Loi recherche : le Sénat adopte un texte contesté

Loi recherche : le Sénat adopte un texte contesté

Le Sénat a adopté le projet de loi sur la programmation de la recherche. Le texte comporte plusieurs apports de la Haute assemblée, notamment la création d’un délit d’entrave visant à sanctionner les intrusions de personnes extérieures dans les universités. Les groupes PS, communiste et écologiste ont annoncé la saisine prochaine du Conseil constitutionnel.
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Par 244 voix contre 95, le Sénat a adopté, ce vendredi, le projet de loi sur la programmation de la recherche, issu d’une commission mixte paritaire conclusive. Le texte entend redonner des moyens à la recherche française en injectant 25 milliards d’euros sur 10 ans. Portant à 20 milliards d’euros par an contre 15 actuellement, le budget de la recherche, la France devrait ainsi respecter ses engagements pris à Lisbonne il y a 20 ans, selon lesquels chaque pays consacre 1 % de son PIB à la recherche publique.

1 milliard pour l’Agence nationale de la recherche

Le texte renforce la recherche par appel à projets, en fléchant l’essentiel des financements vers l’Agence nationale de la recherche (ANR), créée en 2005. Il est prévu d’accroître son financement d’un milliard d’euros, en complément des financements de base des laboratoires, dont les montants seront augmentés de 10 % dès 2021, et de 25 % à l’horizon 2023.

Le projet de loi recherche prévoit aussi que l’embauche des jeunes chercheurs ne pourra se faire en dessous de 2 Smic, contre 1,3 actuellement. Plus de 640 millions d’euros seront consacrés à la revalorisation des carrières des 250.000 personnes travaillant dans l’enseignement supérieur et la recherche.

Mais le projet de loi est pourtant loin de faire consensus. La gauche du Sénat (PS, communistes et écologistes) a annoncé en séance la saisine prochaine du Conseil constitutionnel. « Le résultat final est très en deçà des attentes et de l’ambition affichée » a dénoncé la sénatrice socialiste, Sylvie Robert pointant « le caractère anormalement long de la programmation ». L’apport du Sénat qui avait raccourci à 7 ans la programmation en concentrant les efforts budgétaires sur les premières années n’a pas été retenu en Commission mixte paritaire.

Qualification du CNU : « Une mise en cause d’une certaine idée française de l’université » pour la gauche

L’autre grief de l’opposition sénatoriale porte sur le rôle du Conseil national des universités (CNU) dans le recrutement des enseignants-chercheurs. Un ajout du Sénat supprime la qualification préalable par le CNU pour les professeurs d’universités. Pour les maîtres de conférences, l’amendement ouvre une expérimentation de 5 ans permettant de déroger à cette qualification.

« C’est franchir une nouvelle étape dans la marche des établissements vers l’autonomie. C’est faire confiance à nos universités pour prendre leurs responsabilités et constituer leurs équipes avec intelligence, transparence et ouverture » a fait valoir Frédérique Vidal, la ministre de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.

Le sénateur PS, Jean-Pierre Sueur, « c’est une mise en cause d’une certaine idée française de l’université […] Le CNU c’est l’examen par les pairs des compétences des enseignants-chercheurs ».

Délit d’entrave : « disposition scélérate » ou protection des franchises universitaires ?

Toujours sous l’impulsion du Sénat, un délit d’entrave visant à sanctionner les intrusions de personnes extérieures dans les universités a été introduit in extremis lors de la CMP. « Cette disposition n’a été discutée dans aucune des deux chambres et pour laquelle je n’ai pu exercer mon droit constitutionnel d’amendement » a regretté le vice-président communiste de la commission de la culture du Sénat, Pierre Ouzoulias.

La sénatrice écologiste, Monique de Marco est allée jusqu’à dénoncer « une disposition scélérate » qui s’apparente, selon elle, « à une interdiction de manifester dans les universités ». « Bien au contraire » a répondu le sénateur LR Max Brisson pour qui cet amendement « protège les franchises universitaires » en permettant à chacun de trouver dans les universités « les lieux de l’expression libre et de la confrontation des idées ».

Libertés académiques : « une erreur d’appréciation de la volonté du Sénat »

La Commission mixte paritaire n’avait pas retenu la version initiale d’un amendement porté par la rapporteure LR du texte, Laure Darcos. Il entendait modifier l’article L. 952-2 du code de l’éducation qui consacre « la pleine indépendance » et « l’entière liberté d’expression » des universitaires. A l’origine le Sénat voulait proposait que « les libertés académiques s’exercent dans le respect des valeurs de la République » y compris la laïcité (voir notre article). A la tribune, Laure Darcos a regretté « une erreur d’appréciation de la volonté du Sénat ». « Je tiens à redire le profond attachement du Sénat à l’indépendance intellectuelle de l’université française » a-t-elle appuyé.

Pour mémoire, en première lecture, les sénateurs avait inscrit : « les libertés académiques s’exercent dans le respect des valeurs de la République ». Par cet ajout, la rapporteure entendait « inscrire dans la loi que ces valeurs, au premier rang desquelles la laïcité, constituent le socle sur lequel reposent les libertés académiques et le cadre dans lequel elles s’expriment ». Mais une partie des universitaires y ont vu « un instrument de musellement du monde académique ». La formule « valeurs de la République » est ici jugée trop vague et malléable ouvrant la porte à une forme de censure (voir notre article).

Qu’à cela ne tienne, à la fin de la séance, la gauche du Sénat est restée sur ses positions. « Laissons le Conseil Constitutionnel faire son travail sans aucune pression et faire face à cette forme de dérive autoritaire que les textes, au sein de ce gouvernement, portent a conclu » le président du groupe PS, Patrick Kanner.

 

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