Mesures sanitaires : « L’Etat s’est fourvoyé dans la gestion du quotidien », critique le maire de Dunkerque

Mesures sanitaires : « L’Etat s’est fourvoyé dans la gestion du quotidien », critique le maire de Dunkerque

Auditionné par la mission d’information sénatoriale sur les effets du confinement, le maire de Dunkerque Patrice Vergriete a considéré que les élus locaux avaient été « complètement mis en marge » dans plusieurs aspects de la gestion de crise. De nouvelles voix se sont aussi dressées contre le manque d’ambition du nouveau projet de loi de décentralisation et différenciation, lors de cette table ronde.
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La pandémie de covid-19 aura-t-elle des conséquences sur l’organisation territoriale de la France ? La mission d’information du Sénat sur les conséquences des mesures sanitaires continue de réfléchir aux conséquences institutionnelles de la crise, à un mois des débats sur le projet de loi 4D (décentralisation, déconcentration, différenciation, décomplexification). Une nouvelle table ronde était organisée ce 27 mai au Sénat.

La dimension sanitaire de l’épidémie pose la question de l’intervention des collectivités locales dans le domaine de la santé. Pour Alain Lambert, président du Conseil national d’évaluation des normes, celle-ci est « tout à fait salutaire ». Mais l’ancien ministre préconise de ne pas attribuer cette compétence à un échelon territorial en particulier. Celle-ci devrait être « ouverte à tous les types de coopération », plaide-t-il. Le cadre constitutionnel lui semble suffisant, depuis la réforme de 2003. Celle-ci avait précisé à l’article 72 de la Constitution : « Les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon. » Le président du Conseil national d’évaluation des normes prévient qu’il s’agit davantage d’un problème de « comportement ». « A droit constitutionnel constant, nous pouvons faire beaucoup mieux que ce que nous faisons aujourd’hui. »

« Mais qu’est-ce que l’Etat vient foutre dans l’organisation des marchés ? »

Aux commandes pendant la crise sanitaire, Patrice Vergriete, le maire de Dunkerque a livré son témoignage, illustrant selon lui la nécessité d’agir au plus près du terrain. « On ne peut plus diriger un pays sans donner le sens des mesures qu’on met en œuvre. Depuis Paris, donner du sens c’est compliqué », estime l’édile. Avec son franc-parler, cet ancien conseiller de Claude Bartolone au ministère de la Ville sous le gouvernement de Lionel Jospin, a expliqué que l’Etat s’était « fourvoyé » en intervenant dans la « gestion du quotidien ». « Il fallait la renvoyer aux acteurs locaux, en les laissant assumer ces responsabilités, quitte à mettre des garde-fous. » L’épineux dossier du protocole sanitaire pour les marchés de plein air au printemps 2020 lui reste en travers de la gorge. « Mais qu’est-ce que l’Etat vient foutre dans l’organisation des marchés ? », s’est-il exclamé. Les consignes sur la fréquentation des plages l’ont aussi particulièrement marqué. « Quelle est l’andouille qui a inventé la plage dynamique […] Pendant une semaine, je n’ai pas pu gérer ma plage. Le préfet a dû faire marche arrière. »

La prévention des gestes barrières aurait également dû être de la responsabilité des collectivités, poursuit le maire. Il aurait aimé être davantage entendu pour la détection des « signaux faibles ». « C’est moi-même, à travers une vidéo qui a alerté la population sur la présence des variants anglais […] C’est anormal je n’ai même pas accès aux statistiques. »

Pour Jean-Marie Pontier, professeur émérite de Droit public à l’université d’Aix-Marseille, il ne fait pas de doute que les élus locaux sont sortis « confortés » de cette pandémie. De là à leur donner plus de pouvoirs ? Tout dépend comment. L’universitaire a rappelé qu’il existait déjà certains outils dans le domaine de la santé, au profit des collectivités. C’est notamment le cas des projets régionaux de santé, conclus entre les régions et les agences régionales de santé (ARS). Mais il s’agit, selon lui, d’ « instruments ambigus », au « contenu très vague ». Sur la base de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et du Conseil d’Etat, Jean-Marie Pontier se dit toutefois « extrêmement sceptique » sur la proposition formulée au Sénat en 2020, de confier la présidence d’une ARS à un président de conseil régional. Deux choses sont cependant possibles d’améliorer la situation. Il préconise une information des élus locaux par les autorités de l’Etat pour toute décision prise dans le domaine de la santé, ainsi qu’une concertation quand une décision doit être prise. « Le couple préfet-maire a souvent assez bien fonctionné », a-t-il relevé.

« L’égalité, ce n’est pas traiter tout le monde de la même façon »

Deux concepts s’affrontent, entre le principe d’égalité et la volonté d’adapter au niveau local certaines politiques. Alain Lambert estime que le projet de loi 4D devrait au moins contenir « une explicitation de ce qu’est le principe d’égalité ». « Il faudrait aller suffisamment loin, pour que le Conseil constitutionnel place les vraies bornes en la matière. »

Le maire de Dunkerque Patrice Vergriete regrette le « flou perpétuel » en matière de restrictions sanitaires. « Ce qui manque fondamentalement entre l’Etat et les collectivités, c’est une reconnaissance d’un cadre cohérent et assumé sur ce qui relève de l’égalité républicaine, et ce qui relève de la différenciation. » La mission d’information sénatoriale y va de son commentaire. « Pour moi, je pense que l’égalité comprend la différenciation. L’égalité, ce n’est pas traiter tout le monde de la même façon mais fixer un but commun, et dès lors les moyens pour y parvenir ne sont pas les mêmes », fait remarquer la sénatrice LR Muriel Jourda.

Si les déceptions du Sénat vis-à-vis du projet de loi 4D ne sont plus un secret, leurs interlocuteurs du jour n’étaient pas loin d’en penser tout autant. « Le projet de loi 4D, tel qui existe actuellement, je dirais qu’il n’apporte rien. C’est au Parlement de prendre les mesures qu’il convient pour rétablir cet équilibre entre l’Etat et les collectivités », analyse Jean-Marie Pontier. Le professeur de droit considère que 4D « n’apporte pas du tout de remèdes aux difficultés qui existent actuellement. »

« Le texte en réalité change peu les équilibres qui sont ceux d’aujourd’hui. On a le sentiment que c’est très cosmétique », appuie le sénateur LR Roger Karoutchi, l’un des deux rapporteurs de la mission d’information. « La différenciation manque d’audace » dans le texte, observe encore Martial Foucault, le directeur du Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF). Le politologue a d’ailleurs livré les résultats d’une enquête, menée en avril, sur la gestion de la crise sanitaire. Ceux-ci font apparaître un décalage entre la perception de la population et celle des élus locaux, qui mettent en avant les actions importantes conduites dans l’approvisionnement en matériel médical et dans l’organisation logistique de la campagne vaccinale. A la question « à qui attribuez-vous la responsabilité de l’amélioration » de la situation sanitaire, les élus locaux ne sont cités que par 4 % des personnes interrogées, loin derrière les citoyens, les scientifiques, le gouvernement (22 %) puis le président de la République (10 %). « Tout cela donne le sentiment que les élus locaux ont été, soit tenus en marge de la gestion de la crise – et c’est ressenti par beaucoup d’élus locaux – soit que les compétences dont disposent les élus locaux pour faire face à cette crise, n’existent », résume le politologue.

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