Philippe Bas sur le tracking : « Je ne suis pas sûr que le jeu en vaille la chandelle »

Philippe Bas sur le tracking : « Je ne suis pas sûr que le jeu en vaille la chandelle »

Philippe Bas (LR) préside le comité de suivi de l’état d’urgence sanitaire au Sénat. Après une série d’auditions largement consacrées au tracking et au projet d’application StopCovid-19, il s’interroge sur l’efficacité de cette solution numérique. 
Public Sénat

Par Tâm Tran Huy

Temps de lecture :

5 min

Publié le

Mis à jour le

À ce stade de votre réflexion, après les auditions que vous avez menées, quel est votre avis sur le projet d’application StopCovid-19 ?

Nous avons auditionné Nicole Belloubet, Jean-François Delfraissy (le président du Conseil scientifique), la présidente de la CNIL mais aussi le secrétaire d’État au numérique Cédric O. Marie-Laure Denis, la présidente de la CNIL, nous a bien exposé que si le dispositif est volontaire, anonyme et respecte les principes de la vie privée sans transmission des données personnelles, il est possible que l’application soit respectueuse du cadre français et européen. Mais le problème qui se pose alors est celui de son efficacité. Notre crainte initiale était « Big Brother », l’idée que toutes les données personnelles des Français soient mises dans un grand ordinateur. Finalement, nous avons été rassurés sur ce point.

Pourquoi doutez-vous de l’efficacité de cette application ?

Parce qu’elle ne marchera que si elle est massivement partagée mais elle ne peut pas être massivement partagée si le volontariat reste le principe. Faut-il mettre en branle un tel mécanisme si l’intérêt collectif risque d’être très atténué ? Nous ne sommes pas sûrs que le jeu en vaille la chandelle. Beaucoup de personnes ne vont pas télécharger l’application, il y a aussi ceux qui n’ont pas de smartphone, ceux qui ne vont pas savoir télécharger l’application. Vous aurez aussi ceux qui auront oublié leur smartphone en sortant de chez eux. Ce sont autant de faiblesses intrinsèques au dispositif. Il faut faire attention à ne pas faire croire aux gens que l’on a trouvé la martingale avec le numérique. Si les gens ont le sentiment d’être protégés avec cette application, cela peut les conforter dans un sentiment de sécurité qui peut les rendre moins précautionneux, ce qui peut donc être contre-productif. La solution miracle à l’épidémie ne réside pas dans un seul outil : il nous faudra des outils de dépistage, des masques, respecter les gestes barrières en plus de cette application.

Que retenez-vous de l’audition du professeur Jean-François Delfraissy (qui préside le Conseil scientifique) au sujet de l’application ?

Le professeur Delfraissy a souligné qu’en Corée du Sud, quand l’application vous alerte, elle vous alerte sur le fait qu’une personne que vous avez rencontrée, est contagieuse au moment où vous êtes averti. Mais peut-être que cette personne n’était pas contagieuse au moment où vous l’avez rencontrée. En Corée du Sud, il y a une brigade de 20 000 personnes pour exploiter les données de l’application et pour remonter la filière. Est-ce que ceci a été pensé pour la France, où nos soignants sont déjà sous l’eau ?

Jugez-vous le débat sans vote sur le tracking qui doit avoir lieu le 29 avril est utile ? Les sénateurs socialistes réclament un débat plus global avec vote.

Un débat est toujours utile, mais ça n’est pas reconnaître au Parlement un pouvoir de décision. Le Parlement est quand même fait pour décider. Je comprends très bien la démarche faite par un certain nombre de groupes pour réclamer un vote. Mais nous ne pouvons pas donner un vote au débat  si le dispositif n’est pas connu. Si on reste sur la philosophie du dispositif, on peut garder le principe de ce débat mais sans lui accorder une portée excessive. En revanche, il y a un impératif : il faut que la CNIL ait donné son avis pour éclairer les données avant ce débat. C’est pour moi une exigence fondamentale que le CNIL étudie le projet du gouvernement et dise s’il faut le changer au regard des impératifs de protection des données.

Et après ce débat, une loi sera-t-elle nécessaire pour mettre en place cette application ? Elle n’est pas indispensable si on reste sur la base du volontariat ?

Si la CNIL dit que sur certains aspects, la loi est incontournable alors un vote sera nécessaire. Prenez un point très délicat : le consentement doit être libre, ne pas s’inscrire dans un rapport de force. On ne pourra pas vous interdire de prendre les transports en commun si vous n’avez pas l’application, votre employeur ne pourra pas refuser que vous alliez au travail au motif que vous n’avez cette application. Certes, un justiciable pourra aller au tribunal avec la loi actuelle pour contester ce type de décision. Mais ce n’est pas tout à fait la même chose d’aller devant un juge et d’avoir l’énoncé clair et net dans la loi. Une loi sera utile pour adapter les garanties à la réalité de l’application.

Dans la même thématique

European Parliament in Strasbourg
7min

Politique

Européennes 2024 : les sondages peuvent-ils encore bouger ?

Les rapports de force vont-ils rester globalement stables jusqu’au scrutin du 9 juin ? La liste PS-Place Publique de Raphaël Glucksmann peut-elle dépasser celle de la majorité présidentielle de Valérie Hayer ? Marion Maréchal va-t-elle devancer la liste LR de François-Xavier Bellamy ? Les Français vont-ils se décider au dernier moment ? Eléments de réponses avec quatre sondeurs.

Le

France Migration
6min

Politique

Convocation de Mathilde Panot : pourquoi les poursuites pour « apologie du terrorisme » sont en hausse ?

La présidente des députés LFI, Mathilde Panot a annoncé, mardi, sa convocation par la police dans le cadre d’une enquête pour « apologie du terrorisme » en raison d’un communiqué de son groupe parlementaire après les attaques du Hamas contre Israël le 7 octobre. Depuis la loi du 13 novembre 2014, les parquets poursuivent plus régulièrement au motif de cette infraction. Explications.

Le