Maintien de l’ordre, Sentinelle, LBD : ce qu’il faut retenir de l’audition du préfet Didier Lallement devant les sénateurs

Maintien de l’ordre, Sentinelle, LBD : ce qu’il faut retenir de l’audition du préfet Didier Lallement devant les sénateurs

Nommé préfet de police de Paris quelques jours après les violences qui ont marqué la manifestation des gilets jaunes du 16 mars dernier, le préfet de police de Paris, Didier Lallement, a été auditionné par le Sénat ce mercredi.
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Didier Lallement évoque « le dépit de l’ensemble des fonctionnaires et des militaires » après la journée du 16 mars

Didier Lallement évoque « le dépit de l’ensemble des fonctionnaires et des militaires » après la journée du 16 mars
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Didier Lallement, préfet de police de Paris, rappelle qu’il a pris ses fonctions le 21 mars, soit après les débordements du 16 mars. Il a pu toutefois constater « le dépit de l’ensemble des fonctionnaires et des militaires » vis-à-vis de cette journée. Pour lui, ces hommes sont « des professionnels très investis dans leur mission » et donc « conscients de l’échec en matière d’ordre public ».

Didier Lallement considère que « le mouvement ne va pas s’arrêter du jour au lendemain » et qu’ainsi les forces de l’ordre auront à connaître de nouveaux « pics de mobilisation ». Il déplore les changements de parcours, qui rendent l’organisation du dispositif difficile. Par exemple, pour cette semaine, le parcours de samedi n’est toujours pas connu. Il le sera certainement « jeudi soir ou vendredi matin ». Ainsi, « le temps de préparation des forces de l’ordre est extrêmement faible ».

Didier Lallement a imposé un nouveau rituel : rencontrer la maire de Paris et les maires d’arrondissement le vendredi après-midi, veille de manifestation. Ensuite, il briefe les forces de l’ordre sur le dispositif à mettre en œuvre le lendemain. Il conclut à « un dispositif à flux très tendus » pour chaque samedi. « Et encore », prévient-il, « je ne vous parle que des manifestations déclarées ». Les manifestations non-déclarées « compliquent le dispositif ».

Didier Lallement a également tiré les leçons des problèmes de commandement. Une fois à la tête de la préfecture, il a mis en place « une chaîne de commandement unifiée ». Le haut de la chaîne reste le préfet, mais la chaîne elle-même évolue : « Dès lors qu’un fonctionnaire bascule dans le maintien de l’ordre, il fait partie de la DOPC [direction de l'ordre public et de la circulation] ». Jusqu’à présent, deux chaînes de commandement étaient possibles : DSPAP et DOPC.

« L’autonomie » des forces de l’ordre est devenue un « besoin »

« L’autonomie » des forces de l’ordre est devenue un « besoin »
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De manière très détaillée, Didier Lallement a exposé le dispositif de maintien de l’ordre qu’il a mis en place à son arrivée à la préfecture de Paris.

Les forces de l’ordre sont désormais réparties en zone d’intervention géographique, comme par exemple sur les Champs-Élysées et autour de l’Assemblée nationale. « Le dispositif était depuis très longtemps, un dispositif de réaction assez statique ; protégeant certains endroits dans le cas où certains manifestants n’auraient pas respecté leur parcours. Cas de figure assez rare historiquement. C’est sur ce schéma-là que reposait la conception de l’ordre public parisien » a-t-il rappelé.

Selon le préfet de police, le changement est apparu en 2016 au mouvement des manifestations contre la loi Travail, où des blacks blocs sont apparus. « Le mouvement des gilets jaunes est en quelque sorte l’aboutissement de ce dispositif : c’est-à-dire l’imprévisibilité des scenarii (…) des mouvements sans service d’ordre ».

Raison pour laquelle, selon lui, « l’autonomie » des forces de l’ordre est devenue un « besoin ». En ce qui concerne le décret permettant un dispositif d’interdiction de manifester. « Il est très utile pour nous car il permet une sanctuarisation des périmètres et une plus grande autonomie ».

« On ne va pas mettre les forces mobiles sur des trottinettes »

Mettant en de nombreuses reprises l’accent sur l’importance de la « mobilité » des forces de l’ordre, Didier Lallement a mis en avant une spécificité parisienne. « Nous avons les mêmes problèmes que tous les parisiens (…) les difficultés de transports sont évidentes (…) on a du mal, le samedi après-midi à se déplacer dans Paris ».

Parmi les solutions envisagées, l’utilisation de véhicules plus légers. « Il faut nous adapter aux changements de mode de déplacements des parisiens. Je ne dis pas qu’on va mettre les forces mobiles sur des trottinettes » a-t-il plaisanté.

Emploi des militaires de Sentinelle : « Nous renforçons notre dispositif antiterroriste pendant les manifestations »

Emploi des militaires de Sentinelle : « Nous renforçons notre dispositif antiterroriste pendant les manifestations »
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Évoquant les militaires de l’opération Sentinelle et la polémique sur leur emploi, il souligne que « rien n’a fondamentalement changé depuis 2015 sur le dispositif ». « Les manifestations n’empêchent pas la trame de fond du terrorisme. Les dispositifs Sentinelle se renforcent à un certain nombre d’endroits. Car le véritable sujet que nous avons n’est pas les manifestations mais le risque terroriste. On peut tout à fait penser que pendant ces moments de manifestation, qui créent un peu de difficultés, des gens mal intentionnés pourraient penser que c’est le moment d’agir. Donc évidemment, nous renforçons notre dispositif antiterroriste pendant les manifestations, pas contre les manifestants mais contre ceux qui pourraient penser que nous abaissons la garde ».

« On a rompu avec la procédure fort ancienne "vous ne bougez que sur instruction »

Interrogé par le président de la commission des lois, Philippe Bas, sur « les retards des ordres donnés » le 16 mars, évoquant des « agents qui sentaient la nécessité d’être plus réactifs, qui ne recevaient pas les ordres nécessaires », Didier Lallement estime que « la réponse, c’est l’autonomie tactique des unités. Dès lors qu’il n’y a pas besoin de donner des ordres, (…) les unités agiront d’autonomie ». Ce qui « ne veut pas dire désordre, (…) ça doit se faire en lien avec la salle opérationnelle ».

Didier Lallement, préfet de police de Paris : « On a rompu avec la procédure fort ancienne "vous ne bougez que sur instruction" »
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« Est-ce qu’on a rompu avec la procédure fort ancienne, "vous ne bougez que sur instruction" ? Oui, on a rompu avec ça » ajoute le préfet de police de Paris.

Concernant les moyens, il estime qu’« ils étaient et sont suffisants. On a un problème d’emploi des moyens ». Didier Lallement ajoute que « les lieux symboliques dans Paris ont changé. Du temps où j’étais jeune, c’était plutôt Bastille, République, Nation. Aujourd’hui, on voit qu’il y a de nouveaux lieux. Je n’aurais jamais pensé que l’Arc de Triomphe et la Tombe du soldat inconnu auraient été un lieu en matière de maintien de l’ordre ». Et d’ajouter : « Si on veut garder tous les endroits susceptibles d’être symboliques, l’ensemble des unités de force mobiles de France ne suffiront pas. D’où la mobilité ».

« Les forces de police sont certes fatiguées mais il n’y a pas de fatigue morale »

Quant à la fatigue, il affirme que « l’ensemble des fonctionnaires et des forces de police sont certes fatigués », « évidemment que ça fatigue, c’est pire pour les gars qui courent dans la rue avec 25 kilos sur le dos. Mais il n’y a pas de fatigue morale ».

 

LBD : « Il est absolument nécessaire qu’il y ait un film des tirs. »

LBD : « Il est absolument nécessaire qu’il y ait un film des tirs. »
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Interrogé par Brigitte Lherbier sénatrice (LR) de Paris, sur « l’obligation de filmer les interventions », Didier Lallement répond : « Il est absolument nécessaire qu’il y ait un film des tirs. C’est maintenant rendu possible lorsque les LBD sont équipés eux-mêmes de la caméra. Pour ceux des LBD qui ne le sont pas encore, c’est vrai que c’est astreignant. Il faut allumer la caméra avant de tirer. C’est vrai que ce n’est pas très simple. Mais, dès lors que l’on arrivera à équiper l’ensemble des LBD de ce type de matériel, il n’y aura pas de difficultés. »

Le préfet de police de Paris explique également que « le matériel souffre beaucoup ». : « Puisqu’on nous projette dessus des tas de choses (…) on est arrivé dans des choses tout à fait scandaleuses. Effectivement, on a un taux de rotation de équipements bien supérieur à ce qu’il était précédemment. »

Didier Lallement dément le fait que le nombre de jours de récupération seraient en diminution pour les forces de sécurité : « On ne peut pas donner de récupérations le week-end. La vraie difficulté c’est ça. »

Quant aux contrôles préventifs effectués, le préfet de police de Paris déclare :

« Le 23 mars nous avons mené 8545 contrôles préventifs. Je parle de l’Ile-de-France (...) Le week-end dernier, nous en avons fait 14 000 (…) Il y a plus de contrôles que de manifestants (…) Il y a moins de manifestants que de contrôles parce que justement il y a eu des contrôles. »

« Les LBD visent à maintenir à distance et à éviter le corps-à-corps, voire à éviter l’usage des armes de service »

« Les LBD visent à maintenir à distance et à éviter le corps-à-corps, voire à éviter l’usage des armes de service » prévient Didier Lallement
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Didier Lallement répond ensuite à trois questions, portant sur les marqueurs, la dureté des balles de LBD et l’utilisation des drones à usage identificatoire. Sur les marqueurs, ils ne sont « pas toxiques », ni pour les personnes, ni pour l’environnement. D’ailleurs, précise le préfet, « il n’est pas question d’utiliser des armes toxiques », à quelque usage que ce soit.

Au niveau des LBD, Didier Lallement met en parallèle violence des forces de l’ordre et violence des manifestants. Il rappelle qu’ « un gendarme a eu la mâchoire arrachée par un pavé », « une autre réalité » à prendre en compte. Dans ce contexte, « les LBD visent à maintenir à distance et éviter le corps-à-corps », voire « l’usage des armes de service ». Il n’est pas favorable à différents types de balles de LBD, dont certaines seraient « plus molles ». Selon lui, « il ne faut pas mélanger deux types de cartouches car c’est là que les accidents arrivent ».

En l’état, le préfet ne sait pas s’il existe des balles de LBD « plus molles », ni où en trouver. Il reconnaît qu’il y a « des progrès à faire » avec les LBD, mais que ceux-ci sont « essentiels ». Il va plus loin, considérant qu’il « craindrait le pire » en l’absence des LDB, car « ces armes nous protègent les uns et les autres ». Il confesse toutefois « beaucoup trop d’accidents », mais qui tiendraient à « la lenteur de l’envoi des balles », qui permettent le déplacement de la cible et donc l’accident.

Sur la multiplication des drones, Didier Lallement y est favorable, y compris à destination de l’identification des personnes, dans le cadre de leur utilisation future lors d’un procès. Il préconise de « multiplier les drones par unité », afin de « voir le plus grand nombre possible de situations », ce que ne permettent pas les drones actuels, qui volent trop haut. Ainsi, il souhaite des « drones tactiques », afin d’identifier les manifestants, dans le cadre d’un usage « tactique opérationnel ».

« Nous sommes prêts et nous sommes déterminés », clame Didier Lallement

« Nous sommes prêts et nous sommes déterminés », clame Didier Lallemend
11:13

« Les gens nuisibles sont toujours là et leur quantum de présence est variable d’une semaine à une autre », prévient le nouveau préfet de police de Paris. Sur les interrogations des sénateurs concernant les blacks blocs, Didier Lallement explique que les forces de l’ordre vont « être confrontées à la mobilité des adversaires. La seule réponse, c’est notre capacité propre de mobilité, je pense que les progrès que nous avons faits ces quinze derniers jours nous permettrons à cela ». Le préfet a largement évoqué la mobilité comme réponse aux violences commises au cours des manifestations. Il a rappelé la présence de la BRAV (Brigade de Répression de l’Action Violente) qui est désormais motorisée et celle du dispositif d’action rapide (DAR), toutes deux déployées dans un souci de mobilité.

« Les produits marquants nécessitent des adaptations techniques, des approfondissements juridiques dans un certain nombre de cas »

Sur un ton volontariste et assez dur le préfet de police de Paris assure : « Nous sommes prêts et nous sommes déterminés » pour les prochains samedis de mobilisation. Didier Lallement a par ailleurs détaillé les nouveaux moyens dont il dispose : interdiction de manifester, augmentation des amendes, drones et produits marquants. Sur ces deux derniers éléments, le préfet a toutefois émis quelques réserves. Pour les drones, le résultat « pour le moment n’est pas forcément très probant ». Et concernant les produits marquants, qui sont des solutions liquides diluées dans les canons à eau ou dans les gaz lacrymogènes, Didier Lallement estime qu’ils « nécessitent des adaptations techniques, des approfondissements juridiques dans un certain nombre de cas ».

Le préfet de police de Paris s’est également exprimé sur les moyens de dissolution des manifestants dont il estime qu’ils mériteraient d’être dépoussiérés. « J’observe que nous disposons de moyens juridiques pour les dissolutions qui sont, certes, un peu datés et pas forcément compréhensibles pour les manifestants (…) Effectivement, quand des manifestants voient un commissaire de police revêtu de son écharpe, ils peuvent penser que ce n’est pas un fonctionnaire de police d’autorité », admet-il.  

Didier Lallement reconnaît aussi que les « porte-voix sont un peu datés en matière de capacité de projection ». À l’heure des smartphones, Didier Lallement a conscience que les forces de l’ordre sont « sur des dispositifs de dissolution qui sont plutôt ante réseau. Il faudrait peut-être réfléchir à ça ».

« Il n’est pas question que les militaires fassent du maintien de l’ordre »

La sénatrice socialiste de Paris, Marie-Pierre de la Gontrie a interrogé le préfet de police « sur un possible loupé de communication » avant la mobilisation des gilets jaunes du samedi 23 mars. « Tout le monde a compris à ce moment-là que Sentinelle et donc l’armée allait intervenir dans le maintien de l’ordre de la manifestation ».

Dans sa réponse, le préfet de police de Paris a tenu à être affirmatif. « Le dispositif Sentinelle n’a pas changé de doctrine puisqu’il vise toujours à combattre le terrorisme. Et il n’est pas question et il n’est pas envisagé, pas plus par le gouverneur militaire que par d’autres, que les militaires fassent du maintien de l’ordre » (…) vous pouvez me croire car c’est moi qui réquisitionne comme préfet de zone l’ensemble des forces Sentinele » a-t-il assuré.

Puis, Marie-Pierre de la Gontrie s’est intéressée à la mise en place de la « brigade de répression contre les actions violentes, motorisée ». « Optiquement ces brigades ressemblent aux voltigeurs mis en cause dans la mort de Malik Oussekine et dissoutes en 1986 » remarque-t-elle.

« Si vous arrivez à tenir une matraque sur des engins comme ça »

Didier Lallement: « Il n’est pas question que les militaires fassent du maintien de l’ordre »
11:17

Là encore, Didier Lallement s’inscrit en faux. Lui-même motard, il apporte à la sénatrice des précisions techniques. « La moto est un vecteur, c’est un moyen de transport, ce n’est en aucune façon un moyen de maintien de l’ordre » commence-t-il. Pour lui, la différence entre les voltigeurs et les brigades motorisées tient à la cylindrée de la moto. « Les voltigeurs étaient sur des engins légers, des 125 cm3, parce que c’est extrêmement maniable. Nous, on transporte des gars sur des équipages qui font 200 kgs, des engins de 900 cm3. Vous n’allez pas zigzaguer entre les manifestants à 40 à l’heure  (…) techniquement ça me semble impossible » explique-t-il.

Puis le préfet de police propose à la sénatrice de venir à Vincennes assister à un entraînement des forces de l’ordre. « Si vous arrivez à tenir une matraque sur des engins comme ça… Venez, Mme la sénatrice. Je vais vous montrer ça à Vincennes. Vous verrez comment ça marche ».

C’est alors que Philippe Bas, le président de commission des lois se permet une référence, très pince sans rire », à l’affaire Benalla. « Naturellement, Mme de la Gontrie, vous respecterez entièrement le statut qui est fait aux observateurs ».

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