Médiator : « Une tromperie gravissime qui a entraîné une méfiance considérable vis-à-vis des médicaments »

Médiator : « Une tromperie gravissime qui a entraîné une méfiance considérable vis-à-vis des médicaments »

Dix ans après la révélation du scandale du Mediator, un médicament soupçonné d’avoir causé la mort de plus de 2000 personnes, le tribunal correctionnel de Paris a reconnu coupable les laboratoires Servier de « tromperie aggravée » et d’« homicides et blessures involontaires ». L’agence nationale de sécurité du médicament a quant à elle été condamnée pour homicides et blessures involontaires par négligence.
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« Ce jugement n’est pas du tout à la hauteur de ce que j’attendais. Je considère qu’il y a de la part du laboratoire Servier, une tromperie et une volonté de gagner de l’argent sans tenir compte des accidents de santé qui pouvaient avoir lieu un peu partout sur le territoire national ». Si les élus n’ont pas pour habitude de commenter les décisions de Justice, Alain Milon sénateur LR ne s’en est, lui, pas privé, quelques minutes après l’annonce du jugement du procès Mediator. Un dossier que l’ancien président de la commission des affaires sociales connaît bien. En 2011, il était l’un des membres de la mission d’information du Sénat « Mediator : évaluation et contrôle des médicaments ».

Il aura donc fallu attendre 10 ans pour voir les laboratoires Servier reconnus coupables de « tromperie aggravée » et d’« homicides et blessures involontaires », et condamnés à payer 2,718 millions d’euros d’amende. Ils devront verser en outre plus de 180 millions d’euros aux parties civiles en réparation des préjudices subis, selon les premiers calculs effectués par des avocats dans la foulée du délibéré. Le groupe pharmaceutique a toutefois été relaxé du délit d’« escroquerie ». « Malgré la connaissance qu’ils avaient des risques encourus depuis de très nombreuses années […] ils n’ont jamais pris les mesures qui s’imposaient et ainsi trompé » les consommateurs du Mediator, a déclaré la présidente du tribunal correctionnel, Sylvie Daunis.

« La sanction est largement insuffisante »

Homologué comme antidiabétique en 1976, utilisé par cinq millions de Français, le Mediator a également été détourné de son usage en étant prescrit comme un coupe-faim. À l’origine de graves problèmes pour les patients (lésions de valves cardiaques ou encore hypertension artérielle pulmonaire), le médicament n’a été retiré qu’en 2009. Irène Frachon, la pneumologue brestoise avait alerté le grand public en 2010 sur les risques du Mediator, avec son livre de « Mediator 150 g : combien de morts ? »

« Ce qui est grave, c’est qu’on a détourné la prescription, donc il était normal et légitime que le laboratoire Servier soit condamné par ce qu’il savait que ce médicament pouvait entraîner des effets secondaires, surtout si on détournait l’objet de cette prescription », rappelle Jean-Marie Vanlerenberghe sénateur centriste, ancien membre de la mission d’information qui espère que les parties civiles « toucheront plus que les dizaines de millions annoncés ». Pour mémoire, les parties civiles réclamaient « un milliard » d’euros de dommages et intérêts.

« C’est une tromperie gravissime qui a entraîné au niveau de la population une méfiance considérable vis-à-vis des médicaments. Tout cela parce qu’un laboratoire a voulu être plus mercantile qu’autre chose. Donc pour moi la sanction est largement insuffisante », estime Alain Milon qui met le doigt sur la question qui taraudait les sénateurs en 2011.

Pour quelle raison le Mediator était toujours commercialisé en 2009, alors qu’un autre produit du laboratoire (l’Isoméride) avait été retiré en 1997, car il était responsable d’effets secondaires similaires ? Les auditions du Sénat avaient mis en évidence la responsabilité de l’Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (AFSSAPS), l’ancêtre de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Progressivement, la mission sénatoriale identifiera le cœur des dysfonctionnements : les experts collaboraient avec les laboratoires et les représentants des firmes siégeaient dans les commissions d’autorisation de mise sur le marché (AMM), au titre « d’invités permanents ».

« Je me suis rendu compte d’une certaine forme de légèreté de la part de l’agence du médicament »

« J’ai assisté à beaucoup d’auditions. Je me suis rendu compte d’une certaine forme de légèreté de la part de l’agence du médicament. J’ai même entendu (de la part de ces membres) : ‘Oh… il n’a pas eu beaucoup de morts’. Ça m’a extrêmement choqué, se souvient Jean-Marie Vanlerenberghe (voir la vidéo en question ci-dessous)

Audition Mediator : « Je trouve que c’est terrible », déclare Jean-Marie Vanlerenberghe
00:52

L’agence nationale du médicament qui a « gravement failli dans sa mission de police sanitaire », a été condamnée à 303.000 euros d’amende. Le tribunal a infligé à l’agence la peine maximale de 225.000 euros pour « homicides et blessures involontaires » par négligence, à laquelle s’ajoutent des peines d’amendes contraventionnelles à hauteur de 78.000 euros.

« On a complément décrédibiliser la parole publique »

Pour la Nathalie Goulet, sénatrice centriste et à l’époque vice-présidente de la mission d’information, cette condamnation « prouve une défaillance de l’Etat ». L’élue de l’Orne regrette qu’à ce sujet, certaines préconisations de la mission d’information ne soient toujours pas mises en place. Le rapport militait notamment pour la création d’un corps d’État d’experts de santé publique indépendants de l’industrie pharmaceutique. « Vous voyez bien ce qui se passe aujourd’hui […] On a complément décrédibiliser la parole publique en ce qui concerne les politiques de santé publique, spécifiquement en ce moment dans la lutte contre le covid-19 […] Toutes les polémiques autour de tel ou tel professeur qui a trouvé un remède qui serait miracle […] Tout ça ruine la confiance de la population ».

Parmi les autres préconisations de la mission d’information, les sénateurs souhaitaient la mise en place d’un répertoire officiel en ligne gratuit de tous les médicaments disponibles en France, des notices explicatives et les conditionnements des médicaments plus développés. Et pour sensibiliser l’opinion publique, la mission demandait de déclarer la sécurité sanitaire et la lutte contre les accidents médicamenteux graves, grande cause nationale en 2012.

Relaxe pour l’ancienne sénatrice Marie-Thérèse Hermange

Enfin, le tribunal a prononcé la relaxe dans le volet « trafic d’influence » de l’affaire. En septembre, le parquet a requis trois ans de prison avec sursis contre l’ex-sénatrice Marie-Thérèse Hermange, à l’époque rapporteure UMP de la mission d’information du Sénat. Elle était soupçonnée d’avoir rédigé un rapport favorable aux laboratoires Servier. (voir notre article). Marie-Thérèse Hermange n’avait jamais démenti avoir fait venir au Sénat Claude Griscelli (l’ancien directeur de l’Inserm, proche de Jean-Philippe Seta, numéro 2 du laboratoire Servier) pour une relecture mais s’est toujours défendue d’avoir corrigé son rapport sous la pression de Servier. « On peut demander un avis à quelqu’un et je n’ai pas écrit un rapport sous la dictée. C’est absurde de pouvoir laisser penser cela. Il s’agit simplement d’une consultation. Je n’ai pas fait relire un rapport, j’ai simplement discuté de 3 ou 4 pages du rapport avec l’ancien directeur de l’INSERM […] Entre consulter un rapport et relire 3 ou 4 pages, vous avouerez qu’il y a un monde », avait-elle expliqué à Public Sénat.

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