que « lorsque nous avons lu le projet de loi, nous nous sommes dit qu’en définitive, le gouvernement souhaitait cocher une case pour 2022, avec la réalisation de deux objectifs de la Convention citoyenne. Mais on voit aujourd’hui toutes les difficultés d’application ». Il demande donc des « améliorations » pour ces deux articles.

Mais un projet d’écotaxe est déjà en cours de finalisation, concernant la Collectivité Européenne d’Alsace. Une ordonnance devrait être prise le 1er juin par le gouvernement, concernant l’écocontribution des poids lourds opérant sur les routes alsaciennes, taxe qui sera opérationnelle d’ici 2024.

Christian Klinger, sénateur LR du Haut-Rhin, a ainsi tenu à justifier cette mesure, en précisant que « nous sommes très attachés à la mise en place de l’écocontribution sur le transit de poids lourds, que nous voyons comme une juste rétribution de l’usure des routes que cela entraîne et la fumée que cela rejette ».

La nécessaire coopération à l’échelon européen

Malgré ces différences d’appréciations, l’ensemble des acteurs invités par la commission des Finances ont tenu à souligner la nécessaire coopération au niveau de l’Union Européenne, sans quoi les différences de fiscalité continueraient à se creuser au détriment du pavillon de véhicules français.

Marc Papinutti, directeur de la Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer, rappelle que les taux de taxation, notamment des carburants pour les transporteurs routiers, « ne sont pas homogènes en Europe, et c’est un des premiers sujets de la concurrence, avec seulement l’Allemagne qui a un niveau de fiscalité supérieure à la France ».

Le projet de loi climat, toujours dans l’article 30, prévoit ainsi qu’« à l’issue de la présidence française de l’Union européenne en 2022, le gouvernement présente au Parlement un rapport proposant une trajectoire permettant […] l’accélération de la convergence de la fiscalité énergétique au niveau européen ».

Un objectif qui laisse pour l’instant dubitatif Rodolphe Lanz. « Pour faire converger la fiscalité au niveau européen, l’unanimité est requise. Je souhaite donc beaucoup de courage aux négociateurs européens ».

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