Passe sanitaire : gouvernement et Sénat loin d’une entente, à l’ouverture des débats

Passe sanitaire : gouvernement et Sénat loin d’une entente, à l’ouverture des débats

Les sénateurs ont commencé l’examen du projet de loi qui prolonge jusqu’au 31 juillet la possibilité de recourir au passe sanitaire. Le Sénat veut fixer cette date au 28 février et imposer le passe uniquement dans les départements les moins vaccinés.
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Après les députés, au tour des sénateurs d’examiner le projet de loi de vigilance sanitaire. Onzième texte sanitaire depuis le début de l’épidémie de Covid-19, il prévoit de prolonger la possibilité de recourir au passe sanitaire jusqu’au 31 juillet. Le sujet est sensible. La loi votée cet été fixait sa limite au 15 novembre.

Au moment où « quasiment tous les pays européens sont confrontés à la hausse des cas », sans qu’on puisse encore parler de cinquième vague, du moins en France, le projet de loi permet au gouvernement de « continuer à disposer d’outils » pour lutter contre le virus, comme l’a expliqué Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre de la Santé, chargée de l’Autonomie. Le texte prolonge aussi jusqu’au 31 juillet le régime juridique qui permet, si besoin, de décréter l’étage d’urgence sanitaire, synonyme de couvre-feu ou même de confinement. Le gouvernement pourrait le décider par décret, mais uniquement pour un mois. Un vote du Parlement serait nécessaire pour le prolonger.

Le Sénat veut une clause de revoyure au 28 février

Les sénateurs ne l’entendent pas ainsi. Attachée, depuis le début de l’épidémie, au contrôle du Parlement, la Haute assemblée a largement modifié le texte en commission. Sous la houlette du rapporteur, le sénateur LR Philippe Bas, les sénateurs fixent au 28 février la prorogation du passe. Si l’exécutif souhaite à nouveau le prolonger, il devra à nouveau demander un vote du Parlement, avant le 28 février. Une forme de clause de revoyure, plus concrète que le simple rapport, prévu à la mi-février, éventuellement suivi d’un débat, que propose le gouvernement.

Autre modification de taille : le passe sanitaire ne serait plus appliqué que dans les départements où moins de 75 % de la population est vaccinée. « L’idée, c’est tout simplement de dire que, quand dans un département nos concitoyens sont très largement vaccinés, plus besoin du passe. Et quand au contraire, ils ne sont plus assez vaccinés alors oui, le passe peut éventuellement être reconduit si le gouvernement le décide. Il le ferait uniquement dans ces départements, si les contaminations sont très actives », explique Philippe Bas. Il ajoute :

Dans 70 % des départements, il n’y aura plus de passe sanitaire, si on suit la position de la commission des lois.

En commission, les sénateurs ont aussi supprimé la possibilité pour les directeurs d’école et les chefs d’établissement du secondaire de connaître le statut vaccinal des élèves, sujet polémique. « Imaginez qu’on fasse la même chose vis-à-vis de l’employeur en communiquant le statut vaccinal ou viral de ses salariés ? C’est la même chose », lance Philippe Bas.

« Vous l’avez compris, nous avons des désaccords »

A écouter Brigitte Bourguignon, l’exécutif et le Sénat ont très peu de chance de s’entendre, pour ne pas dire aucune, en vue de la probable commission mixte paritaire. « Le gouvernement est déterminé à maintenir comme horizon le mois de juillet 2022. Il nous faudra vivre avec le virus au moins jusqu’à l’été, et la période hivernale sera propice à l’aggravation de la situation », soutient la ministre. Quant à la territorialisation du passe, elle « n’est pas nécessairement la solution la plus adaptée », ajoute-t-elle, évoquant plutôt « une approche par secteurs d’activité ». Elle ajoute : « ça pourrait créer des difficultés en termes de cohérence et de lisibilité pour nos concitoyens ».

« Vous l’avez compris, nous avons des désaccords », résume Brigitte Bourguignon. Philippe Bas feint d’espérer pouvoir « convaincre le gouvernement sur chacun de ces points ». « Nous voulons faire en sorte que nous puissions trouver la plus large entente », insiste l’ancien président de la commission des lois. Une ouverture qui semble avant tout formelle.

 

« On n’a pas besoin de ce délai qui ressemble à une roulette russe »

Pour le groupe centriste, l’autre composante de la majorité sénatoriale, la sénatrice UDI Nathalie Goulet est venue prêter main-forte au rapporteur. « La date du 31 juillet n’est pas acceptable pour nous et nous la refusons », prévient la sénatrice de l’Orne, qui rappelle que « le Parlement peut être convoqué n’importe quand, à partir du 28 février ». « On n’a pas besoin de ce délai qui ressemble à une roulette russe », met en garde Nathalie Goulet, qui s’inquiète de l’usage qui pourrait être fait des mesures, selon la couleur du prochain exécutif :

Imaginez que le pouvoir soit entre les mains d’Eric Zemmour ou de Marine Le Pen, je ne suis pas très sûre que ce soit une opération très rassurante…

« Maintenant que la population est largement vaccinée, nous sommes plus nombreux à être réticents à voir le passe prolongé », ajoute-t-elle, s’inquiétant que « le gouvernement ne nous donne pas les critères qui permettraient de se passer du passe ». Manière aussi de partager les questionnements qui traversent le groupe centriste, très partagé sur le texte. Son collègue Loïc Hervé est ainsi farouchement opposé par principe au passe sanitaire depuis le début.

« Un nouveau risque court : celui de la banalisation du passe sanitaire »

Cet outil, qui s’est avéré utile dans la lutte contre l’épidémie, interroge néanmoins fortement nombre de sénateurs. « Il a participé à engager avec force la campagne vaccinale qui peinait à s’engager dans notre pays. […] Mais un nouveau risque court : celui de sa banalisation », met en garde Maryse Carrère pour le groupe RDSE.

« Si nous devons apprendre à vivre durablement avec le virus, nous devons le faire avec un régime de droit commun », soutient la sénatrice socialiste Marie-Pierre de la Gontrie, dénonçant un « régime d’exception qui atteint durablement l’Etat de droit ». La sénatrice de Paris ajoute :

Nous ne pouvons pas nous habituer à vivre dans une société de restriction de liberté.

Les sénateurs PS veulent alléger encore plus le passe sanitaire

Plutôt qu’un taux de moins de 75 % de vaccination pour appliquer le passe sanitaire, le groupe PS défend un seuil fixé à 80 % de la population éligible à la vaccination. Concrètement, cela reviendrait à supprimer le passe dans tous les départements de métropole, mais pas en Outre-mer, où la vaccination est encore faible.

Pour le groupe écologiste, le sénateur EELV Guy Benarroche appelle plutôt « à des mesures fortes, dès maintenant, pour aller vers les populations non-vaccinées », notamment « les plus âgés » ou « marginaux ». Encore 10,2 % des 75 ans et plus ne sont pas du tout vaccinés, et 8,8 % des 60-74 ans. C’est pourtant principalement cette population qui est le plus à risque et peut se retrouver à saturer les hôpitaux. L’écologiste pointe aussi « l’effet pervers du passe, qui crée une illusion de protection », amenant à « un relâchement des gestes barrières ». Il demande aussi au gouvernement de faire « des annonces claires sur la troisième dose, sans lien avec la désactivation du passe ».

« Il est toujours difficile de revenir sur nos libertés perdues »

La présidente du groupe communiste (CRCE), Eliane Assassi, alerte pour sa part sur « l’effet cliquet » du passe sanitaire. « Il est toujours difficile de revenir sur nos libertés perdues », craint la sénatrice de Seine-Saint-Denis. Si elle reconnaît que le texte de la commission est « bien plus mesuré que celui du gouvernement », Eliane Assassi veut aller plus loin :

Il faut mettre fin à cet outil drastique qui n’aurait jamais dû être légalisé dans notre pays.

Le sénateur RN Stéphane Ravier fait référence à l’occupation pour dénoncer le passe sanitaire

Stéphane Ravier, le seul sénateur RN, se lance dans la narration d’un rêve, où Olivier Véran aurait démissionné, le masque aurait été aboli comme l’appli Tous anti covid. « Puis mon réveil a sonné », lance le sénateur des Bouches-du-Rhône. Stéphane Ravier regrette que le « Parlement soit toujours aussi docile, et l’ausweis sanitaire sera, j’en ai bien peur, reconduit, le chantage à la vaccination confirmée, corollaire du tout contrôle généralisé ».

Ausweis, une référence au laissez-passer qui existait lors de l’occupation par l’Allemagne nazie, durant la Seconde guerre mondiale… Le sénateur d’extrême droite semble aussi faire ici un clin d’œil au montage qui a circulé sur les réseaux sociaux, durant le premier confinement, qui laissait croire que l’attestation de déplacement était inspirée de l’Ausweis de l’occupant nazi.

Claude Malhuret dénonce les « trolls » « anti-vax, anti-passe et globalement anti tout ce qui bouge »

Il faut attendre le sénateur LREM Martin Lévrier pour trouver l’un des rares défenseurs du gouvernement. Le sénateur des Yvelines souligne la nécessité de prolonger les outils en raison du risque épidémique. « Après huit mois de baisse consécutifs, le taux d’incidence a augmenté de 10 % dans la semaine du 10 au 17 octobre. Conséquence : le pays a dépassé le seuil d’alerte de 50 cas pour 100.000 habitants ». La hausse du nombre de cas est encore plus forte ailleurs en Europe, surtout dans les pays de l’Est.

Quant à Claude Malhuret, président du groupe Les Indépendants, il s’adresse « aux trolls ». Il parle des « anti-vax, anti-passe, et globalement anti tout ce qui bouge », qui « envahissent les boîtes mails » des sénateurs. L’élu Agir goûte peu la territorialisation mise en place par le Sénat. Pour le sénateur de l’Allier, « ce sera une usine à gaz ».

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