Port du voile et sorties scolaires : le Sénat adopte la proposition de loi Eustache-Brinio

Port du voile et sorties scolaires : le Sénat adopte la proposition de loi Eustache-Brinio

Au terme d'un long débat politique et juridique de quatre heures et demi, le Sénat a adopté la proposition de loi de Jacqueline Eustache-Brinio (LR), qui vise à assurer la neutralité religieuse des accompagnateurs et des accompagnatrices scolaires.
Public Sénat

Par Public Sénat

Temps de lecture :

14 min

Publié le

Mis à jour le

163 voix pour, 114 voix contre : les sénateurs ont adopté en séance, ce 29 octobre, la proposition de loi portée par la sénatrice du Val-d’Oise Jacqueline Eustache-Brinio, et une grande partie du groupe LR (voir le détail du vote par groupe). Il vise à « assurer la neutralité religieuse des personnes concourant au service public de l’éducation ».

Le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer a fait savoir que le gouvernement n’était pas favorable au texte. Pour poursuivre son chemin législatif, la proposition de loi doit désormais être inscrite à l’agenda de l’Assemblée nationale, où elle a peu de chances d’être adoptée. « Même si vous la votez aujourd'hui, elle prendra du temps avant d'aller à l'Assemblée nationale, et on peut imaginer le sort que sera le sien », a souligné le ministre avant le vote final sur l’ensemble du texte.

Revivez les débats qui ont animé l'hémicycle du Sénat cet après-midi sur un sujet hautement sensible.

14h30. « Il ne s’agit pas là d’un combat entre la droite et la gauche, mais d'un combat républicain et rien d’autre » estime Jacqueline Eustache-Brinio

Interdiction du voile dans les sorties scolaires : « C’est un combat républicain et rien d’autre » estime Jacqueline Eustache-Brinio
03:35

La sénatrice LR, Jacqueline Eustache-Brinio, auteure de la proposition de loi imposant la neutralité religieuse pour les accompagnants scolaires, a ouvert la séance publique.

À la tribune, la sénatrice du Val d’Oise a tenu à « porter l’héritage de Jules Ferry et Jean Zay » « en affirmant haut et fort notre détermination à protéger l’innocence et la liberté de conscience des enfants dans un pays porté par des tensions politico-religieuses ».

Jacqueline Eustache-Brinio s’est appuyée sur la loi de 2004 qui encadre le principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics. « Il apparaît clairement à des personnes disposant d’un minimum de bon sens, que les sorties scolaires font partie intégrante du temps scolaire et s’inscrivent dans le cadre du service public de l’éducation » a-t-elle estimé. Afin de combler ce qu’elle considère être « un vide juridique », la sénatrice souhaite légiférer afin d’imposer aux parents accompagnateurs « ce principe de neutralité » « déjà imposé par la loi pour les enfants et les enseignants ».

« Il ne s’agit pas là d’un combat entre la droite et la gauche, mais d’un combat républicain et rien d’autre » (…) Tous les enfants que nous accueillons dans nos écoles sont des enfants de la République qui doivent pouvoir vivre et s’épanouir en dehors de toutes tentatives d’influence sans être les otages de pressions politiques et religieuses » a-t-elle conclu.

14h48. Le rapporteur du texte estime qu’une loi est « nécessaire » pour « clarifier » la situation

Port du voile et sorties scolaires : Max Brisson estime qu’une loi est « nécessaire » pour « clarifier » la situation
03:58

« Une loi est-elle nécessaire ? Je le crois sincèrement, et ceci, afin de clarifier une situation qui n’est pas acceptable pour les directeurs d’école et les chefs d’établissement », a expliqué le rapporteur LR de la proposition de loi, le sénateur Max Brisson. Considérant que les accompagnateurs sont bien des « collaborateurs occasionnels du service public », le parlementaire des Pyrénées-Atlantiques a constaté que les positions du Conseil d’État étaient à l’origine d’un « inconfort juridique » qui pénalise les chefs d’établissements. Chaque établissement prend ainsi des décisions isolées, ce qui n’est « pas acceptable pour le législateur », a fait valoir Max Brisson.

Pour le sénateur, cette proposition de loi est l’occasion de « parachever » la loi sur la laïcité : « Si notre République est neutre et protectrice, à l’école publique, cette neutralité a pris une dimension exceptionnelle par rapport aux autres services publics, et ceci depuis 130 ans, et ceci afin de protéger de toute influence ce que Jules Ferry appelait cette chose délicate et sacrée qu’est la conscience de l’élève. Il nous appartient donc, mes chers collègues, de parachever cette volonté continue, qui anime depuis plus d’un siècle le législateur afin de mieux protéger encore l’école, pour mieux protéger l’enfant, dont la conscience est en construction ».

14h52. Jean-Michel Blanquer : « Ma position n’a pas changé »

Sans surprise, dès ses premiers mots, le ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, a exprimé l’opposition du gouvernement au texte des sénateurs LR. « C’est une question examinée ici même il y a trois mois. Je vous le dis d’emblée, ma position n’a pas changé » lance le ministre, en référence à l’examen du projet de loi sur l’école. Les sénateurs avaient alors adopté l’interdiction du voile pour les sorties scolaires, contre l’avis du ministre. Jean-Michel Blanquer n’avait pourtant pas été contre, dans un premier temps, un amendement similaire du député LR Eric Ciotti, déposé à l’Assemblée nationale.

Port du voile pour les sorties scolaires : « Une loi aurait des effets contre-productifs » selon Jean-Michel Blanquer
02:16


Le ministre a rappelé les données du problème, sur le plan juridique. « A quelle catégorie appartiennent les parents d’élèves : sont-ils des usagers ou des collaborateurs occasionnels du service public ? Le Conseil d’Etat a rappelé dans son étude de 2013 que la manifestation des convictions religieuses avait pour limite le trouble à l’ordre public ou le bon fonctionnement du service public. Il indique que « les exigences liées au bon fonctionnement de l’éducation peuvent conduire l’autorité compétente, s’agissant des parents d’élève qui participent à des déplacements ou des activités scolaires, à recommander de s’abstenir de manifester leur appartenance ou leur croyance religieuse ». Cette phrase résume le droit existant » souligne Jean-Michel Blanquer.

« Nous ne sommes pas démunies, en fonction du droit existant, pour regarder au cas par cas si le port de signes religieux par les parents d’élève correspond à un signe de prosélytisme ou de pression inacceptable sur les élèves » estime ainsi le ministre. « Une loi irait au-delà du nécessaire et aurait des effets contre-productifs » soutient-il, comme il l’avait expliqué en mai dernier devant le Sénat. « Il est impossible de demander à la loi de réglementer chaque aspect de la vie courante ».

Dans sa prise de parole, Jean-Michel Blanquer pointe aussi du doigt le « risque de fragmentation » lié au « communautarisme ». « Ils sont nombreux, nos cousins en Europe, ou même ailleurs, qui voient les limites du multiculturalisme » affirme-t-il.

S’il s’oppose à la PPL des sénateurs LR, le ministre souligne cependant les points d’accord passés, « quand nous avons donné une suite favorable à la PPL de Françoise Gatel pour renforcer le contrôle sur les établissements privés hors contrat. Grace à cette loi, des établissements ont été fermés. Et je me tiens, jour à après jour, personnellement informé des écoles où les contenus des établissements et les comportements des personnes vont au-delà de ce qui est acceptable ». Jean-Michel Blanquer salue aussi l’amendement du sénateur LR Jérôme Bascher, adopté dans le cadre du projet de loi école, qui « a permis l’interdiction de tout prosélytisme aux abords des établissements scolaires. C’est un apport considérable qui aura des effets très importants dans les temps à venir ». Et d’ajouter : « Voilà des mesures concrètes. Nous n’avons pas besoin de grand débat pour nous épuiser ».

15h07. Jean-Louis Masson : « Les personnes immigrées ou issues de l’immigration ne doivent pas nous imposer leur us et coutumes »

Jean-Louis Masson : « Les personnes immigrées ou issues de l’immigration ne doivent pas nous imposer leur us et coutumes »
10:12

Jean-Louis Masson, sénateur (non inscrit) de la Moselle, a déposé une motion tendant au renvoi à la commission du texte en discussion. Le sénateur a déploré que tous les précédents présidents de la République ne soient jamais « passés aux actes ».  

Jean-Louis Masson a rejeté dans le même temps, radicalisation, « toutes les formes de communautarisme islamique » et « certains » flux migratoires.

« Aujourd’hui les flux migratoires sont différents et conduisent à des noyaux communautaristes qui rejettent notre façon de vivre. Les personnes immigrées ou issues de l’immigration ne doivent pas nous imposer leur us et coutumes. C’est à eux de s’adapter à notre mode de vie » a-t-il déclaré dans l’hémicycle.

Le sénateur s’est félicité de l’action du conseiller régional du Rassemblement national qui a voulu faire sortir une mère voilée accompagnant son enfant au conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté.

Jean-Louis Masson a également rappelé qu’il avait déposé trois groupes d’amendements au texte examiné. Alors que la proposition de loi débattue évoque la neutralité religieuse des accompagnants scolaires, le sénateur de la Moselle, lui, se focalise aussi sur l’interdiction du burkini et sur l’abattage rituel des animaux de boucherie. Une intervention qui a suscité la reprobation de ses collègues.

15h20. « Les femmes voilées se considèrent françaises » affirme Samia Ghali

« Les femmes voilées se considèrent Françaises » affirme Samia Ghali La sénatrice
02:45

La sénatrice, membre du groupe PS, du Sénat, Samia Ghali a pris la parole en séance publique lors de l’examen de la proposition de loi sur la neutralité religieuse des accompagnants scolaires. « Une maman qui accompagne les enfants en sortie scolaire, c’est une maman qui veut participer à la République » a-t-elle rappelé.

Farouchement opposée au texte, elle est intervenue après la présentation d’une motion de renvoi du sénateur Jean-Louis Masson. Le sénateur non-inscrit s’est livré à une violente diatribe contre le voile, le burkini, ou encore l’abattage rituel. « L’intervention de M. Masson me conforte dans le fait que cette proposition de loi n’avait pas lieu d’être aujourd’hui. Elle stigmatise. Elle amène à des débats qui n’ont rien à voir dans cet hémicycle » a-t-elle regretté

Hasard du calendrier, la sénatrice de Marseille avait organisé depuis juin dernier une visite du Sénat de ses administrés, parmi lesquels plusieurs femmes portaient le voile. « Les femmes voilées se considèrent françaises. Vous les avez stigmatisées (…) Aujourd’hui, elles sont en souffrance. Et je suis triste pour elles (…) Une maman qui accompagne les enfants en sortie scolaire, c’est une maman qui veut participer à la République. Et si l’Éducation nationale n’est pas d’accord, alors elle doit payer des intervenants pour faire le travail qui est fait par les parents bénévoles ».

« Je regrette que cette proposition de loi n’ait pas pu être retirée. Elle n’est pas le reflet de ce dont on a besoin dans la République parce qu’on laisse la possibilité à des personnages comme M.Masson de dire n’importe quoi » a-t-elle conclu.

David Assouline : « Quand M. Zemmour peut chroniquer dans la presse française tranquillement, on regarde l’opportunité des débats »

Le vice-président socialiste du Sénat a considéré que le débat qui se déroulait cet après-midi au Sénat n’allait « pas pour régler un problème concret qui nous empêche de vivre ensemble ». Le problème serait plutôt selon, lui, « la multiplication des enfants qu’on enlève du système scolaire pour faire leur éducation à domicile ou dans des écoles qui ne sont même pas déclarées et où on les endoctrine ».

David Assouline : « Quand M. Zemmour peut chroniquer dans la presse française tranquillement, on regarde l’opportunité des débats »
02:43

David Assouline, a, par la suite, affirmé « qu’il y avait une montée du racisme antimusulmans ». « Quand M.Zemmour peut s’exprimer en direct sur LCI (…) Quand M. Zemmour peut, de façon acceptée, chroniquer dans la presse française tranquillement alors qu’il a été condamné pour incitation à la haine religieuse (…) Quand on est dans cette situation, alors on regarde l’opportunité des débats » a-t-il pointé.

Enfin, le sénateur socialiste a clairement visé la droite de l’hémicycle. « Qui a été soutenu massivement par Sens commun dans une campagne électorale ? Qui a mobilisé les Églises et tour le réseau privé catholique pour aller contre le mariage homosexuel, et contre la loi sur l’avortement ? Alors je vous le dis très tranquillement dans un débat comme celui-là il faut de la sincérité ».

Retailleau : « La loi ne peut pas être dans le "en même temps". Il faut avoir le courage de légiférer »

« Cette question des signes ostentatoires divise les politiques, mais rassemble très largement les Français. Aujourd’hui, sondage après sondage, (…) on voit bien qu’il y a une crainte, une angoisse de nos compatriotes, que la laïcité à laquelle nous tenons, soit remise en cause » estime Bruno Retailleau, président du groupe LR du Sénat.

18h15. Retailleau : « La loi ne peut pas être dans l’« en même temps ». Il faut avoir le courage de légiférer »
02:40

« Notre famille politique a porté en 2004 l’interdiction du voile. Nous avons porté aussi en 2010 l’interdiction du voile intégrale. Je dois rendre hommage à Myriam El Khomri, qui peut-être timidement, dans la loi travail, avait donné aux entreprises, dans le règlement intérieur, la possibilité de mieux encadrer la présence des signes ostentatoires » ajoute le sénateur LR de Vendée.

S’adressant au ministre Jean-Michel Blanquer, il ajoute : « Vous nous parlez de cas par cas, et bien non. La loi doit être claire. La loi ne peut pas être dans l’« en même temps ». Il faut avoir le courage de légiférer, sinon on se défaussera sur le personnel de l’éducation nationale. Il y a l’école dans les murs, il y a l’école hors les murs ».

Françoise Laborde : « Je crois que dans cet hémicycle, nous avons été à peu près sereins »  

Françoise Laborde : « Je crois que dans cet hémicycle, nous avons été à peu près sereins »
02:34

Ancien membre de l’Observatoire de la laïcité, la sénatrice RDSE, Françoise Laborde a tenu à citer Ferdinand Buisson (Prix Nobel de la paix et cofondateur de la ligue des droits de l’Homme). « Le triomphe de l’esprit laïc n’est pas de rivaliser avec l’esprit clérical pour initier prématurément les petits élèves de l’école primaire à des passions qui ne sont pas de leur âge. C’est de réunir indistinctement les élèves de toutes les familles et de toutes les églises, bien sûr ceux qui ne sont pas dans les églises aussi, pour leur faire commencer la vie dans une atmosphère de paix et de sérénité ». La sénatrice conclut : « Je crois que dans cet hémicycle, nous avons été à peu près sereins ».  

Françoise Gatel : « Je ne voterai pas ce texte »

Voile dans les sorties scolaires. Françoise Gatel : « Je ne voterai pas ce texte »
02:18

Lors des explications de vote, la sénatrice centriste, Françoise Gatel a indiqué qu’elle ne voterait pas le texte ». « Sans mauvais jeu de mots. Ne nous voilons pas la face (…) parce que les familles dont nous parlons ont un lien ténu avec la République. Ces enfants sont scolarisés à l’école de la République (…) ce que je crains c’est que si nous jetons l’anathème sur ces familles, nous les jetions dans les bras de radicaux qui vont dire que les Français les rejettent. Je ne voterai pas ce texte pour cette raison »

Dans la même thématique

Paris : Speech of Emmanuel Macron at La Sorbonne
6min

Politique

Discours d’Emmanuel Macron sur l’Europe : « Il se pose en sauveur de sa propre majorité, mais aussi en sauveur de l’Europe »

Le chef de l'Etat a prononcé jeudi 25 avril à la Sorbonne un long discours pour appeler les 27 à bâtir une « Europe puissance ». À l’approche des élections européennes, son intervention apparait aussi comme une manière de dynamiser une campagne électorale dans laquelle la majorité présidentielle peine à percer. Interrogés par Public Sénat, les communicants Philippe Moreau-Chevrolet et Emilie Zapalski décryptent la stratégie du chef de l’Etat.

Le

Paris : Speech of Emmanuel Macron at La Sorbonne
11min

Politique

Discours d’Emmanuel Macron sur l’Europe : on vous résume les principales annonces

Sept ans après une allocution au même endroit, le président de la République était de retour à La Sorbonne, où il a prononcé ce jeudi 25 avril, un discours long d’1h45 sur l’Europe. Se faisant le garant d’une « Europe puissance et prospérité », le chef de l’Etat a également alerté sur le « risque immense » que le vieux continent soit « fragilisé, voire relégué », au regard de la situation internationale, marquée notamment par la guerre en Ukraine et la politique commerciale agressive des Etats-Unis et de la Chine.

Le

Police Aux Frontieres controle sur Autoroute
5min

Politique

Immigration : la Défenseure des droits alerte sur le non-respect du droit des étrangers à la frontière franco-italienne

Après la Cour de Justice de l’Union européenne et le Conseil d’Etat, c’est au tour de la Défenseure des droits d’appeler le gouvernement à faire cesser « les procédures et pratiques » qui contreviennent au droit européen et au droit national lors du contrôle et l’interpellation des étrangers en situation irrégulière à la frontière franco-italienne.

Le

Objets
4min

Politique

Elections européennes : quelles sont les règles en matière de temps de parole ?

Alors que le président de la République prononce un discours sur l’Europe à La Sorbonne, cinq ans après celui prononcé au même endroit lors de la campagne présidentielle de 2017, les oppositions ont fait feu de tout bois, pour que le propos du chef de l’Etat soit décompté du temps de parole de la campagne de Renaissance. Mais au fait, quelles sont les règles qui régissent la campagne européenne, en la matière ?

Le