Passe sanitaire : quelles conséquences pour les salariés ?
Malgré une censure du Conseil constitutionnel, la loi instaurant le passe sanitaire permet la suspension du contrat de travail mais aussi la rémunération des salariés récalcitrants aux obligations sanitaires. Explications.

Passe sanitaire : quelles conséquences pour les salariés ?

Malgré une censure du Conseil constitutionnel, la loi instaurant le passe sanitaire permet la suspension du contrat de travail mais aussi la rémunération des salariés récalcitrants aux obligations sanitaires. Explications.
Public Sénat

Par Héléna Berkaoui

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« Les dispositions les plus graves ont été censurées mais l’équilibre global reste le même », observe David van der Vlist, avocat en droit du travail au cabinet l’Atelier des droits. Le Conseil constitutionnel a, en effet, validé jeudi l’essentiel de la loi instaurant le passe sanitaire tout en censurant la rupture anticipée des contrats courts et l’isolement obligatoire des personnes positives au covid.

Sur le volet droit du travail, ce texte prévoit une obligation vaccinale pour les professionnels exerçant au contact de personnes vulnérables. Le passe sanitaire devient aussi obligatoire pour les salariés des établissements recevant du public. Si le gouvernement souhaitait initialement créer un motif de licenciement pour les salariés récalcitrants, les sénateurs ont obtenu son retrait au bénéfice d’une suspension du contrat de travail et du salaire.

Passe sanitaire à partir du 31 août

Concrètement, les travailleurs des établissements recevant du public devront présenter un passe sanitaire à partir du 31 août 2021. Pour rappel, ce passe s’obtient avec un certificat de vaccination complète, le résultat de test PCR ou antigénique négatif de moins de 48 heures, ou un « certificat de rétablissement du covid ».

Sans ce passe, l’employeur sera en droit de suspendre le contrat de travail du salarié et son salaire. Au-delà de trois jours de suspension, l’employeur devra convoquer le salarié à un entretien afin d’examiner avec lui les moyens de régulariser sa situation, avec notamment les possibilités d’affectation sur un autre poste, sans contact avec le public.

Pour le personnel en contact avec des personnes vulnérables comme les soignants, la vaccination sera obligatoire, sauf contre-indication médicale, à compter du 15 septembre 2021. Une extension est prévue jusqu’au 15 octobre 2021 pour celles et ceux ayant déjà reçu une première dose de vaccin.

Comme évoqué plus haut, le Conseil constitutionnel a censuré la possibilité de mettre fin à un contrat court pour non-présentation du passe sanitaire. « Le Conseil constitutionnel soulève là une rupture d’égalité entre les salariés selon la nature de leurs contrats de travail », précise David van der Vlist.

Au grand dam des sénateurs, la ministre du Travail avait pourtant soutenu que les employeurs pourraient licencier les salariés réfractaires dans le cadre du droit du Travail. Dans sa décision, le Conseil constitutionnel a bien souligné la volonté du législateur d’exclure la possibilité de licencier un salarié faute de passe sanitaire.

« Il faut que les employeurs sachent que les salariés seront fondés à les attaquer »

« Élisabeth Borne évoque les absences prolongées désorganisant l’entreprise », indique Xavier Sauvignet, avocat en droit social au cabinet 1948. Un motif qui ne peut cependant être invoqué sans que l’employeur ait à démontrer la désorganisation et le caractère central de la fonction du salarié. « Il faut que les employeurs sachent que les salariés seront fondés à les attaquer », prévient aussi Xavier Sauvignet.

La décision du Conseil constitutionnel pose « une censure minimale » aux yeux de Xavier Sauvignet. La possibilité de suspendre le contrat de travail et le salaire représente pour lui « une victoire à la Pyrrhus puisque le salarié se retrouve coincé dans une relation de travail, sans aides, avec pour seule solution la démission ».

En outre, l’avocat Xavier Sauvignet craint l’instauration indirecte d’inégalités entre salariés. La carte de la facture vaccinale répond à celle des inégalités en France avec notamment des problématiques liées à l’accès aux soins. A titre d’exemple, ​​à Paris le pourcentage de personnes avec un schéma vaccinal complet atteint les 61,9 %, quand en Seine-Saint-Denis seulement 40,7 % d’habitants ont reçu leurs deux doses.

Des délais trop courts pour se conformer au passe sanitaire ?

David van der Vlist estime que cette décision « ne rentre pas vraiment dans le contrôle de la proportionnalité » et omet par ailleurs « la question des délais laissés aux salariés pour se conformer à ces obligations ». Pour les travailleurs exerçant dans les établissements recevant du public, « rien n’est prévu pour un accès facilité à des tests », soulève David van der Vlist, alors que le passe sanitaire entre en vigueur pour eux le 31 août.

« Énormément d’établissements soumis au passe sanitaire ne vont pas être en mesure de l’appliquer faute de moyens », pressent-il, notamment pour les restaurants qui connaissent par ailleurs une pénurie de main-d’œuvre. La Fédération hospitalière de France (FHF), avait d’ailleurs soulevé la difficulté à appliquer le passe sanitaire dans les établissements hospitaliers. A en croire son comptage, cette mise en place coûtera « 60 millions d’euros pour un mois ».

Interrogé sur France info ce vendredi, le président délégué du Medef, Patrick Martin, estime, lui, que l’application du passe sanitaire va créer des « cas de conscience » chez les employeurs. Les difficultés à recruter pour certains secteurs, comme la restauration, fera que « les entreprises hésiteront à se séparer d’un salarié, a fortiori d’un salarié qui donne satisfaction », assure Patrick Martin.

Si la censure du Conseil constitutionnel sur les contrats courts limite le nombre de contentieux attendus devant les conseils prud’homaux, il n’est clairement pas à exclure que l’application du passe sanitaire entraînera des conflits salariaux. Plusieurs organisations salariales ont déjà lancé des appels à la grève contre le passe sanitaire.

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