PMA : et si le Sénat votait le texte ?

PMA : et si le Sénat votait le texte ?

Sur la PMA, le Sénat, à majorité de droite et du centre, sera partagé. Trois des quatre rapporteurs du texte sont ouverts à la PMA pour toutes, comme Gérard Larcher. Mais Bruno Retailleau, président du groupe LR, est farouchement contre. Certains pensent que la mesure pourrait passer de justesse. Une chose est sûre : ce sera serré.
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Près de dix jours après l’adoption par les députés du projet de loi sur la bioéthique, qui porte la PMA pour toutes, les sénateurs de la commission spéciale constituée sur ce texte se sont réunis pour la première fois, jeudi 24 septembre. Le président en est logiquement Alain Milon, président LR de la commission des affaires sociales. Pour les rapporteurs, un petit imbroglio s’est produit. Ils ne seront pas trois mais quatre rapporteurs, a appris publicsenat.fr : la sénatrice LR du Morbihan, Muriel Jourda, la sénatrice rattachée LR de Charente-Maritime, Corinne Imbert, le sénateur UDI Olivier Henno et, en invité de dernière minute, le sénateur apparenté PS, Bernard Jomier.

Le groupe PS obtient un rapporteur « en poussant un peu les murs »

Constatant l’absence de représentant de la gauche chez les rapporteurs, les sénateurs socialistes ont décidé jeudi matin de mettre un petit coup de pression. Après une suspension de la réunion, un accord est trouvé avec la droite. « Quand on est trois, on peut être quatre » lâche un LR... Dans la foulée, le sénateur LREM Michel Amiel, opposé à la PMA, se déclare candidat. Un vote a lieu. Bernard Jomier est nommé. « Il y a eu un accord utile et intelligent qui a permis d’avoir un quatrième rapporteur. Marie-Pierre de La Gontrie est montée au front. Moi-même, j’ai fait savoir ce que j’en pensais et j’ai marqué mon mécontentement », explique le président du groupe PS, Patrick Kanner, non-membre de la commission. « Il n’est pas normal que le second groupe du Sénat n’ait pas de place. Nous l’avons obtenu en poussant un peu les murs… » ajoute le sénateur PS du Nord.

Conséquence : trois des quatre rapporteurs sont pour la PMA. Corinne Imbert est « favorable », « je ne me suis pas opposée à l’avis positif du Comité consultatif national d’éthique, où je représente le Sénat », explique-t-elle à publicsenat.fr. Olivier Henno se « range plutôt du côté de ceux qui sont favorables à la PMA » et Bernard Jomier est pour. Muriel Jourda n’y est pas favorable.

Les quatre conditions de Gérard Larcher

Cela ne présage cependant pas du résultat sur l’ensemble des 348 sénateurs. Mais l’article 1, qui porte sur la PMA pour les couples de femmes et les femmes seules, a-t-il des chances d’être adopté au Sénat ou sera-t-il rejeté ? En la matière, les clivages traversent les groupes. Une chose est sûre : on est loin de « l’hystérie » du mariage pour tous.

Beaucoup dépendra des positions au sein des groupes LR et Union centriste, qui forment la majorité sénatoriale. Chez les LR comme les centristes, la liberté de vote sera la règle. Le président LR du Sénat, Gérard Larcher, s’est dit « assez ouvert » à la PMA, début septembre. De quoi peut-être influencer certains collègues. Il y met « quatre conditions : la levée de l’anonymat. L’interdiction absolue de la GPA figurant dans le texte, la gratuité du don (…) et considérer que la PMA, qui est une possibilité, un confort de vie donné, ne relève pas de l'Assurance Maladie, car il ne s'agit pas de traiter une infertilité. Donc pas de remboursement Sécurité sociale » avait-il détaillé sur RTL. Autant de pistes pour des amendements.

« La PMA sans père est un vrai problème » pour Retailleau

Mais Bruno Retailleau, président du groupe LR, a une toute autre position. Il est fermement opposé à la PMA pour toutes. « La PMA sans père est un vrai problème » nous expliquait-il, « je pense que le lien avec la GPA (gestation pour autrui) se fera vite ». C’est la crainte partagée par nombre de sénateurs LR, comme François Grosdidier, « assez ouvert sur la PMA » mais qui « craint énormément la GPA ».

Les sénateurs LR interrogés s’accordent sur un point : il y a une majorité de sénateur LR opposés à la PMA. Dans quelle proportion ? « La grande majorité, entre deux tiers et trois quarts » selon le sénateur LR de l’Oise Jérôme Bascher, qui votera contre. « C’est 70/30 » confirme un autre sénateur.

« La PMA devrait passer au Sénat »

Mais peut-être pas assez pour faire tomber l’article 1… « Mathématiquement, sachant que ce n’est pas toujours la bonne mesure en politique, il faudrait environ 30 votes pour LR pour que l’article passe. Ça va être serré » calcule la sénatrice PS de Loire-Atlantique, Michelle Meunier, cheffe de file de son groupe sur le sujet.

D’autres vont plus loin et pensent que la PMA sera adoptée au Sénat. Reste à voir si le texte sera amendé. « Ce sera peut-être juste, mais entre le PS, le PCF, LREM, une partie des centristes, des LR et des Indépendants, je pense que ça devrait passer » estime Daniel Chasseing, sénateur Les Indépendants de Corrèze. Membre de la commission spéciale, il est pour la PMA mais contre la GPA.

Un sénateur centriste est même encore plus affirmatif : « Ça devrait passer sans difficulté au Sénat ». Le même fait cette analyse :

« Un gars comme Retailleau s’est mis en réserve sur ces affaires-là. Après l’épisode Bellamy, chez LR, ceux qui portent ces convictions ont décidé de ne pas en faire un cheval de bataille politique. Ils ont bien vu que la politisation sur ces sujets de société les cornérisait »

Tribune anti-PMA signée par 119 sénateurs

En réalité, un élément concret permet d’avoir une meilleure idée du rapport de force. Une tribune d’opposants à la PMA, écrite par le président LR de la commission des lois, Philippe Bas, avait été publiée en mai 2018.

Elle était cosignée par 119 sénateurs, dont 108 LR sur les 144 du groupe. On y trouve la rapporteure Muriel Jourda. A noter que la tribune était signée aussi par 4 sénateurs du groupe Les Indépendants, 4 du groupe UC, 1 RDSE, 1 non-inscrit et même 1 PS.

« Le droit à l’enfant n’aura pas de conséquences sur l’enfant, bien au contraire »

Mais certains ont pu évoluer depuis. Du moins, des sénateurs se posent des questions. « Aujourd’hui, je suis plutôt contre » explique le sénateur LR Jean-Raymond Hugonet, « même si je le comprends. J’ai une amie proche qui vient d’avoir un deuxième enfant avec une femme ».

« Ça peut bouger » confirme, et espère, Alain Milon. Le sénateur LR du Vaucluse a depuis longtemps un profil atypique sur ces sujets au sien de sa famille politique. Il est pour la PMA et même… la GPA. Il avait déposé, en 2010, une proposition de loi pour légaliser la gestation pour autrui. « Je suis pour la PMA pour toutes car quand la technique existe, il n’y a pas de raison de ne pas permettre à toutes les femmes, quelle que soit leur orientation sexuelle, d’avoir un enfant si elles le désirent. Et je ne pense pas que le droit à l’enfant aura des conséquences sur l’enfant, bien au contraire. Quand on désire un enfant, c’est pour l’éduquer comme il le faut » fait valoir le président de la commission spéciale.

« On peut ouvrir la porte sur l’eugénisme »

Complètement à l’opposé, on trouve par exemple, chez les LR, le sénateur Henri Leroy. « Je crois que dans l’époque où nous vivons, de respect de la nature, laissons la nature accomplir son œuvre. Et je ne crois pas que la médecine soit destinée à combler des envies, mais à soigner » explique le sénateur LR des Alpes-Maritimes. Henri Leroy, qui avait fait un parallèle avec l’eugénisme, maintient aujourd’hui ses propos : « On peut ouvrir la porte sur l’eugénisme. On peut finir par avoir la GPA », « c’est, petit à petit, la porte ouverte au trafic de génome. On peut terminer par avoir un enfant sur mesure » craint le sénateur LR.

Reste à voir si les positions de Gérard Larcher et Bruno Retailleau pourront influencer leurs collègues. Sur ce point, la sénatrice LR Catherine Procaccia, plutôt « ouverte » à la PMA mais « gênée » par la levée de l’anonymat, n’y croit pas :

« Je pense que ni Bruno Retailleau, ni Gérard Larcher, sur ces questions d’approche personnelle, n’ont vraiment de poids. Il doit y avoir une masse d’indécis. Et comme dans toutes les élections, ce sont les indécis qui font le vote »

Gérard Larcher veillera au moins à son poste à ce « que l’orchestre Sénat puisse exprimer des choses différentes mais de manière à ce que la polyphonie ne soit pas disharmonieuse ».

Le groupe centriste partagé

Et les centristes ? Pour ce groupe charnière, leurs 51 voix seront cruciales. Le groupe UC pourrait se partager entre pour et abstention, avec quelques contre. Le groupe serait « à 50/50 ». Son président, Hervé Marseille, n’a « pas encore de point de vue définitif » pour sa part, mais « n’est pas hostile en tant que tel à la PMA ». Il est opposé à la GPA. Il organisera courant novembre un petit séminaire, au sein du groupe UC, sur le sujet.

La sénatrice UDI Nathalie Goulet sera elle « sûrement dans l’abstention positive », se disant « très partagée » en raison notamment de ses « convictions religieuses ».

« Le groupe PS sera très majoritairement favorable à la PMA »

Quant au groupe PS, « il sera très majoritairement favorable à la PMA. Nous aurons sûrement un débat sur la GPA encadrée, mais sur ce point, je pense que la majorité du groupe sera défavorable » explique Patrick Kanner. Chez les socialistes, certains ne cachent pas un regret, exprimé par Michèle Meunier : « La PMA aurait dû figurer dans la loi sur le mariage pour tous. On aurait dû le faire ».

La commission spéciale va maintenant entamer ses travaux à partir de la semaine prochaine. « Toutes les religions monothéistes, les associations pour, les associations contre et les chercheurs » seront auditionnés, précise Alain Milon. L’examen du rapport de la commission sur le projet de loi bioéthique devrait intervenir début janvier, pour un examen dans l’hémicycle à partir du 20 janvier, pour deux semaines.

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