Lutte contre les violences conjugales : « On est loin d’une grande politique nationale avec des moyens financiers adéquats »

Lutte contre les violences conjugales : « On est loin d’une grande politique nationale avec des moyens financiers adéquats »

La journée mondiale de lutte contre les violences faites aux femmes tombe en plein examen du budget au Sénat. Mardi 29 novembre, la chambre haute examinera les crédits consacrés à l’égalité femme – homme, qui sont en légère progression. Mais les sénatrices et les sénateurs déplorent le manque de visibilité sur le véritable budget consacré à la lutte contre les violences faites aux femmes, éclaté dans de nombreuses missions budgétaires, et encore insuffisant.
Louis Mollier-Sabet

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La mécanique budgétaire est une machine bien huilée. À chaque problème public, correspondent des « missions » budgétaires, qui, regroupées par thématique, recoupent plus ou moins les différents ministères. Ainsi les différents rapporteurs spéciaux au Parlement examinent les crédits consacrés à chaque « mission » par le gouvernement, et peuvent donner leur avis chaque année sur le budget consacré à chaque politique publique.

Ce passage obligé de la vie politique et parlementaire permet à tous les acteurs concernés (administrations, parlementaires, mais aussi associations ou citoyens) de faire le point sur les moyens engagés par l’exécutif sur un sujet. Ceci est par exemple valable pour l’écologie, la sécurité, la justice, la santé, le sport, le travail, la culture… mais pas vraiment pour l’égalité femme – homme.

54 millions pour le budget « égalité entre les femmes et les hommes »

Le budget de l’égalité femme – home appartient au niveau comptable à la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », où ce programme budgétaire, le numéro 137, ne pèse que 54 millions sur 30 milliards d’euros, soit à peine 0,2 %. Si le budget consacré à l’égalité femme – homme augmente bien de 14 %, « c’est sur une base assez faible », précise l’un des deux rapporteurs de la mission « Solidarité », le sénateur LR Arnaud Bazin. Au sein de ce budget, 29,2 millions d’euros sont consacrés aux violences faites aux femmes, « une légère progression incontestable par rapport aux 13 millions du budget 2019 », concède Éric Bocquet, sénateur communiste lui aussi rapporteur du budget « Solidarité. »

Ces hausses de crédit comprennent notamment 3 millions de soutien à la plateforme téléphonique du 3919, qui prend en charge les femmes victimes de violence, explique Éric Bocquet : « Le 3919 très sollicité, avec 150 000 appels en 2021, soit 54 % de plus qu’en 2019. Ce qui génère des difficultés et le taux de réponse est de 75 % alors que l’objectif cible reste 85 %. Il y a des problèmes en matière de recrutement et de formation des écoutantes, les moyens ne sont pas encore idéalement adaptés aux besoins qui ne font que croître. »

6 millions d’euros supplémentaires devraient aussi être consacrés aux 30 centres de prises en charge… des auteurs de violences conjugales (CPCA). Le dispositif avait été créé après le Grenelle des violences conjugales afin de prévenir la récidive par un encadrement et un accompagnement psychologique, mais les rapporteurs expliquent que de nombreuses associations de lutte contre les violences faites aux femmes auraient préféré voir ces crédits figurer dans le budget de la Justice. « Les associations ont regretté que ce financement soit assuré par le programme ‘égalité entre les femmes et les hommes’, qui devrait être dédié aux victimes et pas aux auteurs, ce qui me semble juste. Cela pourrait relever de la mission Justice, puisque le placement dans ces centres relève d’une décision judiciaire. »

« On n’a pas d’outil pertinent pour chiffrer le budget consacré à la lutte contre les violences faites aux femmes »

Au sens strict, le budget consacré à l’égalité entre les femmes et les hommes ne se porte donc pas mal. Le problème c’est que ce programme budgétaire ne mesure pas du tout les moyens que l’exécutif consacre à ce sujet, comme l’expliquent les deux rapporteurs en charge de ces crédits. « Cela ne retrace pas la totalité des actions de lutte contre les violences conjugales, ou même pour l’égalité entre les femmes et les hommes. L’hébergement d’urgence des femmes victimes se retrouve dans le budget Logement ou les personnels dédiés dans les gendarmeries et les commissariats dans les crédits de la mission Sécurités par exemple », explique ainsi Arnaud Bazin.

« On n’a pas d’outil pertinent pour chiffrer le budget consacré à la lutte contre les violences faites aux femmes », conclut le sénateur LR. Son collègue communiste, Éric Bocquet, le rejoint totalement sur ce point : « Quand on nous avait annoncé le chiffre ronflant d’1 milliard pour la lutte contre les violences faites aux femmes après le Grenelle [des violences conjugales, ndlr], on s’est rendu compte que c’était une agrégation de crédits difficiles à tracer. Puis quand on a écouté les associations engagées sur le sujet, elles nous ont dit qu’on était très loin du compte par rapport à ce milliard sur lequel le gouvernement communiquait. »

« On est loin d’une grande politique nationale avec des moyens financiers adéquats »

Arnaud Bazin, lui aussi, se souvient de ces « tableaux interministériels » que le gouvernement avait tenté de présenter après le Grenelle en 2020 : « Ils nous montraient des sommes astronomiques, mais on comptait dedans les heures des profs d’histoire-géo qui font l’instruction civique sur les questions d’égalité, ou bien des crédits dédiés à l’aide au développement. C’était très peu lisible. »

Ce déficit de chiffrage pourrait n’être qu’un problème de comptabilité, mais pour Éric Bocquet, l’éclatement budgétaire reflète un manque de volonté politique et d’efficacité : « On se repose beaucoup sur des associations engagées et militantes sur le sujet, donc localement il se passe des choses positives, mais il y a de fortes disparités territoriales et un déficit de coordination nationale. On est loin d’une grande politique nationale avec des moyens financiers adéquats. » Le sénateur communiste plaide pour un budget « qui va véritablement vers le milliard », parce que « le nombre de féminicides ne baisse pas », avec une femme tuée tous les trois jours par son conjoint.

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