Pertes des restaurants : les assurances toujours dans le collimateur des sénateurs

Pertes des restaurants : les assurances toujours dans le collimateur des sénateurs

Les tensions restent vives entre les restaurateurs, toujours contraints à la fermeture, et les assureurs qui refusent de prendre en charge leurs pertes d’exploitation. Au Sénat, les initiatives pour accroître leur participation financière se sont multipliées.
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Nul ne sait quand les restaurants pourront rouvrir leurs portes. En tout cas, pas avant le 20 janvier. Si l’Etat tente de répondre à la souffrance et l’incertitude du secteur, à grand renfort de mesures d’urgence, la contribution du secteur de l’assurance à « l’effort de guerre » reste un débat sur le feu en cette fin d’année. Depuis le printemps, les représentants de l’hôtellerie et de la restauration, tout comme de nombreux parlementaires, réclament un effort réel de la part des compagnies d’assurances, afin de prendre en charge les pertes d’exploitation des entreprises forcées à l’arrêt, en raison du contexte sanitaire. L’effort est d’autant plus demandé que les assureurs ont fait face à une baisse des sinistres, bien que ces derniers contestent avoir gagné de l’argent pendant la pandémie.

Un nouvel élément est venu semer l’émoi chez les restaurateurs en novembre. Beaucoup ont reçu un avenant à leur contrat d’assurance excluant clairement la garantie des pertes d’exploitation en cas de pandémie. Les modifications sont à accepter, sous peine de résiliation. L’initiative peut sembler étonnante, alors que le secteur n’a eu cesse d’affirmer qu’une pandémie ne faisait pas partie des risques couverts. En réalité, elle l’était dans certains cas. Cela concernerait 3 % des contrats actuellement, selon la Fédération française des assureurs. Dans d’autres cas, les clauses étaient ambiguës, d’où la nécessité de clarifier rapidement les choses. Car le covid-19 fait figure de risque systémique pour le secteur, c’est-à-dire que l’ampleur des pertes menacerait l’existence même des compagnies d’assurances. La sénatrice Sophie Primas (LR), présidente de la commission des affaires économiques, a identifié le problème : les assurances des assurances. « La difficulté, c’est que la réassurance au niveau mondial a arrêté de couvrir le risque covid-19 », explique-t-elle.

La taxe introduite par le Sénat dans le budget 2021 sera l’un des enjeux de la commission mixte paritaire

Au fil des mois, le secteur de l’assurance s’est engagé à mobiliser des moyens pour répondre aux difficultés des entreprises, à travers 2,4 milliards de gestes commerciaux et de mesures de soutien. Dans cette somme, 400 millions d’euros ont été versés pour alimenter le Fonds de solidarité destiné aux entreprises, sous la pression du gouvernement. Leur générosité n’a pas impressionné le Sénat. Dès avril, certains sénateurs ne se satisfaisaient pas de cette « aumône ». Au fur et à mesure des budgets rectificatifs en 2020, ils sont montés au créneau, tentant d’imposer dans la loi une taxe exceptionnelle. Le projet de loi de finances pour 2021 n’a pas fait exception : ils ont adopté une taxe exceptionnelle de 2 % sur les primes des contrats d’assurance dommages. Le gouvernement s’y est opposé et le rapporteur général du budget à l’Assemblée nationale, Laurent Saint-Martin, ne semble pas favorable à la mesure, même s’il réclame un meilleur accompagnement de la part des assureurs.

Sophie Primas estime que cette question sera l’un des « enjeux » de la commission mixte paritaire (CMP) qui se réunira dans quelques jours députés et sénateurs. Vu les cicatrices laissées par l’irruption de la commission indépendante sur l’article 24 de la proposition de loi Sécurité globale, la sénatrice n’exclut pas « qu’une partie de la majorité présidentielle » s’émancipe afin d’adopter une ligne plus dure vis-à-vis des assureurs. « Ils ont assez mal digéré l’épisode de l’article 24 », souligne-t-elle. Elle recommande de mettre à profit les quelques jours qui précédent la CMP, afin de discuter aux côtés du gouvernement et de la Fédération française des assureurs. « Cela laisse quelques jours pour calibrer une contribution pour l’année 2020 qui sera exceptionnelle », espère-t-elle.

Quelle prise en charge dans le futur ?

Des discussions, il y en a justement à Bercy, entre le gouvernement et les assureurs, dans le but de faire émerger un nouveau système assurantiel, couvrant cette fois les pertes d’exploitation. Ce long chantier devrait permettre une meilleure solidarité, mais la solution ne serait applicable qu’à la prochaine pandémie. « Aujourd’hui, les restaurateurs négocient avec leurs assureurs sur la base des petits alinéas dans les contrats… Tout cela est très artisanal », reconnaissait encore Bruno Le Maire, auditionné le 30 septembre au Sénat.

Le 2 juin, la haute assemblée avait apporté sa propre contribution, en adoptant une proposition de loi de Jean-François Husson (LR), Vincent Segouin (LR) et Catherine Dumas (LR). Son but est de « définir et de coordonner les rôles respectifs des assurances et de la solidarité nationale dans le soutien des entreprises victimes d’une menace ou d’une crise sanitaire majeure ». Le texte sénatorial avait notamment clarifié la notion de pertes d’exploitations, imaginé le renfort d’un fond de l’Etat en appui aux assureurs, ainsi que la création d’un prélèvement sur les cotisations des assurés. Des questions se posent désormais sur l’inscription du texte à l’Assemblée nationale.

La sénatrice Sophie Primas demande qu’un « équilibre » soit trouvé, afin que tous les acteurs y trouvent leur compte : Etat, assurés et assurances. « Il n’y a pas de solution unique, c’est la combinaison des trois qui sera probablement la solution. »

En plein débat budgétaire, les parlementaires fourmillent d’idées. Lors de la discussion sur le PLF, la droite a failli réintroduire la taxe exceptionnelle de 10 % assise sur le montant de la réserve de capitalisation des acteurs de l’assurance. Elle avait été mise en place en 2011 sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy. La gauche n’est pas en reste. Constatant une baisse de la sinistralité pour les assureurs, le groupe socialiste, écologiste et républicain du Sénat a lui aussi déposé une proposition de loi. Celle-ci vise à créer une « juste contribution, exceptionnelle » sur les assurances « afin qu’elles concourent à la solidarité nationale ». Cette taxe serait égale à 80 % de l’augmentation des résultats d’exploitation réalisés par rapport à la moyenne de ces mêmes résultats des trois années précédentes. La contribution aurait également pour vocation d’être reconduite à chaque pandémie, en cas de déclenchement d’un régime de type état d’urgence sanitaire. Le texte sera discuté en séance le 10 décembre.

Les assurances tempèrent l’argument de la baisse des sinistres pendant les confinements

Auditionnée le 25 novembre devant la commission des finances de l’Assemblée nationale, la Fédération française de l’assurance s’est défendue, en expliquant notamment que globalement, la charge des sinistres s’était alourdie de deux milliards d’euros. Elle a même souligné que le résultat du secteur s’était grevé de cinq milliards d’euros à cause de la crise du covid-19, qui a entraîné de lourdes dépenses sur le front des arrêts de travail, de la prévoyance ou encore de la responsabilité civile.

En clair, pour la FFA, les gains enregistrés grâce à la baisse des accidents de la route (1,4 milliard d’euros) ou la baisse des consultations de santé (500 millions d’euros) seraient l’arbre qui cache la forêt. Mais loin de bénéficier aux assurés, la baisse de la sinistralité sur les routes se traduirait au contraire par un « enfumage » de la part assureurs sur les tarifs 2021, dénonce l’association UFC-Que choisir. Une interrogation que partage Sophie Primas, au Sénat. « Ce qu’on comprend moins, c’est l’augmentation sur les assurances auto. Il semblerait qu’on ait de belles augmentations », souffle-t-elle.

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