Paiements retardés, contrats rompus : les saisines du médiateur des entreprises ont été décuplées

Paiements retardés, contrats rompus : les saisines du médiateur des entreprises ont été décuplées

Auditionné au Sénat, le médiateur des entreprises a dressé un tableau des conflits qui opposent en ce moment les entreprises entre elles, ou avec les pouvoirs publics, depuis la récession du mois de mars. « Si chacun joue le chacun pour soi, on va tous aller dans le mur », a-t-il mis en garde.
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Un dixième anniversaire en pleine tempête. Créé au lendemain de la crise financière pour faciliter, dans un premier temps, la résolution des conflits dans l’industrie et la sous-traitance, le médiateur des entreprises n’imaginait probablement pas affronter une crise économique de cette nature. Ce service, placé sous l’autorité du ministère de l’Économie et des Finances, intervient à la demande des chefs d’entreprise pour tenter de régler des litiges commerciaux avec leurs clients ou leurs fournisseurs. Qu’ils soient publics ou privés. Avec le confinement et l’effondrement de l’activité dans des secteurs entiers de l’industrie et des services, les trésoreries se vident, les différends se multiplient entre les acteurs, les relations commerciales se tendent.

Auditionné par la délégation sénatoriale aux entreprises, le médiateur des entreprises, Pierre Pelouzet, a chiffré l’ampleur du phénomène, en montrant combien ses services étaient bien plus sollicités en cette période. D’ordinaire, la petite centaine de médiateurs présents à Bercy et dans les Direccte (Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi) traite en moyenne une soixantaine de dossiers par semaine. « Nous sommes passés à 600 ou 650 », a détaillé le haut fonctionnaire. Une multiplication par dix en quelques semaines.

60 % des saisines concernent des incidents et des retards de paiements

L’essentiel des problèmes concerne des incidents de paiement, qui sont « montés en flèche », selon les observations du comité de crise du médiateur et de la Banque de France. Les problèmes de factures non honorées dans les temps représentent 60 % des demandes de conciliation. Fin mars, selon les données consolidées, les incidents de paiement ont été multipliés par trois par rapport à une période normale.

Autre cas de figure : les ruptures « brutales » de contrats, les difficultés d’application d’engagements, les « fins de chantier qui se passent mal » ou encore les pénalités de retard. La quasi-totalité des saisines proviennent de très petites entreprises, de PME ou encore d’artisans. Selon Pierre Pelouzet, le médiateur est amené la plupart du temps à étudier des dossiers où se jouent des « rapports de force déséquilibrés ». Pas un seul secteur n’est épargné, mais le commerce, le BTP et l’hôtellerie-restauration ont tendance à être surreprésentés dans les demandes.

Les médiateurs ont souligné que certaines entreprises avaient eu un comportement « extrêmement solidaire » vis-à-vis de leurs partenaires. À l’inverse, « d’autres, sans attendre d’avoir un problème, ont commencé à bloquer les paiements », a souligné Pierre Pelouzet. Le ministère de l’Économie et des Finances a d’ailleurs conditionné l’octroi de prêts garantis par l’État au paiement des fournisseurs.

Quelques lueurs d’espoir dans la résolution des conflits

Le tableau est noir à première vue, dans un contexte où les difficultés des uns s’entrechoquent avec les impératifs et les nécessités des autres. Néanmoins, le médiateur des entreprises, qui n’est ni un juge, ni un arbitre, constate que, dans la plupart des cas, ses interventions « ont des retours très positifs », permettant de changer l’attitude de certaines entreprises. Le taux d’échec des médiations n’est que de 25 %. Pierre Pelouzet a également insisté sur la rapidité d’exécution des médiateurs, précisant que le délai moyen de traitement des dossiers tournait autour de deux ou trois mois maximum. « Les délais sont plutôt courts en ce moment », a-t-il considéré.

Un autre signe d’amélioration est venu des marchés publics, qui concentrent une part importante de l’investissement en France. La présidente de la délégation sénatoriale, Élisabeth Lamure (LR), se demandait ce qu’il en était pour l’État mauvais payeur, ce qui semble « assez régulier », selon elle. Pierre Pelouzet a répondu qu’il y avait eu une « très forte accélération des paiements de l’État ». En revanche, des difficultés se posent encore pour « certaines collectivités territoriales ». Selon le médiateur, il ne s’agit pas de « mauvaise volonté » mais d’une désorganisation des services. « Beaucoup de petites communes sont en télétravail et l’organisation n’est pas forcément optimale. Tout cela rentre dans l’ordre », a-t-il témoigné.

« On est passé du choc à la préparation de la sortie »

Grâce aux aides publiques sur le front du chômage partiel, des prêts ou encore des reports de charges, Pierre Pelouzet a assuré que le climat s’était amélioré par rapport aux premiers jours du confinement. « On est passé du choc à la préparation de la sortie, c’est plutôt une bonne nouvelle. »

Et face à des maillons interdépendants et au danger de la réaction en chaîne, le Médiateur a rappelé la nécessité de dialoguer et d’être conscient de la situation de fragilité des fournisseurs ou des clients. « Si chacun joue le chacun pour soi, je pense qu’on va tous aller dans le mur », a-t-il prévenu.

Prenant l’exemple de l’événementiel, évoqué par le sénateur Michel Canevet (Union centriste), le médiateur a également insisté sur l’importance de faire preuve de « bon sens ». « Beaucoup de contrats ont été interrompus sans dédommagement, sans même imaginer qu’on pouvait au moins payer une partie des prestations aujourd’hui, même si la prestation est décalée à septembre ou octobre […] Si vous ne payez même pas une petite partie, l’organisateur de votre séminaire, le jour où vous en aurez besoin, il ne sera plus là ! »

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