Loi pouvoir d’achat : la droite sénatoriale ne croit pas au scénario de rétablissement des comptes vanté par Bruno Le Maire

Loi pouvoir d’achat : la droite sénatoriale ne croit pas au scénario de rétablissement des comptes vanté par Bruno Le Maire

Le Sénat auditionnait Bruno Le Maire ce 8 juillet. La majorité sénatoriale a exprimé ses inquiétudes face à l’impact budgétaire du paquet de mesures en faveur du pouvoir d’achat et du projet de loi de finances rectificative.
Guillaume Jacquot

Temps de lecture :

7 min

Publié le

Mis à jour le

C’était l’heure des retrouvailles pour la commission des finances du Sénat et Bruno Le Maire, mis en garde une nouvelle fois par la majorité sénatoriale sur le dérapage des comptes publics. Le ministre de l’Economie et des Finances, était auditionné ce 8 juillet 2022 sur le projet de loi de finances rectificative (PLFR) et le projet de loi de pouvoir d’achat, aux côtés de Gabriel Attal, son ministre des Comptes publics. Organisée un vendredi matin, un moment généralement évité pour ce type de rencontre, l’audition a fait les frais du calendrier bousculé du nouveau gouvernement.

Le double texte, présenté hier en Conseil des ministres, doit être débattu cet été au Parlement, pour contrecarrer les effets de l’inflation sur le portefeuille des ménages. Il prévoit notamment une revalorisation anticipée de 4 % du niveau de pensions de retraite et des prestations sociales, une augmentation de 3,5 % du salaire des fonctionnaires, le chèque alimentaire de cent euros, la suppression de la redevance audiovisuelle, ou encore la prolongation des aides face au prix élevés du carburant et de l’énergie.

Selon le ministre, le « pic inflationniste devrait durer plusieurs mois », et se prolonger « au moins » jusqu’à la fin de l’année. Le maintien du bouclier énergétique pour le second semestre 2022 se fera sans « rattrapage » ultérieur, a-t-il assuré, assumant de protéger le niveau de vie de la population. « Si jamais les prix devaient encore augmenter dans les mois qui viennent, nous en tirerions les conséquences dans le projet de loi de finances 2023 mais ça ne figurera pas dans la facture du consommateur. »

Bruno Le Maire dénonce le « tout et son contraire » de LR

Au total, l’ensemble de ces mesures représente environ 20 milliards d’euros de dépenses supplémentaires. Selon le président de la commission des finances, Claude Raynal (PS), les surplus de recettes fiscales enregistrées par Bercy ne « sont pas suffisants pour compenser les dépenses nouvelles ». « Ce paquet n’est pas financé par de la dette », a contesté le ministre.

Bruno Le Maire a toutefois reconnu que les recettes exceptionnelles en question n’étaient « pas durables », car liées « à la vigueur de la reprise ». D’où sa volonté de pas toucher au niveau de la TVA. À ce chapitre de la fiscalité, le ministre de l’Économie a d’ailleurs critiqué la proposition du patron des députés LR, Olivier Marleix, de plafonner le prix du litre d’essence à 1,50 euro. « Les Républicains nous proposent de rétablir les finances publiques et de dépenser 50 milliards d’euros supplémentaires sur l’essence. Ça, c’est tout et son contraire. »

La majorité sénatoriale n’a pas manqué de pointer à son tour les contradictions du discours gouvernemental. Depuis plusieurs semaines, Bruno Le Maire répète que « chaque euro va compter » et que la France a atteint sa « cote d’alerte » en matière de finances publiques. « Avez-vous réellement le sentiment que ce projet de loi de finances rectificative traduit vos propos » s’est étonné Jean-François Husson, le rapporteur général (LR) de la commission. Le sénateur a noté qu’aucun mouvement de compensation d’une ligne à l’autre du budget n’avait été opéré, pour alléger la note. Selon Gabriel Attal, ces opérations arriveront plus tard. « C’est principalement au PLFR de fin de gestion que des annulations pourront être constatées et réalisées. »

Si le gouvernement refuse tout « dérapage des finances publiques » à l’occasion de l’examen de ces textes budgétaires, son optimisme a laissé pantois plusieurs sénateurs. « Les dépenses prévues sont nettement supérieures à vos rentrées fiscales cette année, ce qui nous laisse un peu sceptique sur le 5 % de déficit public cette année », a averti le sénateur LR Roger Karoutchi. En 2021, le déficit public était à 6,4 %. « On sait très bien que vous ne tiendrez pas ces chiffres », a renchéri le sénateur Philippe Dominati (apparenté LR). Pour le gouvernement, 2027 doit être l’année du retour à un déficit à 3 % du PIB.

« Les revalorisations sont insuffisantes »

À gauche non plus, l’exécutif n'a pas échappé à quelques critiques sur ses orientations. La socialiste Isabelle Briquet a pointé du doigt la suppression de la redevance, qui « pose la question du financement de l’audiovisuel public ». « Les revalorisations sont insuffisantes », a regretté Daniel Breuiller, le nouveau sénateur écologiste du Val-de-Marne, qui a succédé à Sophie Taillé-Polian, devenue députée. Le parlementaire s’est aussi inquiété des inégalités entre salariés avec le triplement de la prime Macron. Cette prime exceptionnelle de pouvoir d’achat, défiscalisée et désocialisée, n’est qu’optionnelle pour les entreprises.

Aux sénateurs mécontents, Bruno Le Maire a rétorqué que « tout n’est pas possible financièrement ». Précisant toutefois que des réorientations de crédits budgétaires étaient une solution. Le ministre a ainsi fait savoir que le gouvernement était ouvert à une modification des conditions de l’aide prévue pour les Français qui se rendent à leur travail en voiture. « Est-ce qu’il faut aller plus loin sur les déciles, ou moins loin en concentrant l’effort, ça, je trouve que c’est un débat particulièrement utile et nous pourrons, je vous le confirme, améliorer ensemble ce dispositif », a indiqué Bruno Le Maire.

Deux niveaux de primes sont prévus pour le moment, elles pourraient être versées en octobre. Pour les trois premiers déciles (les 30 % de foyers fiscaux les plus modestes, jusqu’à 9 400 euros de revenu fiscal de référence par part), une indemnité carburant de 200 euros sera versée. Pour les deux déciles suivants (entre 9 400 et 14 100 euros de revenu fiscal de référence par part), elle sera de 100 euros, avec 50 euros supplémentaires pour les personnes les plus éloignées de leur lieu de travail.

L’aide généralisée pour les automobilistes a du plomb dans l’aile

Interrogé par le rapporteur général Jean-François Husson sur l’inclusion ou non des retraités dans le dispositif, Bruno Le Maire a répété que le gouvernement avait fait le « choix politique » de concentrer l’effort « sur les déplacements des personnes qui travaillent ».

Cette aide aux « gros rouleurs » cohabitera avec un autre dispositif, qui s’éteindra progressivement : la remise d’Etat de 18 centimes à la pompe. La réduction passera à 12 centimes en octobre, avant d’être réduite à 6 centimes en novembre et de disparaître complètement en décembre.

Certains, au sein de la commission, se demandent pourquoi l’exécutif prolonge à partir d’août cette aide généralisée, qui profite aussi bien aux foyers modestes qu’aux familles aisées. Roger Karoutchi a épinglé une mesure au coût d’un milliard d’euros par mois. Inquiétude partagée par le centriste Michel Canevet : « Je crois qu’il faudrait qu’on arrête très rapidement l’aide généralisée car il n’y a aucune raison de continuer à donner une subvention pour tous ceux qui vont, avec leur 4x4 ou leur SUV, en vacances en Normandie, en Bretagne ou dans le sud de la France. »

De l’avis de Bercy, la « co-construction » des textes entre le gouvernement et les différentes sensibilités parlementaires ne se limitera pas aux bonnes nouvelles. « A tous ceux qui disent qui disent qu’il faut réduire certaines dépenses structurelles, je dis oui. Je propose qu’il y ait un travail collectif entre le gouvernement, les députés, les sénateurs, pour qu’en amont, avant le projet de loi de finances 2023, nous regardions ensemble les économies qui sont possibles et souhaitables », a proposé Bruno Le Maire. Potentiellement une manière pour Bercy de ne pas assumer seul ces décisions difficiles.

Dans la même thématique

Brussels Special European Council – Emmanuel Macron Press Conference
3min

Politique

Élections européennes : avant son discours de la Sorbonne, l’Élysée se défend de toute entrée en campagne d’Emmanuel Macron

Ce jeudi 25 avril, le président de la République prononcera un discours sur l’Europe à la Sorbonne, sept ans après une première prise de parole. Une façon de relancer la liste de Valérie Hayer, qui décroche dans les sondages ? L’Élysée dément, affirmant que ce discours n’aura « rien à voir avec un meeting politique ».

Le

Loi pouvoir d’achat : la droite sénatoriale ne croit pas au scénario de rétablissement des comptes vanté par Bruno Le Maire
8min

Politique

IA, simplification des formulaires, France Services : Gabriel Attal annonce sa feuille de route pour « débureaucratiser » les démarches administratives

En déplacement à Sceaux ce mardi dans une maison France Services, quelques minutes seulement après avoir présidé le 8e comité interministériel de la Transformation publique, le Premier ministre a annoncé le déploiement massif de l’intelligence artificielle dans les services publics, ainsi que la simplification des démarches. Objectif ? Que « l’Etat soit à la hauteur des attentes des Français ».

Le

Brussels Special European Council – Renew Europe
10min

Politique

Européennes 2024 : avec son discours de la Sorbonne 2, Emmanuel Macron « entre en campagne », à la rescousse de la liste Hayer

Emmanuel Macron tient jeudi à la Sorbonne un discours sur l’Europe. Si c’est le chef de l’Etat qui s’exprime officiellement pour « donner une vision », il s’agit aussi de pousser son camp, alors que la liste de la majorité patine dans les sondages. Mais il n’y a « pas un chevalier blanc qui va porter la campagne. Ce n’est pas Valérie Hayer toute seule et ce ne sera même pas Emmanuel Macron tout seul », prévient la porte-parole de la liste, Nathalie Loiseau, qui défend l’idée d’« un collectif ».

Le