Lutte contre la fraude fiscale : ce que le Sénat a modifié dans le texte de Gérald Darmanin

Lutte contre la fraude fiscale : ce que le Sénat a modifié dans le texte de Gérald Darmanin

Le Sénat, qui examine le texte sur la fraude fiscale, a levé le verrou de Bercy pour les cas les plus graves. Il s’attaque aussi à la fraude à la TVA sur Internet et veut que les revenus issus des sites collaboratifs, et supérieurs à 3.000 euros, soient taxés.
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L’Etat cherche à faire des milliards d’euros d’économies. Ça tombe bien, des milliards s’évaporent dans la nature chaque année en raison de la fraude fiscale. On parle ici de (riches) particuliers et des grandes entreprises qui, d’une manière ou d’une autre, échappent à l’impôt.

Des hors-la-loi que le gouvernement vise par son texte sur la lutte contre la fraude fiscale, porté par le ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin. Les sommes en jeux sont considérables. « Le montant de la fraude fiscale s’élève entre 20 et 80 milliards d’euros par an » estime le ministre. Le projet de loi débute son parcours parlementaire par le Sénat, qui l’examine en séance ce mardi. Globalement, Albéric de Montgolfier, rapporteur LR de la commission des finances, accueille favorablement le texte. Il a cependant été modifié en commission des finances. Voici les points principaux (voir le sujet vidéo de Samia Dechir) :

Le verrou de Bercy en partie levé avec l’accord du gouvernement

Si le gouvernement n’a rien prévu dans son texte sur le verrou de Bercy, ce monopole de l’administration fiscale pour transmettre ou pas un dossier de fraude à la justice, la commission des finances s’y attaque. « Nous supprimons le verrou » se félicite Albéric de Montgolfier, rapporteur LR de la commission des finances.  En réalité, elle ne le supprime pas complètement, mais elle le lève en partie, selon trois critères (voir notre article pour plus de détail). « On est pour une suppression complète, avec mise à disposition de la justice des moyens adéquats » demande de son côté le sénateur PCF Eric Bocquet, auteur de deux commissions d’enquête sénatoriales sur la fraude et l’évasion fiscale. Les socialistes veulent aussi faire sauter ce verrou… que François Hollande a conservé.

Le gouvernement voit en réalité d’un bon œil l’apport des sénateurs. Après le texte SNCF, où exécutif et Haute assemblée ont travaillé de concert, le gouvernement semble une nouvelle fois prêt à s’appuyer sur les sénateurs. Du moins sur ce point. « Je suis favorable à la proposition du Sénat », annonce à publicsenat.fr avant l’examen du texte Gérard Darmanin. Il avait en réalité lui-même lancé l’idée, en mai dernier, de « donner les clefs du verrou » au Parlement.

Verrou de Bercy : Gérald Darmanin « favorable à la proposition du Sénat »
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Sur les 4.000 dossiers graves de fraude, 1.000 sont actuellement transmis à la justice chaque année. Avec la formule proposée par le Sénat, ce pourrait être quelques centaines de dossiers supplémentaires qui finissent devant le juge.

Lutte contre la fraude à la TVA sur Internet

La commission des finances s’attaque aussi à « la fraude à la TVA sur Internet » lors des achats (voir la vidéo ci-dessous). Selon les chiffres obtenus auprès des services du contrôle fiscal par Albéric de Montgolfier, c’est « plus d’un milliard d’euros » par an. Dans le collimateur des sénateurs : « Un certain nombre de grandes plateformes en ligne, où la TVA n’est pas toujours payée ». Gérard Darmanin est prêt à discuter du sujet là aussi. Il n’a pas déposé d’amendement de suppression sur ce point et a exprimé, lors de la discussion générale, « un avis bienveillant ».

Le Sénat veut "lutter contre la fraude à la TVA lors des achat sur Internet"
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« Il fallait réguler un peu les choses. Ça va dans le bon sens », reconnaît lui-même Eric Bocquet. Mais le communiste juge là aussi le texte insuffisant. « Globalement, il n’y a rien sur les GAFA, les géants d’Internet. Pas un mot, alors que c’est là que ça se passe ».

Airbnb, Blaclacar, etc : les revenus taxés au-delà de 3.000 euros

Les sénateurs visent aussi les utilisateurs de site comme Airbnb ou BlaBlaCar. L’idée : faire payer des impôts à ceux qui en font une source de revenu substantielle. Le Sénat planche sur le sujet depuis un moment. Selon le texte des sénateurs, en dessous de 3.000 euros par an, pas d’impôt. Au-delà de 3.000, les revenus seront imposés.

Une liste des paradis fiscaux complétée, mais encore des manques

Dans le texte du gouvernement, la liste française des paradis fiscaux, appelés Etats et territoires non coopératifs (Botswana, Brunei, Guatemala, Îles Mashall, Nauru, Niue, Panama) est complétée par la liste de l’Union européenne (Guam, Îles Vierges américaines, Namibie, Palaos, Samoa, Samoa américaines, Trinité et Tobago).

La commission a inclus le critère de l’échange automatique d’informations, et non plus à la demande, parmi les critères d’inscription sur la liste. Encore bien insuffisant, selon le communiste Eric Bocquet : « C’est une plaisanterie, car il n’y a aucun membre de l’Union européenne » pointe le sénateur du Nord, qui évoque « l’Irlande et le Luxembourg ». « Depuis les révélations du luxleaks, le Luxembourg a signé 599 rescrits fiscaux » souligne Eric Bocquet.

« Sans doute que les choses sont trop lentes » a admis en séance Gérald Darmanin, « mais elles avancent ». Le ministre reconnaît, en restant prudent dans le choix des mots, qu’« on ne peut pas construire la même Europe avec de telles différences de fiscalité, qui ne s’apparent pas simplement à une décision politique, mais manifestement à ce qui pourrait s’appeler un montage frauduleux européen, puisque telle ou telle entreprise bénéficie à ces manquements à la solidarité fiscale européenne (…) avec de l’argent qui ne rentre pas dans les caisses de l’Etat ».

Suppression de la nouvelle police fiscale

Les sénateurs ont supprimé en commission l'article 1 du projet loi. Il crée, au sein du ministère du Budget, une sorte de police de Bercy, chargée de mener des enquêtes judiciaires en matière de fraude fiscale. Le Sénat préfère renforcer les moyens de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF), qui existe déjà et comprend environ 40 agents.

« Name and shame » pour les sanctions définitives

L’article 6 du projet de loi permet à l’administration de rendre publiques les sanctions prises contre des personnes morales, c'est-à-dire des entreprises, pour des manquements graves. Plus de 2.500 décisions administratives par an seraient potentiellement concernées. Mais compte tenu des « conséquences économiques considérables » pour les entreprises, la commission a limité la publication uniquement « pour les sanctions devenues définitives ».

Intermédiaires sanctionnés

Lors de ses contrôles fiscaux, Bercy a constaté que « des gens proposent des montages et, manifestement, les industrialisent » explique à Public Sénat Gérard Darmanin. D’où l’idée de sanctionner ces cabinets qui aident à mettre en place des montages permettant la fraude, afin de les en dissuader. Mais la commission des finances estime le dispositif difficile à mettre en place. Elle l’a modifié pour que le tiers soit sanctionné seulement quand le client a été définitivement condamné pour fraude fiscale.

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