Mercosur : les producteurs agricoles alertent les sénateurs

Mercosur : les producteurs agricoles alertent les sénateurs

Les représentants des filières agricoles concernées par le traité UE/Mercosur ont exprimé devant les sénateurs leurs craintes vis-à-vis de l’accord de libre-échange qui prévoit notamment la levée des droits de douane sur l’éthanol, la viande bovine et la volaille. Ils remettent en cause la philosophie même des accords de libre-échange.
Public Sénat

Par Ariel Guez

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Alors que le texte sur la ratification du CETA est discuté cet après-midi à l'Assemblée nationale, un autre accord de libre-échange est sous le feu des projecteurs depuis quelques jours : le traité entre l’Union européenne et le Mercosur. Concrètement, les droits de douane devraient être levés entre les deux zones économiques. L'UE pourrait en profiter sur les voitures et les filières des produits chimiques et pharmaceutiques, tandis que les pays du Mercosur pourront exporter chaque année vers l'UE 99 000 tonnes de bœuf, 180 000 tonnes de sucre, ou encore 100 000 tonnes de volaille (lire notre article).

Le groupe de travail « Agriculture et alimentation » de la commission des affaires économiques, conjointement avec le groupe de suivi des négociations commerciales, a procédé à une audition sur le sujet, s'intéressant plus particulièrement aux enjeux dans le domaine agricole. Le palais du Luxembourg a donc accueilli des représentants des filières concernées, qui ont répondu aux questions de Sophie Primas, Laurent Duplomb et des autres sénateurs présents dans la salle Médicis.

Des normes différentes et des contrôles inexistants

Principale raison de la colère des producteurs : la potentielle concurrence déloyale en faveur des pays membres du Mercosur. En effet, les producteurs brésiliens n'ont pas les mêmes normes que les producteurs français. Une situation réintroduite dans les débats par plusieurs élus comme Françoise Férat et grandement dénoncée par Bruno Dufayet, président de la Fédération nationale bovine (FNB). « Non, on ne peut pas protéger nos normes européennes au travers des accords de libre-échange. C'est strictement interdit par les règles de l'OMC. On ne contrôle pas ce qui n'est pas interdit », explique-t-il, affirmant quelques minutes plus tard que « c'est notre alimentation qu'on est en train de monnayer ».

Jean-Michel Schaeffer : « Sur les normes, c'est un jeu de dupes »
02:58

Jean-Michel Schaeffer, président de l'Association nationale interprofessionnelle de la volaille de chair (Anvol), est sur la même longueur d’onde : « Sur les normes, c'est un jeu de dupes. On sait qu'il y a des documents officiels qui ont été falsifiés, on sait qu'il y a des pots-de-vin ». « On négocie avec des pays où les protocoles de contre-pouvoir et de transparence ne sont pas les mêmes que dans nos pays développés. Avec le Japon je ne vous dirais pas ça, mais avec des pays tels que le Brésil, ça ne se passe pas de la même manière », regrette-t-il. Éric Lelong, président de l'Interprofession des produits de la ruche, abonde : « On va autoriser des produits qui ne sont pas contrôlés ou qui le sont dans des conditions qui n'ont rien à voir ».

Les représentants demandent plus de contrôle et de coordination au niveau européen ainsi que des étiquetages sur les produits transformés et sur ceux vendus en dehors des grandes surfaces, afin d'indiquer la provenance des produits dans les cantines scolaires et les restaurants d'entreprise, par exemple.

Un ras-le-bol des accords de libre-échange ?

Dans les débats, l'exaspération autour de la philosophie même des traités de libre-échange s'est fait sentir. Celui avec le Mercosur n'a pas été approuvé par les auditionnés, et le flou qui l'accompagne a été souligné par Jérôme Bignon. « On n'a pas encore le détail complet de cet accord. […] En ce qui concerne l'éthanol, les deux tiers du contingent doivent être réservés à de nouveaux débouchés dans l'industrie chimique. Or, les listes de produits éligibles pour ces débouchés n'ont pas été définies », a regretté le président du syndicat national des producteurs d'alcool agricole. Il affirme que tactiquement, il faut retarder au maximum la mise en œuvre de cet accord. « On parle de 2020. On espère que vous inciterez vos collègues au Parlement européen à mener une guérilla de façon que cet accord puisse être mis en œuvre le plus tard possible », a-t-il lancé.

« La viande bovine sert de monnaie d'échange »

Bruno Dufayet a rappelé que l'abaissement programmé des droits de douane pour la viande bovine dans le traité de libre-échange avec le Mercosur s'ajoutait à un cumul d'accords où « la viande bovine sert à chaque fois de monnaie d'échange ». Il ajoute qu’actuellement, une renégociation d'un accord avec le Mexique était faite et que la viande bovine allait être intégrée.

Pour Jean-Michel Schaeffer, c'est un véritable problème de cohérence qui est posé avec la multiplication des traités de libre-échange. « Chaque accord est pris l'un indépendamment des autres. À un moment ou un autre, il faut qu'on ait une approche globale sur ces sujets-là, parce que tous les six mois il y a une filière qui est touchée. À un moment, il faut dire stop ». André Bonnard, secrétaire général de la Fédération nationale des producteurs de lait, a d'ailleurs évoqué lors de sa prise de parole le prochain traité de libre-échange avec l'Océanie.

Bruno Dufayet : « La viande bovine sert de monnaie d'échange »
05:57

Jean Bizet a réagi à ces interventions, regrettant qu’on propose aux jeunes agriculteurs seulement une posture protectionniste. Le sénateur de la Manche souligne que depuis plusieurs années, la société française a été amenée à choisir le climat plutôt que l’économie, alors que selon lui, « les deux sont tout à fait complémentaires ».

Guillaume Roué lui a répondu, affirmant que comme le président de la commission des affaires européennes au Sénat, il était plutôt favorable au commerce international. « Mais je me rends compte que nous sommes dans une situation où cela ne peut plus se faire dans des accords de libre-échange », prévient-il. Le président d'Inaporc recommande de « revenir aux fondamentaux en incluant dans des négociations mondiales les accords sur l'application des mesures sanitaires et phytosanitaires ».

« L’autosuffisance française est menacée »

Si lui aussi approuve aussi Jean Bizet, Éric Lelong affirme que tant qu’il n’y aura pas de vrais contrôles de l’autre côté de l’Atlantique, les normes ne tendront pas vers les critères européens. Jean-Michel Schaeffer abonde : « Les farines animales sont autorisées là-bas. Comment va-t-on contrôler ? La problématique est là même avec les antibiotiques pour les bêtes ! »

Les accords de libre-échange favorisent l’exportation, mais aussi l’importation. Matthieu Caldumbide, directeur adjoint de l'Association générale des producteurs de maïs, expliquait que, dans son secteur, l’Union européenne était le premier importateur mondial. Jean-Philippe Garnot, président de l'Association interprofessionnelle de la betterave et du sucre, n’a pas mâché ses mots pour alerter sur cette situation plus que préoccupante selon lui. « Après la guerre, vous avez demandé, à nous producteurs, d’avoir l’autosuffisance française. Elle est aujourd'hui menacée. Votre responsabilité en tant que politique est de dire stop ».

L’environnement présent dans les débats

L’accord de libre-échange est également contesté d’un point de vue environnemental. Une critique qui a été rappelée lors des échanges par le sénateur du Morbihan Joël Labbé. Éric Lelong a réagi en alertant sur la mise en place de l’accord avec la Mercosur. « Ça risque d’être une régression sur la partie environnementale puisqu’on ne peut pas demander aux agriculteurs de produire avec des produits qui ne sont disponibles qu’ailleurs. Ça n’a pas de sens », a-t-il dénoncé. Bruno Dufayet abonde : « Il est temps de mettre en place un modèle agricole français, qui est un vrai enjeu sur la question de la durabilité ».

Laurent Duplomb, sénateur LR de la Haute-Loire et président du groupe d’études « Agriculture et alimentation », a conclu les échanges, affirmant qu’au regard des interventions, il fallait « retrouver une capacité de compétitivité », en jouant sur le coût du travail et les charges imposées. Le sénateur a également appelé à mettre en place une vraie réciprocité et une capacité de contrôle pour les importations. « Il en va de la sécurité alimentaire des Français », a-t-il lancé.

Joël Labbé sur les accords de libre-échange et la dimension écologique
02:51

 

 

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