Le projet de loi nucléaire est nécessaire, mais ne satisfait pas toutes les demandes, selon les grands acteurs du secteur

Le projet de loi nucléaire est nécessaire, mais ne satisfait pas toutes les demandes, selon les grands acteurs du secteur

Premier texte de 2023 au Sénat, le texte visant à assouplir les procédures d’installation pour les nouveaux EPR a été salué par des grands dirigeants de la filière au Sénat. Mais EDF ou encore Orano (ex-Areva) relèvent beaucoup d’angles morts, pas de nature à favoriser les nouvelles générations de réacteurs.
Guillaume Jacquot

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À l’heure où une part importante du parc nucléaire français rencontre des problèmes d’indisponibilité, et où la France doit accélérer sa trajectoire vers la neutralité carbone en 2050, ce projet de loi comptera beaucoup d’alliés au Sénat. Le projet de loi en question, relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires, sera le premier temps fort de la chambre haute en janvier 2023. Le texte vise essentiellement à faciliter certaines procédures administratives en vue du déploiement de six EPR, annoncées par Emmanuel Macron en février 2022. C’est le pendant du texte sur l’accélération des énergies renouvelables, actuellement en première lecture au Parlement.

En amont de l’examen du texte, la commission des affaires économiques du Sénat a réuni, dans une configuration inédite, plusieurs acteurs clés en lien avec le nucléaire autour d’une même table (EDF, Orano, RTE, Autorité de sûreté ou encore Commissariat à l’Énergie Atomique et aux Énergies Alternatives). Un consensus a émergé chez les personnes auditionnées au sujet des objectifs du texte, de simplifications de règle d’urbanisme ou de procédures. « On a déjà quelques planètes alignées plutôt qu’une table », a commenté le rapporteur, le sénateur Daniel Gremillet (LR).

Thomas Veyrenc, directeur exécutif du pôle stratégie, prospective et évaluation de RTE, le gestionnaire du réseau, estime que le projet de loi est « utile, ne serait-ce que pour tenir le timing. Dans les scénarios ou les annonces du gouvernement, pour que de nouveaux réacteurs soient en service en 2035-2037, j’ai l’impression qu’il faut absolument ce projet de loi. » Ce spécialiste de l’économie du système électrique tempère toutefois les espérances des parlementaires. « Le projet de loi va permettre d’accélérer un certain nombre de choses, mais je ne pense pas qu’il va nous conduire à revenir au rythme de construction des années 1970. » Le nouveau PDG d’EDF, Luc Rémont, considère quant à lui que le gain de temps pourrait être « significatif ».

Déception sur les assouplissements limités aux réacteurs implantés en marge des sites existants

Le volet simplification du texte ne s’adresse toutefois qu’à la construction de nouvelles installations nucléaires « à proximité de sites nucléaires existants ». Si le patron d’EDF salue les ambitions « indispensables » du projet de loi, il regrette toutefois que les dispositions se limitent aux projets proches ou en périphérie des sites actuels. Ce sera notamment le cas du projet de la première paire d’EPR2 à la centrale de Penly, près de Dieppe (Manche). Le PDG aimerait élargir le champ des possibles, pas forcément dans ce texte en particulier. « Il serait utile que nous puissions examiner la faculté d’élire ou de désigner des sites qui ne sont pas à proximité de sites existants. » Le dirigeant évoque notamment le cas des réacteurs SMR (small modular reactors), qui devraient apparaître dans les années 2030. Ces petits réacteurs pourraient avoir l’avantage, selon lui, d’être implantés à proximité de leurs principaux clients, sur des sites industriels par exemple.

Le président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), Bernard Doroszczuk, a lui aussi encouragé à étendre le projet de loi à d’autres types de réacteurs, sur d’autres sites nucléaires. Le gendarme de l’atome relève au passage que le volet dont il a la charge, n’est « absolument pas impacté par le projet de loi ». Le texte vise à faciliter les procédures dans la phase préliminaire à la construction, à savoir la mise en état d’un site pour accueillir le projet, avant la phase des travaux nucléaires proprement dits.

Même avis pour François Jacq, administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies renouvelables. Le numéro 1 du CEA considère que mobiliser tous les leviers pour raccourcir les processus est un élément « majeur ». Mais le texte ne va pas assez loin, à ses yeux. « À un moment, dans les paradigmes énergétiques de demain, si ces réacteurs-là on n’est pas capable de les installer ailleurs que sur des endroits où il y a déjà des installations nucléaires, ça ne va pas avoir beaucoup de sens. On a un sujet. »

Président d’Orano Projets, la branche d’ingénierie du groupe nucléaire, Guillaume Dureau appelle quant à lui à définir une stratégie d’ensemble, qui couvre également l’amont (l’approvisionnement en combustible) et l’aval (la gestion des déchets) de la production d’énergie nucléaire. Comme les précédents intervenants, il a mis en lumière le côté restrictif du projet de loi, dans une filière où le temps long a son importance. « Il serait pertinent que les dispositions relatives à l’accélération des procédures liées à la construction appréhendent l’ensemble des nouveaux réacteurs », a-t-il insisté.

L’anticipation, un mot-clé de l’audition

Le projet de loi ne se contente pas de préparer le cadre juridique des futurs réacteurs, il vise également à prolonger le parc existant. Le texte doit notamment simplifier la procédure de réexamen périodique des réacteurs de plus de 35 ans. À ce sujet, le président de l’ASN Bernard Doroszczuk a une fois mis les pieds dans le plat, en rappelant l’importance de l’anticipation. Il a rappelé que les trois quarts du parc nucléaire dataient des années 1980, ce qui provoquera un « effet falaise » sur leur fin de vie. Dit autrement, en 2050, année butoir pour la neutralité carbone, beaucoup de réacteurs auront 70 ans. « C’est plus que la durée de vie pour laquelle nous nous sommes prononcés pour les réacteurs actuels. Autrement dit, dans le cadre d’un autre projet de loi, « il faut absolument s’interroger sur les mesures d’accompagnement, qui permettent de donner de la visibilité et d’anticiper l’échéance de 2050 pour les réacteurs en service. »

Le gendarme du nucléaire réitère donc son appel, déjà lancé précédemment, pour définir rapidement les besoins. « Je ne souhaite pas, en tant que président de l’Autorité de sûreté nucléaire, que la poursuite d’exploitation des réacteurs nucléaires en France soit la variable d’ajustement d’une politique énergétique qui aurait été mal calibrée », a-t-il expliqué.

Les mêmes questions se posent pour les recyclages des combustibles issus des centrales. Guillaume Dureau d’Orano Projets souligne que l’usine Orano Melox de Marcoule (Gard) et celle, plus connue, de La Hague (Manche) ont démarré dans les années 1990 et que la question de leur renouvellement « va devoir être décidée au cours des prochaines années ». « Ces décisions doivent être prises dans le courant du quinquennat, et de préférence avant 2025 », a-t-il mis en garde.

Interrogation sur le financement

Ce projet de loi ne sera pas le seul élément duquel dépendra la rapidité de renouvellement du parc nucléaire. La future programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), à examiner dans quelques mois, devra y répondre, au grand dam du rapporteur Daniel Gremillet qui considère que le Parlement va « légiférer dans le désordre ». Et tout ne relèvera pas nécessairement de textes législatifs. « Nous avons à travailler sur la filière », a admis le PDG d’EDF. Bernard Doroszczuk, le président de l’ASN, a épinglé le « déficit total dans tous les métiers, par rapport aux prévisions qui sont faites sur ce qui est nécessaire ». Quant aux souplesses administratives, certaines relèvent des textes réglementaires. « Nous allons travailler avec les administrations de l’État pour que l’ensemble des processus soient simplifiés au maximum », s’est engagé le patron d’EDF. La présidente de la commission, la sénatrice Sophie Primas (LR), lui a rappelé que le législateur pourrait se tenir prêt à aller dans son sens. « Tout ce qui est réglementaire peut aussi passer en législatif, pour aller plus vite et être sécurisé. »

Reste une question également à plusieurs dizaines de milliards d’euros : comment sera financée la relance du nucléaire ? « Il nous reste du travail, voilà ce que je peux à ce stade », résume pudiquement le patron d’EDF. En pleine tempête sur le marché de l’énergie européen, la revue des règles de marché prend manifestement du temps en Europe.

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