Michel Charasse, le mitterrandisme sénatorial

Michel Charasse, le mitterrandisme sénatorial

On connaît l’homme d’État, ministre du Budget (1988-1992), proche conseiller de François Mitterrand, et membre du Conseil constitutionnel, qui a marqué la Ve République de son empreinte. Mais Michel Charasse, c’était aussi un élu local et un homme de terrain : une incarnation du socialisme sénatorial.
Louis Mollier-Sabet

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Michel Charasse est décédé le 21 février dernier et a alors reçu des hommages unanimes de la classe politique. Le genre d’hommages qui témoigne plus du respect porté à ceux qui n’hésitent pas à sortir des sentiers battus, quitte à diviser leur camp, que d’une admiration sans faille du personnage. « Il n’est pas toujours d’une élégance folle » nous confiait Jean-Luc Mélenchon en 2008, pas forcément sur la même ligne politique, mais qui reconnaît par ailleurs volontiers la valeur politique de Michel Charasse : « On fait un parti de gauche avec des fortes têtes, pas avec des béni-oui-oui ». « J’aime mieux être homme à paradoxes qu’homme à préjugés », disait Jean-Jacques Rousseau. « Chiche », semble lui répondre Michel Charasse quand on retrace sa vie politique.

Le « Coluche de Bercy »

Fidèle « éternel » de François Mitterrand, il a certes construit une relation « amicale » avec le Président mais qui reposait avant tout sur un rôle de conseiller technique. Les deux hommes se voyaient pratiquement tous les week-ends pour travailler : « Le Président venait me voir quand il avait besoin de travailler, on travaillait tout le temps », se remémorait-il devant notre caméra en 2008.

Juriste de formation, il est le « monsieur Constitution » de François Mitterrand et affirmait même n’avoir « pendant quatorze ans, fait faire aucune erreur constitutionnelle au Président ». Quoi qu’il en soit, son action juridique est consacrée par sa nomination au Conseil constitutionnel en 2010, date à laquelle il quitte son siège de sénateur du Puy-de-Dôme, qu’il a occupé plus de 24 ans.

Loin de l'image d’un technocrate « hors-sol »

François Mitterrand le nomme ensuite au gouvernement au début de son deuxième mandat, où il sera ministre délégué puis ministre du Budget jusqu’en 1992. Son passage à Bercy a été marqué par son soutien à l’amendement dit « Coluche » en 1988, qui assure un meilleur financement des « Restos du cœur ».

Michel Charasse a donc fréquenté les hautes sphères juridiques et arpenté les arcanes du pouvoir économique pendant la majorité de la Ve République. Il ne garde pourtant absolument pas l’image d’un technocrate « hors-sol », pour utiliser une expression quelque peu anachronique concernant un homme de la Mitterrandie.

Ce positionnement paradoxal, c’est peut-être Jean-Luc Mélenchon, le pendant jacobin et plus marqué à gauche de l’électron-libre Charasse au Parti socialiste, qui nous le confiait en 2008 : « Bien sûr c’est un homme inclassable. C’est à lui tout seul un phénomène, une culture, une synthèse : c’est très précieux dans une organisation des hommes pareils. Si tout le monde doit être sur le même calibre, mi-chair, mi-poisson du technocrate socialiste moyen, la vie serait triste. »

Le style Charasse : la Mitterrandie au Sénat

PORTRAIT DE SENATEUR,Michel Charasse
14:15

Michel Charasse n’est effectivement pas le « technocrate socialiste moyen » : il cultive l’image d’un homme de terrain, fort de ses 25 ans de mandat de sénateur du Puy-de-Dôme, de ses vingt-et-un ans au Conseil général et de ses 32 ans passés à la mairie du Puy-Guillaume. Charasse se voit serviteur de la Constitution, de l’Élysée à la mairie, et le fil rouge, c’est le Sénat.

Quand on le suit au Sénat, on se rend vite compte que l’image qu’il renvoie est plus celle d’un maire d’une commune de 2000 habitants que d’un ministre de Bercy. Dans les travées du palais du Luxembourg, Michel Charasse s’autorise l’occasionnel cigare.

Une passion qui n’avait de secrets pour personne, et pour cause : « Et alors, vous fumez le cigare ? » lui demandait en 2008, amusée, notre journaliste. « En cachette », répond Michel Charasse avant un clin d’œil malicieux. Le sénateur joue autant avec la caméra qu’avec les contrôles fiscaux et il en profite : « L’odeur, ça peut être les pieds, un vieux cartable dégueulasse qui pue le vieux cuir, ça peut être un tas de choses, hein ! »

Socialisme et « refus du sectarisme »

Au Sénat, Michel Charasse est donc à l’évidence à l’aise dans le lieu, mais aussi avec l’esprit de représentation des territoires, parfois au-delà des clivages partisans. Quand il accueille Nicolas Sarkozy dans sa mairie pendant la campagne de 2007, il est maire de Puy-Guillaume avant d’être membre du Parti socialiste.

Proche de Brice Hortefeux, il plaidait pour un refus de tout « sectarisme », « l’ennemi de toute démocratie qui fonctionne normalement ». Cela le poussera d’ailleurs jusqu’à l’exclusion du Parti socialiste en 2008, quand il ne soutient pas la liste officielle du PS aux départementales.

Peut-être que Michel Charasse était mitterrandien avant d’être socialiste : « Je suis resté fidèle à l’idéal socialiste qui est le mien, et surtout à celui qui l’a le mieux porté, c’est-à-dire François Mitterrand. »

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