Lubrizol : la commission d’enquête du Sénat pointe « des angles morts inacceptables »

Lubrizol : la commission d’enquête du Sénat pointe « des angles morts inacceptables »

Créer une véritable culture du risque industriel, améliorer la gestion de crise ou encore indemniser l’intégralité des préjudices subis par la population… 10 mois après l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen, la commission d’enquête sénatoriale présentait, ce jeudi, ses recommandations.
Public Sénat

Temps de lecture :

7 min

Publié le

Mis à jour le

Après 80 auditions et deux déplacements, les sénateurs de la commission d’enquête, « chargée d'évaluer l'intervention des services de l’État dans la gestion des conséquences environnementales, sanitaires et économiques de l’incendie Lubrizol à Rouen », rendait ses conclusions ce jeudi, lors d’une conférence de presse animée par son président Hervé Maurey (Union Centriste) et les deux rapporteures, Christine Bonfanti-Dossat (LR) et Nicole Bonnefoy (PS).

L’incendie survenu le 26 septembre 2019, est « le premier accident industriel de grande ampleur depuis l’inscription de la Charte de l’environnement dans le bloc de constitutionnalité. C’est enfin l’un des premiers accidents industriels majeurs de l’ère des réseaux sociaux et le « bruit médiatique » (200 000 tweets en 24 heures, plus de 20 000 documents à ce jour) qu’il a suscité a révélé la défiance de la population à l’égard de la parole publique et une très forte anxiété des citoyens par rapport aux conséquences sanitaires de l’accident » notent les sénateurs dans leur rapport. « Les moyens (d’alerte) employés à l’heure de l’incendie étaient complètement archaïques et inefficaces, datant de l’avant-guerre » constate Christine Bonfanti-Dossat en faisant référence au recours à la sirène.

Lubrizol: Christine Bonfanti-Dossat (LR): "« Les moyens (d’alerte) employés à l’heure de l’incendie étaient complètement archaïques et inefficaces"
00:43

Sans se limiter spécifiquement à la gestion des services de l’État suite à l’accident de Lubrizol, la commission d’enquête a choisi également de proposer des pistes d’amélioration de la politique de prévention des risques industriels et de contrôle des installations classées Seveso (1 200 en France).

« Cacophonie des interventions ministérielles »

Tout d’abord, les sénateurs déplorent « les limites de la communication de crise des services de l’État » qui « a montré son incapacité à informer le public de façon claire, prescriptive et pédagogique ». « Au niveau du gouvernement, ça a été la cacophonie la plus totale. Les ministres se sont succédé. C’était à celui qui était là le premier, celui qui en dirait le plus. Finalement, tous ces propos ont été perçus comme contradictoires entre eux (…) La première communication en direction de la population, elle a été faite par les chaînes d’infos, pire encore, par les réseaux sociaux puisqu’il y a eu beaucoup de fake news qui ont circulé » remarque Hervé Maurey interrogé par Public Sénat. C’est pourquoi, le président de la commission d’enquête demande « qu’à l’avenir la communication soit structurée et donc prévue en amont ».

Lubrizol: "Au niveau du gouvernement, ça a été la cacophonie la plus totale" note Hervé Maurey
01:02

Auditionné par le Sénat le 22 octobre 2019, Eric Schnur, le PDG du groupe Lubrizol avait assuré avoir fourni à la préfecture, dès le 26 septembre, « la liste de 390 produits Lubrizol stockés et des fiches détaillées pour les 10 produits qui étaient en plus grande quantité ». Il avait fallu attendre le 4 octobre pour connaître l’ensemble des informations nécessaires sur les « produits Lubrizol » situés dans le site mitoyen de stockage, Normandie Logistique, également touché par l’incendie. « Il est invraisemblable que les industriels eux-mêmes et les services de l’État chargés de contrôler les installations potentiellement dangereuses n’aient pas une connaissance précise, en temps réel, des produits qu’ils utilisent et entreposent » s’alarme la commission. « Donc, on demande, et ça me paraît tout à fait indispensable, qu’il y ait à l’avenir de manière générale, une communication de la nature des produits détenus sur les sites Seveso en direction des autorités de l’État » souligne Hervé Maurey.

Lubrizol: Hervé Maurey demande la communication de la nature des produits détenus sur tous les sites Seveso
00:37

Prise en compte des élus locaux

Chambre des territoires, le Sénat demande également une meilleure association des élus locaux, « maillons essentiels de la chaîne d’information », dans la prévention des risques industriels, notamment en leur communiquant, « les principales conclusions des contrôles d’ICPE organisés sur leur territoire ». Ils devraient aussi être systématiquement associés » aux exercices menés en application des PPI (Plan particulier d’information » et les tenir informés des retours d’expérience de ces entraînements ».

« Une forme d’indulgence des pouvoirs publics vis-à-vis des industries »

Globalement, « la politique de prévention des risques industriels déployée depuis 40 ans en France laisse apparaître des angles morts importants et inacceptables » ont-ils observé. Dans leur viseur, des contrôles divisés par deux en quinze ans des ICPE (installation classée pour la protection de l’environnement). « Cette évolution rend peu réaliste l’objectif d’augmentation de 50 % des contrôles d’ici 2022 à effectifs constants affiché par la ministre de la transition écologique et solidaire » observent-ils. Pour mémoire, le 11 février dernier, Élisabeth Borne avait présenté un plan de prévention des risques industriels sans attendre les conclusions du Sénat. La ministre avait annoncé l’augmentation de 50% d’ici la fin du quinquennat, le nombre annuel de contrôles.

Les sénateurs dénoncent également « une forme d’indulgence des pouvoirs publics vis-à-vis des industries » liée au « nombre réduit de sanctions prononcées, leur faiblesse et le taux de classement sans suite plus élevé pour les infractions environnementales ». « L’entreprise Lubrizol, marquée par d’autres incidents, avait fait l’objet de plusieurs contrôles depuis 2017. Pourtant, l’arrêté de mise en demeure de l’entreprise daté du 8 novembre 2019, fait état de manquements persistants à des prescriptions formulées avant l’incendie du 26 septembre 2019 » ont-ils noté.

Le Sénat favorable à la mise en place d’un « bureau d’enquête accidents industriels »

La commission d’enquête approuve néanmoins la proposition formulée par Élisabeth Borne de créer « un bureau d’enquête accidents industriels » indépendant. Comme il en existe dans le domaine de la sécurité aérienne, ce nouveau bureau d’enquête aura pour but « d’institutionnaliser toutes les leçons que l’on pourra tirer des accidents industriels importants ». Cette idée figurait dans les premières propositions de la mission d’information de l’Assemblée nationale. « Une piste d’évolution intéressante. Sans bouleverser les structures existantes, la création d’une unité spécialisée en matière d’enquête (…) permettrait de disposer de capacités d’expertise dédiées et capables d’analyser avec indépendance et précision, y compris dans des délais restreints, les circonstances exactes d’accidents industriels graves ou complexes.

Adaptation du droit des assurances

Au sujet des conséquences économiques de l’accident, les sénateurs notent la mise en place rapide de deux fonds d’indemnisation à l’amiable, l’un pour les agriculteurs, l’autre pour les entreprises et les collectivités locales. Un mécanisme dérogatoire qui implique la « renonciation contractuelle à toute action contre Lubrizol et « laisse entière la question de la prise en compte des préjudices indirects ». De plus, les nombreux particuliers touchés par l’accident peuvent éprouver des difficultés à obtenir réparation de l’intégralité du préjudice qu’ils ont subi ». Raison pour laquelle, la commission d’enquête plaide pour une adaptation du droit des assurances afin de supprimer la franchise en cas d’accident industriel ».

 

Suivi sanitaire des populations

Lubrizol: Nicole Bonnefoy demande la mise en place de deux registres de morbidité
00:47

Enfin, les élus demandent un suivi sanitaire des populations à moyen et long terme. « C’est pourquoi, on demande la mise en place de deux registres de morbidité. Un qui concerne les cancers parce qu’on ne sait pas, à moyen et long terme, quelles seront les conséquences, donc il faut prévenir. Et puis un registre sur les malformations congénitales. Il y a eu déjà des analyses de faites sur les femmes enceintes avec des résultats qui peuvent être inquiétants » explique la rapporteure PS de la commission, Nicole Bonnefoy.

 

Dans la même thématique

Deplacement du Premier Ministre a Viry-Chatillon
7min

Politique

Violence des mineurs : le détail des propositions de Gabriel Attal pour un « sursaut d’autorité »

En visite officielle à Viry-Châtillon ce jeudi 18 avril, le Premier ministre a énuméré plusieurs annonces pour « renouer avec les adolescents et juguler la violence ». Le chef du gouvernement a ainsi ouvert 8 semaines de « travail collectif » sur ces questions afin de réfléchir à des sanctions pour les parents, l’excuse de minorité ou l’addiction aux écrans.

Le

Turin – Marifiori Automotive Park 2003, Italy – 10 Apr 2024
6min

Politique

Au Sénat, la rémunération de 36,5 millions d’euros de Carlos Tavares fait grincer des dents. La gauche veut légiférer.

Les actionnaires de Stellantis ont validé mardi 16 avril une rémunération annuelle à hauteur de 36,5 millions d’euros pour le directeur général de l’entreprise Carlos Tavares. Si les sénateurs de tous bords s’émeuvent d’un montant démesuré, la gauche souhaite légiférer pour limiter les écarts de salaires dans l’entreprise.

Le